En mai 2020, les équipes MSF ont renforcé leur intervention dans l’État brésilien de l’Amazonas, à la suite d’une augmentation alarmante du nombre de cas positifs à la Covid-19. Aujourd’hui, les activités ont cessé dans l’Amazonas face à une baisse des cas, mais MSF continue d’intervenir dans l’État voisin de Roraima, à la frontière avec le Venezuela. Retour sur trois mois d’intervention au coeur de la forêt amazonienne.
« C’était pire que ce que nous craignions »
« Nous avions des équipes d’intervention Covid-19 à Rio de Janeiro et São Paulo, puis les mauvaises nouvelles sur l’étendue de l’épidémie à l’intérieur du pays ont commencé à arriver », confie Antonio Flores, coordinateur médical MSF au Brésil. Il s’est rendu à Manaus, la capitale de l’État d’Amazonas, dès le mois d’avril 2020.
« Lorsque je suis arrivé à Manaus, les fossoyeurs travaillaient au-delà de leurs capacités. Toutes les unités de soins intensifs de l’hôpital étaient débordées. Il y avait des listes avec des centaines de patients gravement malades attendant qu’un lit d’hôpital se libère. C’était pire que ce que nous craignions. »
Le peu de tests Covid-19 déployés par les autorités brésiliennes a rendu très difficile le suivi de la propagation de la pandémie dans le pays : un suivi d’autant plus problématique dans le bassin amazonien, où il y a peu de transports et des populations largement dispersées sur un vaste territoire.
« Nous avons réussi à y mettre rapidement en place une unité de soins intensifs », explique Antonio Flores. Début mai, les équipes MSF avaient déployé une série d’activités auprès des populations vulnérables à Manaus, qui compte de nombreux réfugiés et sans-abri. La plupart d’entre eux sont hébergés dans des abris qui ne permettent aucune distanciation physique. Les habitations surpeuplées des indigènes Warao, originaires du Venezuela, rendaient leur situation particulièrement préoccupante. MSF a ainsi mis en place, en partenariat avec la municipalité de Manaus, un centre d’isolement pour les personnes présentant des symptômes de la Covid-19 au sein de cette communauté.
L’unité de soins intensifs
La réponse de MSF à Manaus a principalement été celle d’un soutien médical dans l’Hôpital 28 de Agosto, un des trois principaux hôpitaux de la ville. Les équipes y ont pris en charge le fonctionnement du cinquième étage, avec une unité de soins intensifs de 12 lits pour les patients dans un état critique et un service de 36 lits pour les patients atteints de la forme sévère de la Covid-19. Les équipes MSF ont également aidé le reste de l’hôpital à améliorer la gestion du flux de patients.
« En arrivant à l’hôpital, nous avons été confrontés aux tensions du système de santé brésilien : une structure précaire fonctionnant à peine », témoigne le Dr. Pedro Cury Moyses.
« Mais j’ai quand même de bons souvenirs. Notamment celui de la sortie d’une patiente qui avait été admise en soins intensifs. Lorsque je l’ai rencontrée pour la première fois, elle était manifestement effrayée, principalement parce que son rétablissement était lent et compliqué. Atteinte du coronavirus, elle avait des problèmes médicaux sous-jacents, et cela a compliqué son cas. L’équipe redoutait une aggravation de son état. Finalement, une fois rétablie, nous avons organisé son départ. En fauteuil roulant, elle a été surprise par les applaudissements du personnel. Au bout du couloir, son mari l’attendait avec un bouquet de fleurs. Elle a été le plus grand symbole de notre travail dans cet hôpital et a contribué à redonner de l’espoir aux médecins de l’hôpital, eux qui ont été témoins d’un taux de mortalité dévastateur. »
Au cœur de la forêt amazonienne
La ville de Manaus est le point de rencontre des eaux du Rio Negro et du Rio Solimões qui forment le fleuve Amazone. Lorsque l’épidémie a atteint son pic puis s’est stabilisée dans la capitale de l’État d’Amazonas, Manaus, la maladie s’était déjà répandue en amont du fleuve et dans la forêt tropicale.
« Au début, il n’y a eu que de rares cas de Covid-19 provenant de communautés isolées et riveraines du bassin amazonien, explique Dounia Dekhili, cheffe de mission MSF au Brésil. Depuis des décennies, cette région fait face à un sous-investissement important en matière d’infrastructures et de moyens alloués à la santé. Les vastes distances et le manque de moyens de transports rendent extrêmement difficile l’orientation rapide des patients qui ont besoin de soins médicaux. Il était nécessaire d’assurer une capacité de traitement Covid-19 accessible, à proximité de la rivière et des communautés indigènes. Mais il fallait aussi éviter de faire entrer la maladie au cœur même de ces communautés. »
Tefé, une ville de 60 000 habitants, a été l’une des plus touchées par la pandémie dans la région. Tayana Oliveira Miranda, directrice de l’hôpital régional de Tefé, raconte :
« Lorsque le premier cas d’hospitalisation a été confirmé, toute l’équipe était déjà en alerte. Nous avons commencé par retirer de l’équipe les personnes âgées, les femmes enceintes et les personnes atteintes de maladies chroniques. Par conséquent, ceux qui étaient en capacité de travailler ont très vite été submergés par le nombre de patients hospitalisés qui augmentait. Puis, nous avons eu le premier décès. Le personnel de cette équipe était dévasté et la pression augmentait. En mai, les cas se sont multipliés : le nombre de patients hospitalisés ne cessait de croître – les décès aussi – et le personnel hospitalier commençait à tomber à son tour malade. Nous avons modifié la gestion du flux de patients, puis rapidement les places ont manqué. Le chaos commençait à prendre le dessus. Le pic a été atteint le jour où nous avons eu 41 personnes hospitalisées, dont six intubées, alors que la demande d’ambulances aériennes pour tout l’État était très élevée. Ce jour-là, il y a eu neuf décès. L’équipe en a beaucoup souffert. »
Lorsque MSF est arrivée à Téfé, le nombre de patients s’était stabilisé à un niveau plus facile à gérer. L’équipe de l’hôpital a indiqué qu’elle souhaitait recevoir une formation pour se préparer à l’éventualité d’une nouvelle vague de contaminations et donc de patients. Les équipes MSF ont ainsi dispensé des formations à plus de 200 membres du personnel médical et paramédical de l’hôpital régional de Tefé.
Un bateau-clinique
Tefé dispose d’un bateau où sont dispensés des soins de santé primaires et qui apporte un service médical de base aux communautés vivant le long du fleuve: un voyage aller-retour de deux semaines comprend plusieurs arrêts pour aider les riverains.
« Nous savions que nous nous rapprochions de communautés très vulnérables, explique Nara Duarte, infirmière MSF. Il était donc primordial d’éviter que les patients et le personnel de santé ne se retrouvent contaminés à cause d’une consultation. Nous avons demandé de participer au contrôle des infections sur le premier bateau clinique après notre quatorzaine, car nous pensions que cela contribuerait à minimiser le risque de propagation de la maladie dans les communautés les plus vulnérables. »
L’équipe MSF chargée du contrôle des infections a ainsi mis au point un circuit aménagé pour limiter les risques de contaminations lors des consultations. Les équipes ont également donné au personnel et à l’équipage du bateau des formations sur les mesures d’hygiène afin de prévenir et contrôler les infections ainsi que des formations relatives aux soins respiratoires d’urgence.
S’adapter aux besoins des communautés
À São Gabriel da Cachoeira, dans la région Cabeça do Cachorro, au Nord-Ouest de Manaus, MSF a mis en place un centre de soins pour recevoir les patients présentant des symptômes légers et modérés de Covid-19. Le centre a été spécifiquement adapté aux traditions locales car plus de 90 % de la population de São Gabriel da Cachoeira est d’origine indigène.
Dans le centre de soins, les patients indigènes atteints du coronavirus peuvent être accompagnés par un soignant pendant toute la durée du traitement, ce qui n’est généralement pas autorisé dans les hôpitaux. Dans ce centre, les médicaments traditionnels utilisés par les populations locales sont acceptés et peuvent être pris en même temps que le traitement proposé par MSF, à condition que leur combinaison ne provoque pas d’effets indésirables. Les shamans, chefs spirituels des communautés indigènes, peuvent également se rendre sur place et effectuer des rituels, équipés de protection individuelle pour éviter d’être contaminés au contact du patient.
Par ailleurs, les équipes MSF se sont rapprochées des dirigeants et des organisations liés aux communautés indigènes pour répondre au mieux à leurs besoins.
« On entend dire que la pandémie est terminée dans l’État d’Amazonas et qu’il suffisait d’attendre pour obtenir une “immunité collective”, explique Flores, coordinatrice médicale MSF. Cette idée est absurde car elle omet qu’avec un plus grand nombre de personnes infectées, il y a aussi un plus grand nombre de décès. Nous avons vu le système de santé s’effondrer. Le coût est énorme pour la population qui manque d’une réponse rapide à même de contrôler la propagation de la maladie. »
Le nombre de nouveaux cas commence à diminuer dans l’État d’Amazonas, mais sans informations claires sur ce qui se passe à l’intérieur du pays, on craint que la maladie ne continue de se propager silencieusement vers des régions plus éloignées, où la population a un accès d’autant plus difficile aux soins médicaux. L’une des rares certitudes est que les mesures préventives telles que la distanciation physique, le port d’un masque et le lavage régulier des mains restent essentielles.
MSF intervient également dans d’autres États brésiliens, notamment dans l’État de Roraima, en gérant une unité de soins intensifs et en développant des actions de proximité dans l’une des banlieues pauvres de l’Est de São Paulo.