Depuis le 7 octobre 2023, les Palestiniens de Cisjordanie font face à une montée des violences, marquée par des incursions militaires israéliennes prolongées et des restrictions de mouvement strictes. Ces mesures ont gravement entravé l'accès à des services essentiels, particulièrement l’accès aux soins. Cette recrudescence de violence n'est pas un événement isolé : elle s'inscrit dans une longue histoire d'oppression systémique et de colonisation par Israël.
En Cisjordanie, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) sont les témoins des violences commises par l’armée israélienne et les colons contre la population civile et le système de santé.
« Lors d'une autre incursion israélienne le 5 septembre 2024 dans le camp d'Al Fara'a, vers 3h00 du matin, un adolescent de 16 ans a été blessé à la jambe par l’armée israélienne. Je m'en souviens très clairement – c'était un ami de mon fils. Nous étions là en tant que secouristes, à quelques mètres de lui, et quand il nous a vus, il a commencé à crier à l'aide et a demandé aux Israéliens de ne pas lui tirer dessus à nouveau. Les soldats israéliens lui ont demandé d'enlever sa chemise alors qu'il était blessé au sol, ce qu'il a fait ; ils lui ont ensuite tiré à plusieurs reprises dans les jambes. Ils lui ont ensuite ordonné d'enlever son pantalon, mais il était blessé aux jambes et ne pouvait pas le faire : ils lui ont tiré dans le cou et il est mort. Nous étions à quelques mètres mais nous n'étions pas autorisés à intervenir. Ils [les soldats israéliens] l'ont traîné hors du camp à l’aide d’un bulldozer militaire. À 7h30, nous avons finalement été autorisés à récupérer son corps. Le bulldozer l'avait mutilé.
Le rapport « Inflicting Harm and Denying Care », basé sur des entretiens approfondis avec des professionnels de santé et des patients ainsi que sur l'analyse de données provenant de sources externes fiables, recueillies sur une année, documente les attaques et les entraves à l’accès aux soins dans un contexte qualifié par la Cour internationale de justice (CIJ) de ségrégation et d'apartheid.
Il révèle un schéma d'interférence systématique de l’armée israélienne et des colons dans la prise en charge médicale et la fourniture de soins d’urgence.
« Il y a un an, vers 1h00 du matin, une famille a emmené leur enfant qui avait besoin de soins en urgence au checkpoint de Tayaseer, ils voulaient se rendre à l'hôpital turc de Tubas. Ils ont été arrêtés au checkpoint et nous ont appelés [PRCS] pour du soutien. Quand nous sommes arrivés, l'enfant était encore en vie, mais nous avons été retardés car notre personnel et l'ambulance ont été fouillés. Lorsque la fouille s'est terminée, il était mort. Imaginez le traumatisme : voir un enfant malade à quelques mètres mais être incapable d'aider.
L'accès aux soins est entravé par un système tentaculaire de points de contrôle et de barrages routiers israéliens qui font obstacle aux ambulances, aggravé par des raids militaires de plus en plus nombreux et violents.
« Lors de la dernière incursion [le 6 mai 2024], tous les travailleurs paramédicaux, moi y compris, ont été empêchés d'entrer dans le camp. Nous avions reçu l’appel d'une femme ayant besoin d'aide dans le camp et il nous a fallu 90 minutes pour arriver jusqu'à elle. Son enfant avait été blessé par des éclats de verre à la suite de tirs sur ses fenêtres. J'ai réussi à traiter l'enfant sur place, mais je ne pouvais pas le transporter à l'hôpital, alors j'ai dû l'emmener dans ma propre maison pour le soigner en sécurité. Ils ont dû y rester pendant 24 heures. J'ai eu trois autres situations comme celle-ci, où j'ai réussi à stabiliser des blessés et j'ai dû les garder chez moi jusqu'à ce que ce soit assez sûr pour qu’ils puissent rentrer chez eux.
Ces raids font des victimes civiles et détruisent des infrastructures vitales : routes, systèmes d'assainissement et réseaux électriques sont endommagés. La situation est particulièrement grave dans les zones reculées, avec un accès aux soins déjà restreint, créant de facto des zones d'exclusion médicale. Elle est également critique pour les patients souffrant de maladies chroniques, qui ne peuvent pas accéder aux traitements vitaux durant les incursions militaires.
« Le trajet depuis mon village, situé entre Jénine et Tubas, jusqu'à l'hôpital Khalil Suleiman à Jénine prend habituellement 15 à 20 minutes en voiture. Cependant, pendant les incursions de l’armée israélienne, cela peut prendre six à huit heures pour atteindre l'hôpital. Par exemple, en février 2024, lors d'une incursion dans le camp de Jénine, il m'a fallu 13 heures entre le moment de mon départ de Jénine jusqu'à mon retour à la maison, car les ambulances ne pouvaient pas bouger, donc elles ne pouvaient pas me ramener chez moi. Cette expérience m'a rendu craintif et je n’ose pas aller à l'hôpital lorsque l’armée israélienne est dans mon village ou à Jénine, car les soldats israéliens ne se soucient pas que vous soyez un patient ou non. Je préfère être dirigé vers l'hôpital turc de Tubas, malgré sa plus petite capacité de dialyse, ce qui signifie que je dois parfois attendre plus longtemps mon tour – parfois jusqu'à tard le soir ou même le lendemain. Chaque fois qu'une incursion se produit le jour où j'ai une séance de traitement programmée, je n'essaie même pas d'aller à Jénine. Je préfère rester à la maison pour éviter le danger, et si j'ai besoin de me rendre à Tubas, je préfère utiliser une voiture privée ou les transports en commun plutôt qu'une ambulance.
En Cisjordanie, la recrudescence de violences génère une atmosphère omniprésente de peur et d'insécurité, avec un impact profond sur la santé mentale des Palestiniens.
Les attaques fréquentes contre le personnel médical et les établissements de santé compromettent l'accès aux soins. Les hôpitaux et les structures sanitaires sont souvent encerclés par l'armée israélienne ; les soldats y font parfois des raids, aggravant les risques pour les patients et le personnel. Les sites médicaux temporaires, comme les points de stabilisation dans les camps de réfugiés, sont souvent endommagés voire complètement détruits. Les secouristes en première ligne sont fréquemment harcelés, détenus, blessés et même tués par l’armée israélienne.
« Une fois, lors d'une urgence, alors que nous avions un patient et sa famille dans l'ambulance avec la sirène en marche, l’armée israélienne nous a arrêtés, ils ont confisqué ma carte d'identité, ainsi que celles de mes collègues, du patient et de sa famille. Ils nous ont dit que la sirène les dérangeait et que nous devions l'éteindre. Ils nous ont arrêtés pendant au moins 30 minutes et ont retardé notre déplacement. À cause de cela, et parce que ce n'était pas la première fois que cela arrivait, nous avons été obligés d'emprunter des routes secondaires, qui sont généralement en mauvais état, ce qui nous a ralenti. Quand nous transférons des cas urgents à Naplouse, environ 90 % du temps, nous devons passer par le checkpoint de Huwara, où nous sommes arrêtés, fouillés et retardés.
La violence des colons – souvent tolérée et encouragée par le gouvernement israélien – alimentée par l'expansion toujours croissante des colonies, considérées comme illégales selon le droit international, aggrave plus encore la situation.
« Certaines personnes choisissent de rester éveillées toute la nuit, ils surveillent les réseaux sociaux pour savoir s’il y a des raids imminents. Dans d'autres foyers, les membres de la famille se relaient pour dormir, afin que quelqu'un soit toujours éveillé et prêt à évacuer la maison à tout moment. Quand les gens reçoivent des informations sur une incursion imminente, ils fuient souvent leurs maisons dans les camps et cherchent refuge chez des parents ou des amis. Certains vont même jusqu'à louer des maisons en dehors des camps pour s'y abriter pendant ces raids. Depuis octobre 2023, le niveau d'agression a explosé. Même les jeunes enfants montrent des signes significatifs de stress. Avant, il y avait des incursions, mais elles étaient beaucoup plus courtes et ciblaient des maisons et des personnes spécifiques. Maintenant, nous savons que n'importe quel bâtiment peut être ciblé et que n'importe qui peut être une victime.
Israël, en tant que puissance occupante, ne remplit pas ses obligations légales tant au regard du droit international humanitaire – qui s'applique dans les situations d'occupation militaire – que du droit international des droits de l'homme.
« Nous nous sommes déplacés de Beita [13 km de Naplouse] pour aller à Naplouse avec un patient blessé, l’armée israélienne nous a arrêtés au checkpoint d'Awarta [est de Naplouse]. Ils ont pris nos cartes d'identité, puis ils nous ont ordonné de sortir des véhicules et de nous asseoir par terre en nous mettant en joue. Cela a duré 45 minutes. Ils nous ont ensuite laissés passer pour aller à Naplouse, mais ils nous ont arrêtés à nouveau au checkpoint de Murabba pendant encore 15 minutes.
« Les ambulances sont cruciales pour sauver plus de vies. Grâce aux ambulances, nous pouvons stabiliser les patients avant de les emmener à l'hôpital. Sans elles, cela devient très difficile. À cause des restrictions de mouvements mises en place par l’armée israélienne, et à cause de l'état des routes menant au camp, nous devons souvent nous déplacer à pied pour secourir les victimes, avec des risques très élevés d'être tués dans des tirs croisés ou par l’armée israélienne.
MSF appelle Israël à mettre un terme aux violences contre le personnel médical et les patients en Cisjordanie.
Des enquêtes indépendantes doivent être menées pour déterminer les faits et les responsabilités derrière les attaques répétées contre les civils et la mission médicale en Cisjordanie.
Israël doit faciliter l’accès aux soins des Palestiniens en Cisjordanie. L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) doit être en mesure de poursuivre ses opérations en Cisjordanie et à Gaza, étant donné son rôle indispensable et son aide vitale à des milliers de Palestiniens.
Consulter le rapport: "Inflicting harm and denying care" : l'escalade des attaques israéliennes et entraves aux soins contre les structures médicales et les soignants.