« Puis avec l'incursion terrestre, on a décidé de quitter l'appartement et de rejoindre le bureau MSF où nous sommes restés trois jours. Nous sommes ensuite allés chez un ami, mais il y a eu des attaques aériennes près de chez lui et nous avons dû repartir chez nous.
Un jour, ma femme m'a téléphoné au bureau, elle hurlait : il y avait eu une attaque par un hélicoptère Apache et mon beau-père avait été tué. J'ai ramené ma femme et mes enfants au bureau. Nous y sommes restés jusqu'à la fin de la guerre.
Le fait que trois expatriés soient présents était comme une protection pour nous. On se sentait rassurés, soutenus - émotionnellement et physiquement. C'était dur pour eux et leurs familles, ils avaient le choix de rester ou non.
Nous avons été une équipe, ensemble, expatriés et personnel national, tous sous les bombes. Il nous faudra des années pour nous en remettre. Ici, tout le monde a perdu quelqu'un pendant cette guerre. Des centaines de gens ont été amputés, ici comme dans d'autres pays, pendant et après la guerre suite à des complications.
MSF doit continuer à faire ce qu'elle a toujours fait : palier les manques médicaux. Les activités de soins post-opératoires vont aller en diminuant et une fois que toutes les opérations de chirurgie orthopédique à venir seront réalisées nous pourrons mettre un terme à l'activité chirurgicale.
Mais il émergera d'autres besoins, notamment en santé psychique.Les conséquences psychologiques de la guerre sont en effet très importantes.
Avant janvier, MSF était la seule ONG à proposer des soins psychiques aux victimes de violence. Depuis, il y a eu un afflux d'acteurs spécialisés sur Gaza, mais la plupart n'ont pas la même approche thérapeutique que nous et il est très difficile de coordonner, au mieux, le travail de tout le monde.
Il serait difficile pour MSF de s'impliquer dans la fabrication de prothèses. Il faudrait une structure, des ressources humaines et du matériel spécialisés. Nos 60 patients amputés sont sur la liste d'attente de la seule association locale en charge de cette problématique. Les ressources humaines en général posent problème. Il est difficile de trouver rapidement, et dans les temps impartis, assez d'expatriés pour autant de programmes aussi spécialisés.
Pour moi, rien n'a changé à Gaza. C'est toujours aussi difficile. On est toujours stressés, mais je me sens plus fort et j'ai davantage confiance en moi. Dès que possible, je partirai d'ici, je mettrai ma famille à l'abri et je ne reviendrai jamais.
La politique ne m'intéresse pas, je veux juste vivre normalement. Mes enfants sont nés ici, ils ne connaissent rien d'autre. Ils se souviennent encore de leur grand-père baignant dans son sang. Je veux qu'ils soient au calme, aient un avenir, d'autres repères, profitent de la vie, de leur liberté.
J'aimerais partir en mission dans un autre pays, l'expérience que j'ai acquise ici pourrait servir dans d'autres contextes. Travailler, partager avec autant de personnes différentes est la meilleure des formations. Mon avenir professionnel est avec MSF, ma vie est ailleurs, loin de Gaza. »