Hélène de Beir (de nationalité belge, coordinatrice de programme), Fasil Ahmad (de nationalité afghane, traducteur), Besmillah (de nationalité afghane, chauffeur), Egil Tynaes (de nationalité norvégienne, médecin), Willem Kwint (de nationalité néerlandaise, logisticien) travaillaient pour la section hollandaise de MSF, dans une région rurale où ils menaient notamment un programme antituberculeux. Le 2 juin dernier, ils ont été assassinés sur une route au nord-ouest de l'Afghanistan.
Où en est-on de l'enquête sur les circonstances et les raisons de ces assassinats?
Nos collègues ont été tués froidement, victimes d'une attaque ciblée et préparée. Si des investigations officielles se poursuivent, leur meurtre a été revendiqué à deux reprises par un porte-parole des Talibans, le Mullah Abdul Hakim Latifi.
Dans sa deuxième revendication, faisant volontairement l'amalgame entre les soldats américains et nos volontaires, ce porte-parole a lancé un appel au meurtre à notre encontre: "D'autres organisations comme Médecins Sans Frontières travaillent également dans l'intérêt des Américains, ils sont des cibles pour nous."
Ces déclarations sont à la fois ridicules et déshonorantes pour une organisation qui travaille aux côtés des Afghans depuis plus de 20 ans. Mais c'est la première fois à notre connaissance en Afghanistan qu'un appel au meurtre est lancé contre MSF, et on ne peut le minimiser.
Comment expliquez-vous l'amalgame entre une organisation comme MSF et les forces de la coalition?
Depuis la chute du régime des Talibans et l'intervention militaire de la coalition dirigée par les Etats-Unis, la confusion entre militaires et humanitaires est totale. Les ONG sont perçues par de nombreux Afghans comme servant les ambitions du régime d'"occupation" piloté par les Américains et leurs alliés. Elles sont accusées de faire de l'espionnage, d'être corrompues et de ne pas faire leur travail.
Les liens étroits (financements, mode opérationnel) de certains acteurs humanitaires avec les forces de la coalition renforcent encore ce sentiment. La propagande de l'armée américaine aussi. Dans le sud de l'Afghanistan, elle a distribué des tracts demandant à la population de "communiquer aux forces de la coalition toutes les informations relatives aux Talibans, Al-Qaïda et Gulbuddin Hekmatyar", ceci afin de pouvoir "continuer à recevoir de l'aide humanitaire".
En quoi cette confusion des genres entre militaires et humanitaires est-elle problématique?
L'instrumentalisation de l'humanitaire par les militaires sape les fondements mêmes de l'action humanitaire. Le chantage à l'aide est un bon exemple, puisqu'il établit une distinction inique entre supposées "bonnes victimes" (celles qui collaborent) et "mauvaises victimes". Tous les acteurs humanitaires doivent dénoncer ce chantage. Car il ne s'agit pas uniquement d'un problème théorique, intellectuel, il y a des conséquences concrètes très négatives. D'une part, certains Afghans n'obtiennent plus aucune aide parce qu'ils seraient "du mauvais côté". D'autre part, les humanitaires deviennent des cibles pour les groupes les plus radicaux qui utilisent les frustrations des Afghans pour étendre leur influence. Plus de 30 travailleurs humanitaires afghans ont déjà été tués au cours des derniers mois, ainsi que plusieurs étrangers travaillant pour la Croix Rouge, les Nations unies et, le 2 juin dernier, MSF. L'hostilité est grandissante, l'espace humanitaire ne cesse de se réduire.
Dans ces conditions, une organisation humanitaire comme MSF peut-elle encore travailler en Afghanistan?
Ces derniers mois, MSF avait réduit sa présence et ses activités en Afghanistan en raison de l'insécurité, retirant son personnel expatrié des zones jugées trop dangereuses, poursuivant son travail dans des régions qui "semblaient" moins exposées. Au total, pour l'ensemble du mouvement MSF, 70 volontaires internationaux étaient encore présents dans le pays début juin. Depuis l'assassinat de nos collègues, les activités ont été suspendues, les équipes fortement réduites. Seule une représentation internationale est maintenue à Kaboul, la capitale afghane.
Nos responsabilités sont importantes au regard des projets en cours et de la sécurité de nos équipes - nationales et internationales. Des discussions sont en cours, auxquelles participent nos volontaires rentrés sur Paris et nos collègues afghans. Concrètement, trois options opérationnelles semblent envisageables: arrêt des activités, suspension pour une durée déterminée, maintien d'activités à minima. La décision de MSF doit être sans équivoque. L'arrêt de nos activités est envisagé.
Tout se passe comme si, des deux côtés de cette "guerre contre le terrorisme", on voulait nous pousser à choisir un camp, ce que nous nous refusons de faire.
Nous devons rapidement élaborer notre position face à cette situation.
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