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La France, l’UE et les réseaux criminels, main dans la main
7 septembre 2017
- mis à jour le 21 janvier 2019
Le Dr Joanne Liu, Présidente internationale de MSF, accuse la France et d'autres pays européens d'entretenir, via leur politique migratoire, un réseau criminel en Libye.
Le sort des migrants et des réfugiés présents en Libye interpelle à nouveau l’Europe et ses représentants. Car au-delà d’une politique funeste obsédée par le désir de repousser toujours plus loin les gens à l’extérieur des frontières européennes, quitte à obstruer les opérations de sauvetage en Méditerranée, la France et des membres de l’Union européenne entretiennent un réseau criminel.
En Libye, il est de notoriété publique que le système de détention des candidats au refuge sur le sol européen est abject. Pour appeler un chat un chat, il consiste en une entreprise prospère d'enlèvement, de torture et d'extorsion. En choisissant sciemment de contenir à tout prix les migrants en Libye, la France et les gouvernements de l'UE légitiment un tel système.
Il n’est pourtant pas concevable que des gens puissent être renvoyés en Libye aujourd’hui, comme il est intolérable qu’ils soient contraints d’y rester. MSF intervient dans les centres de détention à Tripoli depuis plus d'un an et est le témoin d’un système arbitraire de détention mais aussi d'extorsion, d'abus, de tortures et de privation que les hommes, les femmes et les enfants subissent au quotidien dans ces centres.
J’étais dans quelques-uns de ces centres la semaine dernière ; j’y ai rencontré des personnes traitées comme des marchandises. Les gens sont entassés dans des pièces sombres et sales, sans ventilation. Ils vivent les uns sur les autres et défèquent sur le ciment. Les hommes nous racontent comment, par petits groupes, ils sont forcés de courir nus dans la cour jusqu'à tomber d’épuisement. Les geôliers violent les femmes avant d’exiger qu’elles contactent leurs familles, implorant qu’on leur envoie de l'argent pour qu’elles puissent s’extraire de ce cauchemar.
Toutes les personnes que j'ai rencontrées étaient en larmes, suppliant encore et encore de sortir de là.
D’aucuns ont interprété la diminution du nombre de personnes qui tentent de traverser la méditerranée depuis la Libye vers l'Europe comme un succès dans la lutte pour sauver la vie des migrants et supprimer les réseaux de passeurs.
Sachant ce qui se passe réellement en Libye, de telles considérations relèvent au mieux de l’hypocrisie, au pire d’une complicité cynique avec le commerce organisé d’êtres humains réduits à des ballots de marchandises livrés aux mains de trafiquants.
Tout devrait au contraire être fait pour sortir au plus vite les prisonniers de ce piège infernal, leur donner accès à des mesures de protection, à des procédures d’asile et de rapatriement volontaire accélérées. Ils ont besoin d’être mis à l’abri, et de se voir offrir des voies de sortie légales.
Sans attendre, il est urgent et vital que les détenus puissent obtenir une amélioration drastique de leurs conditions d’existence en Libye. La violence qu’ils subissent doit impérativement cesser, leurs droits doivent être respectés, y compris l'accès à la nourriture, à l'eau et aux soins médicaux.
Au lieu de s’attaquer à un cercle vicieux nourri de leur propre politique, des représentants d’Etats européens et la France se sont retranchés derrière des accusations infondées à l'encontre de citoyens ou d’ONG aidant des migrants en détresse.
Comme d’autres, MSF a ainsi été accusée à plusieurs reprises de collusion avec des trafiquants au cours de ses opérations d’assistance, de recherche ou de sauvetage en mer. De qui devrait-on pourtant faire le procès ? De ceux qui cherchent à secourir des personnes en difficulté ou de ceux qui les condamnent à être traités au mieux comme du bétail ?
La situation inhumaine des migrants en Libye est entretenue par la politique de la France et des pays européens, qui a depuis des années comme objectif de repousser les gens hors d’Europe, de les maintenir hors de vue à tout prix. Les effets de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie en 2016, ce que nous avons vu en Grèce, en France, dans les Balkans et au-delà, sont autant d’exemples de frontières toujours plus hermétiques et d’une politique de rejet toujours plus radicale.
La mobilité des personnes à l’échelle internationale doit s’organiser et non être combattue coûte que coûte : c’est le seul moyen d’éviter que les gens ne deviennent otages de réseaux de trafiquants que les dirigeants politiques prétendent vouloir démanteler.
Au récent sommet qui s’est tenu à Paris sur les migrations, les chefs d'Etat ont chanté le besoin d'assistance, l’envoi de « missions de protection » au Tchad et au Niger et le respect des droits pour les réfugiés et les migrants. Comment peut-on parler comme ça quand on sait ce qui se passe en Libye ?
Jusqu’où la France et les membres de l’Union européenne sont-ils prêts à aller pour « contrôler la migration » ? A livrer les gens aux mains de réseaux criminels financés avec l’argent européen et à fermer les yeux sur les pires des sévices ?