Rapport Le Prix de l'oubli - Des millions de personnes en Afrique occidentale et centrale restent en marge de la lutte mondiale contre le VIH

« Ce que nous voyons aujourd’hui dans nos projets d’Afrique occidentale et centrale me rappelle parfois l’Afrique du Sud en 1999, quand les antirétroviraux n’étaient pas encore largement disponibles et que les patients que nous voyions étaient au seuil de la mort. Une décennie et demie plus tard, un trop grand nombre de patients en République démocratique du Congo, en Guinée ou en République centrafricaine nous arrivent en stades avancés de SIDA, ce qui est devenu relativement rare en Afrique du Sud depuis le milieu des années 2000. En Afrique occidentale et centrale, le SIDA est loin d’avoir disparu. Il ne disparaîtra pas tant que des mesures radicales ne seront pas prises pour accroître l’accès au traitement antirétroviral, et ceci avant que les individus ne tombent très malades ».

Dr Eric Goemaere, référent VIH/TB pour MSF

 

 

INTRODUCTION

À l’échelle mondiale, les années 2000 à 2015 ont été marquées par l’intensification de l’accès au traitement antirétroviral (TAR) et une diminution de 35 % des décès liés au SIDA depuis 2005. Un nombre record de près de 16 millions de personnes vivant avec le VIH (PVVIH) ont été mises sous TAR ; trois sur quatre d’entre eux vivent en Afrique sub-saharienne, où les besoins sont les plus criants. La société civile et les services de santé publics ont uni leurs forces pour offrir aux PVVIH de nouveaux traitements fondés sur les preuves scientifiques et les meilleures pratiques.

Fort de ce succès, le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA) a fixé en 2015 d’ambitieux objectifs mondiaux à atteindre d’ici 2020. Connues sous le nom de « cibles 90-90-90 », elles visent à ce que 90 % des PVVIH connaissent leur statut VIH, 90 % de toutes les personnes séropositives au VIH reçoivent un TAR continu, et que 90 % de toutes les personnes sous traitement atteignent une suppression virale. Cette accélération de la riposte au VIH devrait prévenir 75 % des nouvelles infections d’ici 2020, mais l’ONUSIDA met en garde contre les conséquences négatives en cas d’échec avant la date butoir : « L’épidémie sera repartie à la hausse d’ici 2030, représentera une menace encore plus sérieuse pour la santé et le bien-être mondial, et exigera des ressources importantes pour ce qui sera devenu une épidémie incontrôlée ». Alors que le financement international dirigé vers le VIH/SIDA et le TAR et les politiques associées ont tendance à se concentrer sur les pays les plus durement touchés par l’épidémie et sur les « points névralgiques » du VIH en Afrique sub-saharienne, la plupart des pays appartenant à la région de l’Afrique occidentale et centrale (AOC) ont été négligés.

La région englobe 25 pays, dont la plupart compte une population relativement faible. Leurs taux moyens de prévalence sont relativement faibles par rapport à l’Afrique australe. Cependant, la plupart de ces pays peinent à offrir un TAR à ceux qui en ont besoin - un échec qui se traduit par un taux excessif de mortalité et de morbidité, et qui limite leur capacité à freiner la propagation de la maladie. Dans la région de l’AOC, 76 % des personnes qui requièrent une thérapie antirétrovirale - cinq millions de personnes au total - sont encore en attente de traitement. Les besoins non satisfaits dans la plupart de ces pays restent en marge de la réponse globale au VIH.

En AOC, les taux de couverture de TAR sont inférieurs à ceux de l’Afrique australe. Les pays confrontés à un lourd fardeau ont relevé le défi en apportant des changements majeurs à leurs services de santé, mais les pays de l’AOC ont reçu moins d’incitatifs pour adapter leurs modèles de prestation de services, et moins de soutien pour le faire. Beaucoup de ces pays doivent composer avec de faibles systèmes de santé et de multiples priorités sanitaires, problèmes exacerbés dans les régions en proie à des crises récurrentes. De nombreux pays de l’AOC n’ont pas réussi à mettre en place certaines des méthodes novatrices utilisées ailleurs pour le déploiement du TAR, en raison d’une résistance ou d’un manque de conscientisation, ce qui les a menés à recourir à des approches mal adaptées. Il faut de toute urgence apporter des solutions alternatives afin de répondre aux besoins dans ces contextes spécifiques.

Les 6,6 millions de PVVIH dans la région de l’AOC représentent 17,9 % de toutes les PVVIH dans le monde entier, 21 % des nouvelles infections globales et 45 % des nouvelles infections chez les enfants. Plus d’un décès sur quatre dans le monde lié au SIDA survient en AOC, alors que quatre enfants sur dix qui succombent à la maladie meurent dans la région. Si l’échec actuel des politiques et du financement international de la santé à lutter contre l’épidémie croissante dans cette région n’est pas abordé, les chances d’atteindre les nouveaux et ambitieux objectifs 90-90-90 sont très minces.

Alors que le monde entier tente de changer le cours de la pandémie du VIH d’ici cinq ans, cette étape pourrait constituer la seule chance pour les séropositifs de la région d’accéder au traitement capable de leur sauver la vie. L’initiative d’accélération (Fast-Track) pour atteindre les objectifs 90-90-90 devrait également bénéficier à la population de l’AOC.

Médecins Sans Frontières (MSF) travaille dans le monde entier et fournit des services VIH aux PVVIH, et opère des projets notamment dans la région de l’AOC. En 2014, les équipes de MSF ont fourni des soins à 229 900 PVVIH, et soutenu le TAR pour 226 500 personnes dans 19 pays. Les équipes de MSF sont aux premières loges pour constater les conséquences graves chez les personnes qui n’ont pas eu la chance d’être dans des pays ayant bénéficié de la révolution globale des antirétroviraux (ARV).

Le présent rapport a pour objectif de mettre en évidence les lacunes dans les politiques et les pratiques touchant les PVVIH dans les pays de l’AOC qui font face à d’importants écarts de couverture thérapeutique. Il souligne les principaux obstacles à un élargissement de la couverture TAR en AOC, en mettant l’accent sur les contextes où MSF participe à la riposte au VIH. Il rassemble l’expérience des équipes MSF en présentant les données de projets pilotes locaux, d’études à petite échelle, d’enquêtes auprès des patients et d’autres informations recueillies au sein des programmes.

Les leçons tirées des expériences d’expansion du traitement ARV dans les pays d’Afrique australe et ailleurs pourraient être déterminantes pour les PVVIH en AOC. Cependant, certaines des politiques et approches actuelles devront être modifiées, en raison de la portée et de la propagation de l’épidémie, de la stigmatisation à laquelle font face les PVVIH et des faiblesses spécifiques des systèmes de santé existants qui affectent la qualité et l’accès au TAR. Le rapport présente des projets pilotes fondés sur des approches alternatives, tant en AOC qu’ailleurs, et leur potentiel de briser le statu quo. Trois études de cas réalisées dans la région - en République démocratique du Congo (RDC), en République centrafricaine (RCA) et en Guinée - soulèvent les principaux obstacles et opportunités à un élargissement et à une accélération des mises sous TAR et à la rétention en traitement des patients.

Nos observations mettent en lumière le besoin urgent de surmonter le statu quo et de développer un plan d’action accéléré qui soit adapté aux pays de l’AOC. Le présent rapport inclut des propositions concrètes pour un plan de rattrapage visant à combler l’écart dans la couverture thérapeutique antirétrovirale en AOC, notamment un appel à tripler les mises sous TAR d’ici 2020 dans les pays où la couverture ARV est inférieure à 50 %, et un transfert des connaissances et expériences acquises dans des régions où la provision des TAR a été efficacement instaurée.

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Notes

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