Choléra en Haïti - Récit de Michelle Mays, infirmière : « Il faut être vif d’esprit, et créatif »

Un enfant atteint de choléra pris en charge par MSF à Port au Prince  novembre 2010
Un enfant atteint de choléra, pris en charge par MSF à Port-au-Prince - novembre 2010 © EPA / Orlando Barría

Ville du nord-ouest haïtien, Port-de-Paix a été sévèrement touchée par l'épidémie de choléra qui sévit depuis plus d'un mois dans le pays. De retour du centre de traitement de choléra MSF de la ville, l'infirmière Michelle Mays nous livre son récit et témoigne que l'urgence, la vigilance et les besoins en formation du personnel demeurent.

Comment le programme de Port-de-Paix a-t-il pris forme ?

MSF est arrivé dans l'hôpital de Port-de-Paix lors d'une mission exploratoire. Des malades du choléra étaient déjà pris en charge. Mais comme la maladie n'était pas connu dans le pays, aucun protocole de traitement n'était appliqué et il y avait très peu d'information disponible. Nous disposions d'une petite structure, composée de quelques bâtiments et d'une petite chapelle, qui a rapidement été envahie par les patients. Nous devions organiser l'espace disponible de deux manières : en termes de logistique, pour accueillir le plus grand nombre de patients, mais également en termes de personnel, car il était impossible de soigner autant de malades avec seulement deux infirmières auxiliaires.

Vous deviez-donc vous adapter constamment ?

Il faut être très vif d'esprit et créatif. L'important c'est que ça marche. Je pense que nous pouvons être fiers de ça. Nous avons eu l'impression d'avoir vraiment aidé la population. C'est quelque chose de palpable. Un jour, j'ai ausculté un bébé complètement déshydraté, il était à deux doigts de mourir. Nous avons mis 20 minutes à trouver une perfusion. Pendant ce temps, la santé du bébé empirait. Le médecin haïtien a finalement mis le bébé sous perfusion... ce genre de moments nous fait prendre conscience de notre utilité ici.

Vous avez dû être témoin de la peur, de l'angoisse qui régnait... Était-il possible d'avoir une routine de travail ?

Les patients commençaient à arriver à 5 heures du matin, et comme l'équipe de nuit était très fatiguée, nous avons commencé à venir de plus en plus tôt. À notre arrivée à l'hôpital, nous commençons par nous laver les mains et par asperger nos pieds avec une solution à base de chlore pour la prévention de l'infection. Nous nous dirigeons ensuite vers une petite tente où un infirmier trie les admissions et identifie les patients qui nécessitent des soins immédiats et ceux qui peuvent éventuellement marcher et boire des sels de réhydratation orale. Il est important que tous les patients capables de boire prennent ces sels, qu'ils soient ou non sous perfusion. Je pointe auprès de l'infirmier trieur, je pars à la recherche du médecin de nuit pour savoir ce qu'il s'est passé, s'il y a eu des morts. Si certains patients sont en très mauvaise santé, je vais les voir en premier. Sinon, je commence ma ronde et je m'informe de l'état de santé des patients auprès du personnel infirmier. Je vérifie également les stocks, car de grandes quantités de fournitures peuvent avoir été utilisées pendant la nuit.

Est-il vrai que le choléra était une maladie totalement inconnue des professionnels de santé comme des patients ?

Oui, la population ignore tout du choléra. Cela fait des décennies que la maladie ne s'est pas manifestée. C'est très différent du Tchad ou du Nigeria, où le choléra est une maladie endémique qui réapparait chaque année. Là-bas, les habitants savent qu'il faut se rendre dans un centre médical dès les premiers symptômes. En Haïti, certains patients arrivent à un stade très avancé de la maladie. Le meilleur moyen de lutter contre la peur est donc de soigner les patients rapidement, en trois jours. Ainsi, lorsqu'ils rentrent chez eux, ils font passer le message à leur communauté.

Si les malades ne suivent pas de traitement, ils peuvent mourir en quelques heures ?

C'est malheureusement ce qui caractérise la maladie. Le choléra peut tuer en quelques heures. En ce qui concerne la formation du personnel, nous devons faire comprendre aux infirmières et aux docteurs qu'il est extrêmement important de vérifier en continu le niveau d'hydratation et l'évolution de la santé des patients. [Remarque de l'éditeur : les patients souffrant du choléra qui suivent un traitement dans un centre médical guérissent généralement rapidement et rentrent chez eux au bout de deux ou trois jours.]. Il y avait une femme qui n'arrêtait pas de vomir. Je pensais vraiment qu'elle allait mourir. Mais elle a survécu. Un jour, alors que je prenais des nouvelles de sa santé, elle m'a dit : « Je veux m'en aller. Puis-je partir aujourd'hui ? ». C'était très positif étant donné que deux ou trois jours avant, elle était très mal en point. [Remarque de l'éditeur : aujourd'hui, près de 98 % des patients traités dans les structures MSF ont survécu à la maladie.]

Avec cette épidémie et tout ce que la population haïtienne a subi cette année, avez-vous pu constater des signes d'abattement ?

Tous ceux qui travaillent en Haïti témoignent de la résistance de la population. C'est extraordinaire de travailler avec le personnel haïtien. Ils viennent tous les jours, parfois de très loin. Les infirmiers et les médecins travaillent pendant 10 ou 14 heures d'affilée. Tout le monde est exténué, se couche et doit recommencer le jour suivant. C'est très dur pour eux, à la fois en tant que travailleurs médicaux et en tant que victimes. Les patients que nous soignons sont leurs parents, leurs amis, leurs frères et leurs sœurs. Le séisme avait fait peu de ravages dans le nord du pays, mais la population n'a pas été épargnée par l'épidémie de choléra.

Avez-vous pu voir la formation porter ses fruits ou constater une amélioration de la gestion de l'épidémie par le personnel local ? Quand je suis partie, ils y arrivaient très bien. Je pense qu'ils étaient tellement bouleversés au début de l'épidémie qu'ils n'ont pas eu le temps de former du personnel. Mais une fois le système en place et les informations renforcées, les gens ont commencé à prendre de nombreuses initiatives de qualité. Il y avait ce bébé qui devait avoir un an et sa sœur de deux ou trois ans. Leur mère était très malade et leur père devait travailler toute la journée. Il m'a dit : « Si je ne vais pas au travail, je risque de perdre mon emploi et de ne plus pouvoir m'occuper de ma famille ». Je lui ai dit de ne pas s'en faire, et les infirmières se sont occupées de cette famille, en veillant sur le bébé et la fillette.

Cette situation a fait naître un élan de solidarité au sein de la communauté. Lors de mes rondes, j'ai pu par exemple constater que si la mère d'un enfant était absente, une autre mère s'occupait spontanément de l'enfant seul. La population est très soudée, et cela fait plaisir à voir.

Dans le CTC de Port-de-Paix, Michelle et ses collègues ont soigné plus de 2 100 patients en seulement trois semaines. Depuis le début de l'épidémie de choléra, MSF a soigné plus de 51 000 patients et dispose désormais d'une capacité d'accueil de 3 300 lits dans 40 CTC à travers le pays.

Dossier spécial choléra Haïti

Consultez notre dossier consacré à l'épidémie de choléra en Haïti.

À lire aussi