En septembre 2024, les équipes MSF ont donné à Texas, un mineur soudanais, un appareil photo jetable afin qu’il nous livre son quotidien dans son campement de Calais. Comme des centaines de mineurs, il y survit dans des conditions extrêmement précaires dans des tentes, sous la pluie, dans la boue, dans une situation de grande vulnérabilité face aux dangers de la rue.
Texas est accompagné par les équipes MSF dans le cadre de l’accueil de jour ouvert à Calais depuis juillet 2023. L’équipe y fournit un accompagnement pluridisciplinaire et un lieu de répit, pour extraire les jeunes exilés, au moins pendant quelques heures, de la précarité de leur quotidien. Depuis le début de l’année 2024, MSF a accueilli 139 jeunes.
La vie continue, que nous l'acceptions ou pas. Si nous l'acceptons, nous nous adaptons ; si nous la confrontons, nous apprenons. Le désespoir ne change rien. Laisse la vie faire ce qu'elle veut, et fais ce que tu veux.
Laver ses vêtements
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Des vêtements juste lavés sèchent dans les arbres
© Texas / MSFRéclamée par les associations et prescrite par le Conseil d’État en 2017, la mise en place d’un système pour permettre aux exilés de laver leurs vêtements n’est toujours pas un service fourni par le dispositif humanitaire du gouvernement. Les exilés sont contraints de laver leur linge dans les camps et de le faire sécher dans le climat humide calaisien. Depuis mars 2024, le “Wash”, un grand local incluant une laverie pour les personnes exilées et un lieu d’accueil, de l’association Collective Aid, est fermé administrativement en raison de l’intervention du service d’hygiène de la mairie de Calais.
Se chauffer et manger
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Des exilés allument un feu pour chauffer la nourriture dans un campement à Calais
© Texas / MSFLe côté obscur de la vie des jungos. Tous les jours ils cherchent à se nourrir et à se couvrir à cause de la pluie et du fort froid
Dans le jargon, les jungos sont les personnes exilées qui tentent le passage vers le Royaume-Uni
Pour ces jeunes exilés, ces moments sont importants pour casser leur solitude et partager leurs angoisses communes : les inquiétudes pour la famille restée au pays, les nombreux échecs de tentatives de traversées, le long parcours d'exil et les violences vécues à Calais ou avant, ainsi que le quotidien difficile et répétitif des journées à Calais.
Se laver
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Le site « Toilettes », où MSF fournit des services de santé à l'aide de cliniques mobiles
© Texas / MSFEn juin 2017, le Conseil d’État, saisi par des associations, avait enjoint au préfet du Pas-de-Calais et à la commune de Calais de créer des dispositifs d’accès à l’eau ainsi que des latrines et d’organiser un dispositif d’accès à des douches. Actuellement, le site dit « Toilettes » est le seul endroit installé par la mairie de Calais permettant aux exilés d’avoir accès à des latrines. Ce site est également le lieu où des associations installent toutes les semaines des points de recharge pour les téléphones mobiles, ainsi que le lieu d’installation de la clinique mobile de Médecins Sans Frontières. Cet endroit est malheureusement éloigné de nombreux lieux de vie. L’accès à des sanitaires dignes est pourtant essentiel.
Tenter de traverser
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Un train au départ de la gare de Calais ville
© Texas / MSFLes trains régionaux qui passent par Calais sont souvent utilisés par les jeunes exilés pour se rendre aux points d’embarquement des bateaux de fortune destinés à rejoindre le Royaume-Uni. Les gares ou les trains sont des lieux de contrôle au faciès dont sont victimes les personnes exilées comme l'a notamment dénoncé l'ONG Human Rights Observer.
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Un jeune exilé à la gare de Calais
© Texas / MSF« Cet homme qui attend...
L'attente !
L'attente est souvent longue et difficile à Calais. Les conditions ultra-précaires dans lesquelles survivent les personnes exilées accentuent la difficulté de cette attente.
L'attente est souvent une caractéristique associée au parcours d'exil et de la personne exilée, qui tente de se stabiliser à un endroit.
Attendre, faire la queue pour accéder à une distribution alimentaire, à une douche, à un vêtement mais aussi attendre, souvent (trop) longtemps, pour les procédures de régularisation administrative...
L'attente, pour enfin espérer vivre dignement et en sécurité. »
Margaux Caron, travailleuse sociale pour MSF à Calais
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à l’arrière d’une voiture - Calais.
© Texas / MSFDe violentes rafales pouvant atteindre les 100 Km/h frappent souvent le littoral nord de la France, notamment en automne et en hiver, quand les températures descendent. Certains jeunes exilés cherchent à réduire les risques déjà élevés de leur traversée en évitant d’embarquer dans des bateaux de fortune si la force du vent et la hauteur des vagues sont trop élevées. Malheureusement, beaucoup de personnes ne connaissent pas les outils pour s'informer de ces conditions météorologiques en prévision de leur traversée.
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Un parking de camions dans la zone industrielle de Calais
© Texas / MSFDans ce parking, j’ai failli partir pour le Royaume-Uni, mais malheureusement je n’y suis pas parvenu.
Parce qu’elles n’ont pas de possibilité d’emprunter des voies sûres et légales en prenant le ferry ou le train, des milliers de personnes déterminées à se rendre au Royaume-Uni pour obtenir une protection, rejoindre leur famille ou demander l’asile, n’ont pas d’autre choix que de monter à bord d’embarcations de fortune ou de se cacher dans des camions pour traverser la Manche.
Souvent, ces parkings sont le théâtre de violences. Les jeunes accueillis par MSF témoignent de comportements inappropriés de la part des agents de sécurité et notamment des chiens de garde qui les accompagnent souvent sans muselières et sans laisses. Notre équipe médicale a pu constater à plusieurs reprises des traces de morsures de chien sur les jambes de jeunes exilés ou d’hommes adultes, qui, après avoir été découvert dans un camion, en sont descendus avant de se faire attaquer par le chien de garde.
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Derrière un camion, dans un parking à la périphérie de Calais
© Texas / MSFIci, je me suis dit de bien me cacher sinon je vais être gazé par la police avec les gaz lacrymogènes.
Les passages par camion sont devenus plus compliqués mais restent d’actualité, notamment pour ceux, désargentés, n’ayant pas la possibilité de rassembler les sommes exigées par les passeurs pour la traversée en bateau.
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La rue du Parking où presque tous les jungos* passent (*jungos = personnes exilées qui tentent le passage vers le Royaume-Uni dans le jargon )
© Texas/MSFL’Etat français met en danger les rescapés en les livrant à eux-mêmes dans des conditions précaires. Après une tentative de traversée infructueuse, nombreuses sont les personnes qui se résolvent à effectuer des heures de marche pour rentrer sur les campements. Cela peut mener à des drames, comme en novembre 2023, quand une quinzaine d’exilés avaient été fauchés par un poids-lourd en pleine nuit sur l’autoroute, alors qu’ils rentraient à Grande-Synthe, après avoir été secourus en mer et abandonnés au port de Calais à minuit. Deux personnes sont décédées, et quatre ont été blessées, dont un mineur non-accompagné. – Tribune d’Isabelle Defourny, présidente de Médecins Sans Frontières et Yann Manzi, co-fondateur et délégué général d’Utopia 56.
Dormir
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Des tentes dans un campement à Calais.
© Texas / MSFDepuis le démantèlement en 2016 de la « grande Jungle » de Calais, un gigantesque bidonville dans lequel ont transité jusqu’à 9 000 migrants et réfugiés en chemin vers le Royaume-Uni, des dizaines de petits campements éphémères ont surgi çà et là en périphérie de la ville, entre des bretelles d’autoroute, des zones industrielles, dans des bâtiments désaffectés. Le modèle reste identique : des petites tentes deux places, certaines recouvertes de bâches bleues qui s’agglutinent autour d’un feu de bois. Quelques-unes sont rehaussées sur des palettes de chantier récupérées en guise de plancher sommaire. Elles leur évitent de baigner dans les flaques d’eau, la boue et les détritus qui jonchent les alentours. Pas d’eau courante, pas de douches, ni de toilettes. Les conditions de vie sont extrêmement précaires.
À Calais, la politique dite du « zéro point de fixation » instaurée par l'État après le déménagement de ladite « Jungle » en 2016 se traduit au quotidien par des interventions policières, toutes les 48 heures, de démantèlement des lieux de vie des personnes exilées. Les tentes sont alors souvent confisquées, abîmées, détruites et les personnes se retrouvent sans matériel de couchage, mais toujours à la rue. Face à ces nombreuses interventions, les associations qui fournissent du matériel de couchage font de leur mieux pour rééquiper à minima les personnes, avec des tentes, qui seront à leur tour probablement confisquées, abîmées, détruites, 48 heures plus tard. Un schéma d'inhumanité sans fin.
Un champ de fleurs à Calais
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Un champ de fleurs en périphérie de Calais
© Texas / MSFCes violences physiques et psychiques répétées illustrent le coût humain que la France et le Royaume-Uni sont prêts à payer pour sécuriser leur frontière commune. Une normalisation généralisée de la violence s’est installée partout en Europe. Calais n’est qu’un des laboratoires, parmi d’autres, des politiques de dissuasion menées par l’Union européenne