Photographie d'un terrain de football sur lequel les chefs de la communauté de Chacajo, dans la région du Chocó, ont été assassinés par un groupe armé. Le tirage a été découpé puis recousu par une guérisseuse traditionnelle dans le cadre d'un projet artistique encadré par la photographe Fernanda Pineda.

Photographie d'un terrain de football sur lequel les chefs de la communauté de Chacajo, dans la région du Chocó, ont été assassinés par un groupe armé. Le tirage a été découpé puis recousu par une guérisseuse traditionnelle dans le cadre d'un projet artistique encadré par la photographe Fernanda Pineda.

© Fernanda Pineda/MSF

Les blessures du Chocó

Au cœur des violences en Colombie

Depuis plusieurs années, les communautés isolées de la région du Chocó en Colombie font face à un regain de violence de la part des groupes armés, qui contrôlent le territoire afin de mener des activités illégales, comme la culture de la coca ou l’extraction illégale d’or. Avec Médecins Sans Frontières (MSF), la photographe Fernanda Pineda a créé un projet artistique pour montrer les conséquences de ce conflit et la résistance quotidienne des communautés afro-colombiennes et autochtones qui vivent dans cette région. 

Une école criblée de balles ; un champ où des dirigeants communautaires sont morts ; une maison dans laquelle un garde autochtone ne veut pas retourner ; une rue où les membres de la communauté se sont unis contre le recrutement forcé de leur jeunesse par un groupe armé : ce sont quelques-unes des scènes que Fernanda Pineda a pu observer dans certaines des zones les plus reculées du Chocó. 

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Vue des abords du fleuve Baudó, crucial pour les communautés locales, aussi bien pour le transport que pour la pêche.

Vue des abords du fleuve Baudó, crucial pour les communautés locales, aussi bien pour le transport que pour la pêche.

© Fernanda Pineda

Selon le Bureau du Défenseur du peuple de Colombie, l’organisme gouvernemental national chargé de la protection des droits civils et humains, le Chocó a été la région qui a enregistré le plus grand nombre de confinements forcés en 2023, avec 124 incidents touchant 40 414 personnes. Les confinés forcés sont définis en Colombie comme une situation dans laquelle la violence de groupes armés oblige la population à rester chez eux afin de tenter de protéger leur intégrité physique.

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Une femme de 19 ans tient son fils dans les bras. Son compagnon a été assassiné plusieurs mois avant la naissance de leur enfant. Sa famille et sa veuve se battent pour préserver sa mémoire. Il faisait partie d'un groupe autochtone de protection civil.

Une femme de 19 ans tient son fils dans les bras. Son compagnon a été assassiné plusieurs mois avant la naissance de leur enfant. Sa famille et sa veuve se battent pour préserver sa mémoire. Il faisait partie d'un groupe de protection civile autochtone.

© Fernanda Pineda

La région a enregistré le deuxième plus grand nombre de déplacements de population liés à la violence, soit 19 des 154 qui ont eu lieu l'année dernière en Colombie. Près de 37 000 cas de violations des droits humains y ont été recensés, dont plus de 5 700 dans la seule municipalité d’Alto Baudó de Chocó.

Atelier collaboratif 

Fernanda Pineda a remonté le fleuve Baudó jusqu'aux communautés afro-descendantes de Chachajo et Mojaudó, et au village indigène de Puesto Indio à Alto Baudó, afin de mettre en œuvre un projet collaboratif. Accompagnée de l'équipe d'engagement communautaire de MSF, composée en grande partie de personnes autochtones et afro-descendantes, elle a proposé aux guérisseuses traditionnelles de travailler sur les blessures de leur communauté. 

La guérisseuse traditionnelle Margarita Rojas Mena (gauche) et la sage-femme Teolinda Castro (droite) du village de Mojaudó, ainsi que la guérisseuse traditionnelle María Concepción Moreno (centre) du village de Chachajo. 

La guérisseuse traditionnelle Margarita Rojas Mena (gauche) et la sage-femme Teolinda Castro (droite) du village de Mojaudó, ainsi que la guérisseuse traditionnelle María Concepción Moreno (centre) du village de Chachajo. 

© Fernanda Pineda
Riverographies of Baudó: the result – Healers and Places – Chachajo
Riverographies of Baudó: the result – Healers and Places – Mojaudó

« Ce sont des communautés où les femmes jouent un rôle de premier plan en raison de leur connaissance des plantes médicinales. Nous avons d’abord identifié avec elles des lieux de leurs communautés dans lesquels ont eu lieu des actions violentes. Puis, nous nous sommes appuyés sur leurs connaissances pour entrer dans un espace symbolique de guérison », explique Fernanda Pineda. 

Au total, sept femmes des trois communautés ont identifié des endroits marqués par le conflit. Ces lieux ont ensuite été photographiés et les guérisseuses ont réalisé un travail sur ces images, en y appliquant des sutures, des remèdes ou des fleurs qu'elles utilisent habituellement pour soulager la douleur.  

Riverographies of Baudó: the result – Healers and Places – Chachajo

María Concepción Moreno, guérisseuse traditionnelle de Chachajo, a soigné symboliquement le lieu où ont été assassinés les chefs de la communauté, à l'aide d'une décoction utilisée pour soigner les blessures.

© Fernanda Pineda
Riverographies of Baudó: the result – Healers and Places – Chachajo
Riverographies of Baudó: the result – Healers and Places – Chachajo

Cette démarche a également permis de recueillir la parole des membres de la communauté sur la violence liée au conflit, qui ont décrit un sentiment de peur et de vulnérabilité persistant, en l’absence d’une réponse efficace des institutions.

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Rogelina Arce, guérisseuse traditionnelle, guérit symboliquement une photographie de la rue principale de son village, Puesto Indio, à l'aide de feuille de calebassier. Cette rue a été le lieu d'une récente incursion de la part d'un groupe armé.

Rogelina Arce, guérisseuse traditionnelle, guérit symboliquement une photographie de la rue principale de son village, Puesto Indio, à l'aide de feuille de calebassier. Cette rue a été le lieu d'une récente incursion de la part d'un groupe armé.

© Yazury Dumaza/MSF

Dans l’école de Mojaudó, des rayons de lumière filtrent à travers les trous laissés par les impacts dans le plafond. Des livres et des calendriers sont accrochés aux murs criblés de balles. Les sièges bleus n'ont pas bougé depuis le jour de l’attaque, comme si la salle de classe était devenue un musée de l'horreur. 

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Margarita Rojas Mena, guérisseuse traditionnelle du village de Mojaudó, a recousu une photographie d'une école touchée par l'attaque d'un groupe armé.

Margarita Rojas Mena, guérisseuse traditionnelle du village de Mojaudó, a recousu la photographie d'une école touchée par l'attaque d'un groupe armé.

© Fernanda Pineda

« Il était environ deux heures du matin lorsque les tirs ont commencé. Les balles ont traversé le plafond et notre cuisine, on entendait beaucoup de coups de feu. Où est-ce qu'on peut se réfugier en pleine nuit ? Nous nous sommes jetés par terre », explique une sage-femme. « La population de Mojaudó est terrorisée, déplore une autre femme. Parfois, quand une noix de coco ou un autre fruit tombe sur le toit, nous pensons que tout va recommencer. » 

Guérison symbolique d'une photographie de la rue principale de Puesto Indio, où a eu lieu une incursion armée, par la guérisseuse traditionnelle Rogelina Arce. 

Guérison symbolique d'une photographie de la rue principale de Puesto Indio, où a eu lieu une incursion armée, par la guérisseuse traditionnelle Rogelina Arce. 

© Yazury Dumaza/MSF
Photographie d'un membre de la protection civile autochtone assassiné par un groupe armé, guérie symboliquement par la guérisseuse traditionnelle Dilia de Puesto Indio. 

Photographie d'un membre de la protection civile autochtone assassiné par un groupe armé, guérie symboliquement par la guérisseuse traditionnelle Dilia de Puesto Indio. 

© Fernanda Pineda
Teolinda Castro, de Mojaudó, a guéri symboliquement une photographie de l'école communale, touchée lors de l'incursion d'un groupe armée, à l'aide de fleurs utilisées pour soigner le mal de tête et de ventre.

Teolinda Castro, de Mojaudó, a guéri symboliquement une photographie de l'école communale, touchée lors de l'incursion d'un groupe armée, à l'aide de fleurs utilisées pour soigner le mal de tête et de ventre.

© Fernanda Pineda

Le constat est partagé par une sage-femme de la municipalité de Puesto Indio. « J’étais l’assistante de mon mari, qui était jaibaná [guérisseur spirituel]. Mon mari est parti et mes enfants avaient besoin de soin. C’est ainsi que j’ai commencé ma pratique de guérisseuse. Je suis la première femme jaibaná dans ces communautés. Le territoire est malade. La violence nous persécute et nous rend malades », explique-t-elle. 

Communautés isolées 

À l’impact de la violence et des menaces continues qui pèsent sur ces communautés, s’ajoutent les défaillances et l'absence de soutien de la part des institutions. La région est principalement desservie par la rivière Baudó et ses affluents, et le coût du transport rend les déplacements inaccessibles aux personnes sans sources de revenus.  

Les communautés de la région ont un accès limité aux services de base, comme l’éducation et les soins de santé. Elles ont des difficultés à se procurer des médicaments, mais aussi de l’eau potable et font face à un risque d’insécurité alimentaire lié à la présence de groupes armés et d’engins explosifs dans les zones agricoles. Cette situation a un impact permanent sur la santé physique et mentale des habitants. 

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En mars 2023, un groupe de la protection civile autochtone a été attaqué alors que ses membres tentaient d'empêcher un groupe armé de rentrer dans leur village de Puesto Indio. Un enfant et un adulte ont été blessés.

En mars 2023, un groupe de la protection civile autochtone a été attaqué alors que ses membres tentaient d'empêcher un groupe armé de rentrer dans leur village de Puesto Indio. Un enfant et un adulte ont été blessés.

© Fernanda Pineda

Au contact des communautés isolées, les équipes MSF sont « les témoins directs de l’impact profond de l’escalade du conflit armé sur le bien-être des communautés locales », explique la Dr Altair Saavedra, coordinatrice médicale de MSF en Colombie et au Panama. 

MSF a mis en œuvre un programme complet de formation pour les agents et promoteurs de santé communautaire afin d’améliorer l’accès aux services de santé dans les communautés les plus reculées de la municipalité d’Alto Baudó. Entre mars 2022 et juillet 2024, ces agents et promoteurs ont effectué près de 10 000 consultations et organisé plus de 5 200 séances éducatives sur la santé préventive, auxquelles ont participé plus de 47 300 personnes. 

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Manolia Arce et sa famille font partie d'une communauté déplacée de force par un groupe armé en 2014, et qui n'ont pas pu retourner dans leur village.

Manolia Arce et sa famille font partie d'une communauté déplacée de force par un groupe armé en 2014, qui n'a pas pu retourner dans son village.

© Fernanda Pineda

Au cours de cette période, MSF a orienté plus de 2 000 personnes des zones isolées vers des centres de santé, la plupart d’entre elles ayant des besoins médicaux urgents.  

« Les communautés afro-descendantes et indigènes du Chocó vivent dans un état de vulnérabilité permanent. Le gouvernement colombien, avec le soutien des organisations nationales et internationales, doit œuvrer à garantir l’accès aux services de santé à toutes ces communautés », conclut la Dr Altair Saavedra. 

Notes