Depuis mars 2023, l'hôpital MSF d'Atmeh est le seul à pouvoir prendre en charge les personnes victimes de brûlures dans tout le nord-ouest de la Syrie, une région où vivent plus de 4,5 millions de personnes, dont près de trois millions de personnes déplacées par la guerre. Reportage.
Les conséquences de conditions de vie inacceptables
L'hôpital MSF d’Atmeh est un établissement unique dans une région immense où plusieurs millions de personnes déplacées par la guerre - ou plus récemment, touchées par le tremblement de terre en février 2023 - endurent des conditions de vie inacceptables. Dernier rempart médical dans un système de santé à bout de souffle, il est le seul à proposer la prise en charge des victimes de brûlures. Pour comprendre les défis et les succès rencontrés, immersion avec Abdel Malik Araour, responsable des soins infirmiers, et Dr Moheeb, responsable du programme de chirurgie reconstructrice.
Essayer de suivre le Dr Moheeb au sein du service d'hospitalisation n'est pas une tâche facile. Il est constamment en train de courir. Rapidement, mais systématiquement, il s'arrête devant chaque patient, pour la plupart de très jeunes enfants gravement brûlés, accompagnés d'un proche : « Qu'est-ce qui t'est arrivé ? Comment as-tu été brûlé ? » Ou encore, « D'où venez-vous ? Vous vivez dans une maison ou dans un camp ? » Il explique ensuite les procédures médicales, afin que les patients et leurs aidants puissent comprendre le traitement, comme il le faisait lorsqu'il était professeur à l'université d'Alep, avant la guerre.
« Dans la région, depuis dix ans, il n'y avait pas de réseau électrique. C’est revenu il y a seulement un an, par intermittence, explique le Dr Moheed. Beaucoup d’enfants ne savent pas ce qu’est une installation électrique. C’est l’une des raisons pour lesquelles ils sont souvent victimes de brûlures. » Mais pour lui, actuellement, le problème principal est le carburant de mauvaise qualité. « Le carburant bon marché dont nous disposons généralement est en fait du fuel brut. Il contient beaucoup de gaz et explose facilement. C’est ainsi que la plupart des femmes et des enfants sont victimes de brûlures », déplore-t-il.
Dans la région, les familles sont plus nombreuses aujourd’hui qu’avant la guerre. Les enfants traînent partout, sans activités, car la plupart d’entre eux ne sont pas scolarisés. Nombre d’entre eux sont turbulents, conséquence des multiples traumatismes dont ils souffrent, et que le tremblement de terre de février 2023 a réactivé. La catastrophe avait fait 5 950 victimes en Syrie. À l’hôpital d’Atmeh, les accidents domestiques sont aujourd’hui la principale cause de brûlure et ils touchent majoritairement les enfants, brûlés soit par de l'eau bouillante, soit par l'explosion d’un système de chauffage.
Ces blessures sont directement liées aux mauvaises conditions de vie résultant de plus de 12 ans de guerre. Près d’un million et demi de personnes vivent dans des tentes, après avoir fui leur région d’origine. Pour eux, les risques sont encore plus grands, car l’espace est confiné et les matériaux sont inflammables. Il n'est pas rare de voir six ou sept patients d’une même famille arriver en même temps à l’hôpital.
MSF et d'autres ONG organisent des sessions de sensibilisation aux risques d'incendie dans les camps de réfugiés. Mais avec quelque 1 530 camps et campements informels répertoriés dans le nord-ouest de la Syrie, les équipes MSF sont incapables de toucher tout le monde. Et si la sensibilisation peut aider à réduire le risque d’accident domestique, elle ne peut rien faire pour améliorer ces conditions de vie déplorables. « Nous devons plaider auprès des autorités pour qu'elles comprennent le problème et achètent du carburant de meilleure qualité », estime le docteur Moheeb. Ce carburant bon marché provient du nord-est de la Syrie, où il n’existe pas de raffineries adaptées. Quant au carburant coûteux, il vient de l’étranger et, dans le contexte économique actuel, est inaccessible pour l’immense majorité des habitants du nord-ouest de la Syrie.
Les financements humanitaires pour le nord-ouest de la Syrie diminuent, après une augmentation temporaire liée au tremblement de terre de février 2023, ce qui rend peu probable une amélioration des conditions de vie et l’accès à du carburant de qualité.
Un système de santé affaibli par 12 ans de guerre et achevé par le récent séisme
Dans le nord-ouest de la Syrie, à cause de la guerre, le système de santé est trop faible pour fonctionner en autonomie et dépend du soutien de la Turquie pour un large éventail de soins spécialisés, comme le traitement des brûlures sévères.
Jusqu'au tremblement de terre de février 2023, l'Unité des brûlés traitait des enfants présentant des brûlures couvrant 20 % de la surface corporelle et des adultes présentant des brûlures jusqu’à 40 %. Au-delà, les patients étaient orientés vers la Turquie, par l'intermédiaire du bureau de Bab al-Hawa pour les transferts médicaux. À travers ce guichet unique, ils pouvaient ensuite être admis au sein du réseau de santé turc, plus développé et plus complet.
Mais lorsque le tremblement de terre a frappé, les dégâts matériels causés au système de santé turc voisin ont été violents et le bureau de référence transfrontalier de Bab al-Hawa a été fermé. Il l’est resté pendant près de deux mois.
« La fermeture du poste frontière de Bab al-Hawa après le tremblement de terre a constitué un énorme défi pour nous, explique Abdel Malik Araour, responsable des soins infirmiers. Nous avons reçu des patients avec des brûlures plus importantes, jusqu’à 55 %, et presque tous étaient de jeunes enfants. Les brûlures sont plus dangereuses pour les enfants que pour les adultes. La vie des enfants est en danger lorsqu’ils sont brûlés à grande échelle, au-delà de 40 %, alors que les adultes résistent mieux. Il n’existe aucun autre établissement médical où nous pouvons orienter les patients. Nous étions obligés de trouver une solution pour eux. C’est ainsi que nous avons essayé d’augmenter notre capacité de prise en charge. »
Avant mars 2023, l’hôpital chirurgical d’Idlib disposait d’un petit service dédié à la prise en charge des brûlés. Mais il a dû fermer fin mars, pour des raisons budgétaires : le soutien financier international dont il bénéficiait avait cessé. Depuis, les victimes de brûlures du nord-ouest de la Syrie se tournent vers l'Unité des grands brûlés MSF d’Atmeh.
Après le séisme, les équipes MSF se sont mobilisées pour adapter leur structure médicale et leurs méthodes de travail. Elles ont utilisé chaque centimètre disponible à l'intérieur de l'établissement et ont réussi à ouvrir 12 nouveaux lits, portant ainsi la capacité de 17 à 29 lits. En outre, elles ont ouvert des centres de soin décentralisés, permettant aux personnes sorties de l'hôpital de recevoir un suivi, avec des soins de santé mentale, des pansements ou de la physiothérapie, à proximité de leurs lieux de vie. De cette manière, elles ont réussi à créer plus d'espace dans l'hôpital pour les urgences et la chirurgie, mais aussi à réduire le nombre de patients qui interrompaient leur traitement, car ceux-ci ne pouvaient pas se permettre de traverser toute la région pour poursuivre leurs soins.
Recevoir des patients gravement brûlés pose un autre défi, car toutes ces personnes ont besoin d’être admises dans une unité de soins intensifs durant leur traitement.
Un manque critique de lits dans les unités de soins intensifs
En raison de la nature de leurs blessures, les patients brûlés risquent de développer de nombreuses infections. Ils peuvent souffrir de fortes fièvres ou de graves problèmes respiratoires, qui peuvent être des signes de septicémie. Dans ce cas, ils nécessitent une attention et des soins continus. Le système respiratoire des personnes brûlées à plus de 40 % est mis à rude épreuve. Ils ont alors besoin d’une intubation, qui ne peut être effectuée que dans une unité de soins intensifs, avec un équipement approprié et une surveillance étroite. L’Unité des grands brûlés de MSF ne dispose pas de salle de soins intensifs.
Mohamed Darwish, directeur de l'hôpital, décrit les efforts déployés par l'équipe pour s'adapter et trouver des solutions pour ces patients, alors que les transferts avaient cessé après le séisme : « Au début, nous avons contacté de nombreux hôpitaux pour leur demander d'accueillir ces patients nécessitant des soins intensifs, mais juste après le tremblement de terre, tous ont refusé, à l'exception d'un hôpital pédiatrique. Les hôpitaux craignaient que les patients brûlés ne transmettent des infections à d’autres patients. Mais cet hôpital pédiatrique a accepté de recevoir des enfants. Cependant, ils ne disposaient que de deux lits pour les soins intensifs. Plus tard, l’hôpital d’Idlib a également accepté certains de nos patients. »
Toute l’équipe de l’Unité des grands brûlés de MSF se souvient d’une patiente « miraculée », comme d’un rayon de lumière, pendant cette période difficile. Elle s’appelle Tuqa, c'est une fillette de 10 ans, brûlée à 45 %, bien au-delà des critères habituels d'admission. Elle a été blessée par de l’eau bouillante, chez elle. Abdel Malik Araour partage son histoire :
« Elle a passé un mois complet dans notre hôpital. Après cela, nous l'avons orientée vers l'hôpital pédiatrique où elle a été admise en soins intensifs. Elle y est restée 15 jours, intubée. Nous avons fourni à l’hôpital pédiatrique les médicaments spécifiques dont elle avait besoin. Nous avons également envoyé un chirurgien, un médecin anesthésiste et des infirmiers pour le changement des pansements, ainsi que du matériel médical. À sa sortie de l’unité de soins intensifs, elle est revenue à l’Unité des brûlés pour être opérée. Nous faisions de petites greffes de peau sur tout son corps, pour éviter les cicatrices et les infections, étape par étape, avec précaution. Aujourd’hui, Tuqa est sortie et elle se sent bien. Ce fut un succès incroyable ! Elle est restée plus de deux mois à l’hôpital, et maintenant, elle est guérie, elle marche et parle. Elle vient dans notre établissement médical seulement pour des soins de suivi. Son accident s’est produit en avril, alors que le système de référencement vers la Turquie était encore complètement bloqué. »
Le nord-ouest de la Syrie, trop longtemps oublié, a besoin d’aide
Depuis huit ans, soit entre 2014 et 2022, la gravité et la durée du conflit syrien ont empêché le personnel international de MSF d'être physiquement présent dans le nord-ouest de la Syrie. L'équipe syrienne de MSF gérait seule l'installation, avec un soutien à distance de leurs collègues internationaux. Seules, les équipes de MSF Syrie ont apporté des soins à la communauté locale durant toutes ces années et ont été les premières à répondre à l'urgence du tremblement de terre, en déployant des ressources humaines, en ouvrant leurs entrepôts et en mettant en service les ambulances de MSF dès les premières heures de la catastrophe.
« La guerre nous a coupé du monde extérieur depuis 2014, pratiquement jusqu’au tremblement de terre, explique Abdel Malik Araour. Ce n’est qu’après que nos collègues ont pu nous rendre visite, car les autorisations d’entrer dans le nord-ouest de la Syrie, délivrées par la Turquie, sont devenues moins compliquées à obtenir. »
Pour MSF et d'autres organisations, cet accès facilité au nord-ouest de la Syrie après le séisme et les nombreuses visites d’évaluations réalisées depuis ont permis une prise de conscience plus nette de la situation dramatique à laquelle sont confrontés les habitants du nord-ouest syrien. Après 12 ans de guerre et une décennie de dépendance à l'aide humanitaire, la fermeture du système de transfert médical vers la Turquie coupait les patients d’un accès vital à des soins de qualité. Le système de santé du nord-ouest syrien demeure à ce jour sous-développé, fragile et fortement dépendant de l’aide internationale.
Concernant Atmeh, cela a également été l'occasion de reconnaître l'expérience et l'engagement remarquables de l'équipe syrienne de MSF tout au long de ces années incroyablement difficiles.
Fournir des soins de qualité aux patients brûlés nécessite une expérience poussée, une longue durée d’hospitalisation et un investissement élevé. Il s’est donc avéré particulièrement difficile pour d’autres hôpitaux de maintenir cette activité à une époque de financement incertain et en baisse.
Une structure modernisée et plus grande est actuellement en construction à proximité de l'actuel hôpital des brûlés d’Atmeh. Dans un an environ, elle sera prête à accueillir les patients de MSF et remplacera l'établissement actuel, avec un engagement renouvelé en termes de qualité des soins, d'approche multidisciplinaire et de suivi.
« À l'intérieur du nouvel hôpital des brûlés, il y aura un bloc opératoire entièrement dédié à la chirurgie reconstructrice, s'enthousiasme le Dr Moheeb. Nous serons en mesure de proposer des interventions chirurgicales actuellement impossibles à réaliser dans toute la région. »