Dans la région d'Aweil, le paludisme atteint chaque année des milliers d'enfants, notamment pendant la saison des pluies, entre les mois de juillet et novembre. En 2021, l'équipe médicale de l'hôpital d'État d'Aweil a admis plus de 4 000 enfants et soigné plus de 25 000 autres en ambulatoire. Des chiffres plus élevés que les années précédentes. Pour désengorger les structures de santé et proposer une offre de soins complète, Médecins Sans Frontières (MSF) a intégré la chimioprévention à sa réponse.
« Je resterai ici jusqu'à ce qu'elle aille mieux », déclare Rebecca Achol Atak, assise près du lit de sa petite-fille à l'hôpital d'État d'Aweil. Atong souffre d'une forte fièvre et de vomissements. Avec sa grand-mère, elle a voyagé deux jours à pied pour consulter un médecin. A son arrivée à l'hôpital, le personnel médical l'a rapidement prise en charge mais il était déjà trop tard. L'état d'Atong n'a cessé de se détériorer jusqu'à ce qu'elle décède, moins de 24 heures après son admission. Elle avait huit ans. Cause du décès : neuropaludisme.
Un manque d'accès aux soins important
Au Soudan du Sud, l'histoire tragique d'Atong est loin d'être unique. Le paludisme est la principale cause de décès dans le pays et selon les dernières données disponibles, plus de 4 millions de cas ont été confirmés en 2019. Sur la même période, plus de 4 800 personnes sont décédées, les enfants de moins de cinq ans étant les plus à risque. Des chiffres élevés qui pourraient néanmoins sous-estimer la véritable envergure de la situation. « La plupart des enfants meurent dans leur maison et leur village. Ils ne parviennent jamais jusqu'aux hôpitaux, s'ils sont éloignés. Et nous n'avons aucune idée du nombre d'enfants concernés », explique Bowa Malou Wol, infirmière MSF à l'hôpital d'État d'Aweil.
Les structures de santé existantes fonctionnent à plein régime et subissent une pression intense. L'hôpital d'État d'Aweil, soutenu par MSF, ne fait pas exception. Il s'agit du seul établissement fournissant actuellement des services de santé complets à environ 1,2 million de personnes dans l'État du Bahr el Ghazal du Nord.
L'hôpital est loin, les gens attendent toujours d'être très malades avant de s'y rendre. Parfois, il est trop tard et ils ne reviennent pas. Quand les enfants tombent malades et qu'il n'y a pas de médecin dans les parages, la seule chose à faire, c'est de prier.
Le paludisme se transmet tout au long de l'année, mais il atteint un pic de transmission pendant la saison des pluies, de juillet à novembre environ. Durant cette période, des milliers d'enfants souffrent de paludisme dans toute la région et doivent être rapidement testés et traités de façon adéquate, afin de réduire le risque de développer une forme grave du paludisme, qui peut être fatale ou entraîner de graves complications. Lorsque cela arrive, l'hospitalisation est indispensable.
« Nous avons connu des pics massifs du nombre de patients cette année pendant la saison des pluies, explique Aminu Lawal, responsable des activités médicales de MSF à Aweil. Nous avons eu jusqu'à 300 patients dans une section de l'hôpital qui ne compte normalement que 150 lits. Honnêtement, nous manquons d'endroits où les mettre. Même en ayant installé de nouvelles tentes antipaludiques pour augmenter la capacité, ce n'est toujours pas suffisant. Certains doivent dormir dans les couloirs parce qu'il n'y a tout simplement pas de place ailleurs. Et notre personnel médical, en particulier les infirmières, est débordé. »
Depuis le début de l'année, l'équipe médicale de l'hôpital d'État d'Aweil a admis plus de 4 000 enfants atteints de paludisme et soigné plus de 25 000 enfants en ambulatoire. Ces chiffres, plus élevés qu'en 2020 ou 2019, peuvent être dus à des lacunes dans l'offre de soins au niveau local. Les établissements de santé de la région dépendent du soutien international pour les médicaments et les tests antipaludiques, rares pendant la saison haute du paludisme. Certains établissements ont complètement perdu leur soutien extérieur et ne fonctionnent plus.
À l'hôpital d'État d'Aweil, le volume d'admissions a déjà entraîné des pénuries critiques de sang pour les transfusions. Les patients atteints d'une forme grave de paludisme développent souvent une anémie. Un approvisionnement sûr et suffisant des banques de sang est alors une nécessité. Les équipes de l'hôpital doivent effectuer des centaines de transfusions sanguines par mois pendant la saison des pluies, mais les réserves de sang sont souvent difficiles à trouver au Soudan du Sud. Le sang n'est généralement donné que par les proches du patient.
« Le sang pour les transfusions fait cruellement défaut. Les familles possèdent rarement des téléphones avec lesquels les joindre en cas de besoin. Cela nous empêche de transfuser certains patients. Les conséquences peuvent être fatales », explique Aminu Lawal.
Des inondations importantes ont exacerbé la crise du paludisme cette année, restreignant les déplacements vers les centres de santé et créant de grandes flaques d'eau stagnante, un terrain fertile pour la prolifération des moustiques, qui ont ensuite propagé la maladie.
Selon l'ONU, environ 37 000 km² ont été inondés. Cela représente 5% de toutes les terres au niveau national. Environ 700 000 personnes ont alors été déplacées à l'intérieur du pays.
Avant, j'habitais dans un autre village. Là-bas, nous allions dans une clinique privée chaque fois que l'un d'entre nous tombait malade. Puis il y a eu des inondations ; l'eau a noyé tous nos animaux. Nous ne pouvions plus vendre de la nourriture sur le marché. Sans argent, il était impossible d'obtenir des médicaments. Nous avons dû déménager. Nous n'avions plus rien.
Chimioprévention du paludisme saisonnier :
une composante clé
Cette année, MSF a lancé un programme pilote de prévention du paludisme à Aweil, en collaboration avec le ministère de la Santé. La chimioprévention du paludisme saisonnier (CPS) vise à prévenir l'infection et les maladies graves chez les personnes les plus à risque - les enfants de 3 à 59 mois - en leur fournissant des médicaments antipaludiques préventifs une fois par mois pendant cinq mois, au cours de la saison des pluies. Les agents de santé effectuent également un dépistage nutritionnel afin que les enfants souffrant de malnutrition puissent être identifiés et traités rapidement, car le paludisme peut être particulièrement mortel chez les enfants souffrant de malnutrition.
Jusqu'à présent, les équipes MSF ont atteint près de 14 000 enfants de moins de cinq ans et la réponse globale de la communauté est très positive. « La prévention est importante. J'ai six enfants et deux d'entre eux ont moins de cinq ans. Ils peuvent désormais être protégés. C'est la première fois que des médicaments préventifs sont disponibles ici », déclare Ateny Mayen Akoi après que sa fille de huit mois, Agel, a reçu ses médicaments.
Le paludisme est un problème chaque année. J'ai huit enfants et tous ont déjà eu la maladie. Maintenant, nous venons ici tous les mois pour recevoir des médicaments antipaludiques. La prévention fonctionne. Aucun de mes fils n'a été infecté depuis juillet. Mais on nous a dit que ces médicaments préventifs ne sont bons que pour les enfants de plus de trois mois et de moins de cinq ans. Mais j'ai cinq autres enfants qui sont plus âgés. Et ils tombent malades aussi. Nous n'avons pas seulement besoin de prévention ; nous avons aussi besoin de traitement.
Améliorer la prévention est une composante essentielle pour une réponse complète contre le paludisme. « La chimioprévention du paludisme saisonnier est un outil important qui a déjà été utilisé avec succès dans les pays d'Afrique de l'Ouest et centrale qui présentent également une transmission élevée du paludisme, explique Saschveen Singh, conseiller MSF en maladies infectieuses tropicales. Il est essentiel de trouver la meilleure combinaison d'approches pour réduire l'impact dévastateur du paludisme sur les jeunes enfants, c'est pourquoi nous pilotons soigneusement cette initiative au Soudan du Sud. »
La prévention du paludisme est par ailleurs moins chère et souvent plus facile à administrer que le traitement lui-même. « La prévention est efficace, déclare Aminu Lawal. Cependant, nous devons également nous rappeler que la CPS n'est pas la seule forme de prévention. La distribution de moustiquaires, la pulvérisation intradomiciliaire d'insecticides à effet rémanent ou l'assainissement des eaux stagnantes sont autant de mesures qui ont un rôle important à jouer. »