« Nous avons mis en place des soins en ambulatoire, à domicile : pansements, suivi médical, kinésithérapie, (pendant quatre mois en moyenne) et consultations chirurgicales (orthopédiques et plastiques).
Aujourd'hui, nos équipes suivent encore 470 blessés lourds. Des opérations chirurgicales de reprise seront nécessaires, notamment pour les fixations externes, les infections post-opératoires...
Selon le ministère de la Santé, il y aurait eu des centaines d'amputés après la guerre et il y a plus d'un an d'attente pour avoir une prothèse. On propose à ces patients des exercices en groupe, qu'ils peuvent refaire seuls, chez eux. Cela permet de prévenir les complications comme une perte musculaire ou des problèmes articulaires.
Tout le matériel médical est désormais pré-positionné, à disposition du personnel hospitalier que nous avons formé, au cas où nous devrions faire face à une nouvelle situation d'urgence. Ici le système de santé fonctionne bien et notre valeur ajoutée c'est de combler les manques.
Quand on discute avec les gens, on ne peut pas vraiment être optimiste. Difficile de croire à la paix. La population reste prise en otage, enfermée entre des frontières. Impossible de quitter Gaza, de faire ses études à l'étranger, d'acquérir ou de partager des connaissances médicales ailleurs, de rendre visite à sa famille même en Cisjordanie, de partir en vacances...
Ceux qui parviennent à sortir via l'Egypte ne sont pas assurés de pouvoir revenir. Il n'y a aucune perspective d'avenir, l'équipe MSF est jeune, ils rêvent de diplômes, de voir le monde et ils ne le peuvent pas. Le blocus empêche l'entrée de biens aussi essentiels que le matériel de reconstruction, le carburant etc.
L'aide humanitaire, l'entrée du matériel médical ou des expatriés est elle aussi soumise aux aléas des autorisations administratives. Cela peut être très problématique, par exemple pour les chirurgiens qui ne sont disponibles que sur de courtes périodes et dont l'entrée dans Gaza est retardée, ou comme pour la dernière commande pharmaceutique qui a mis deux mois à rentrer ce qui a provoqué une rupture de stocks sur certains médicaments...
Beaucoup de nos patients portent le deuil de leurs proches tués pendant la guerre et/ou ont été gravement blessés. L'un d'entre eux a dû être amputé des deux jambes après qu'un avion F16 ait bombardé sa cour. Il s'est réveillé, il baignait dans son sang, sept membres de sa famille avaient été tués.
Une petite fille âgée de trois ans a été gravement brûlée. Elle a été défigurée. MSF l'a opérée deux fois mais elle restera physiquement marquée, sera toujours à la marge. On ne pourra pas lui rendre son visage, son avenir, sa vie.
Un autre, d'une vingtaine d'années, a été admis dans les cliniques mobiles. La première fois que je l'ai vu il était très maigre, alité, pâle, dénutri, ses jambes étaient fracturés, il avait aussi été blessé à l'abdomen. Il ne parlait pas, était totalement introverti, les yeux hagards. C'était en février, je l'ai revu il y a quinze jours, il était debout et marchait.
On aide à réparer ces corps brisés, mais il y aussi la reconstruction psychique à prendre en compte. Six mois après, les Gazaouïtes sourient, blaguent, rient, fêtent les anniversaires, les mariages, mais ils y pensent toujours, ils sont toujours très affectés, ils n'oublieront jamais.
Quelques patients sont moralement brisés, débordés par leurs émotions, ils peuvent même devenir très agressifs. Ceux là sont référés aux psychologues, mais refusent parfois cette aide. Malheureusement, on ne peut alors rien pour eux.
J'arrive à la fin de ma mission et lorsque je regarde en arrière, je constate que c'est formidable ce qui est fait ici. Je suis fière de travailler avec MSF, fière de ce que nos équipes parviennent à faire, fière de la qualité des soins proposés. »