Vue du camp de personnes déplacées de Bulengo, situé en périphérie de Goma. 12 février 2025.

Vue du camp de personnes déplacées de Bulengo, situé en périphérie de Goma. 12 février 2025.

© Daniel Buuma

Partir ou rester

Le sort des déplacés dans le camp de Bulengo à Goma

En République démocratique du Congo, après plusieurs jours de combats, le groupe armé M23/AFC a pris le contrôle de la capitale du Nord-Kivu, Goma, et de ses environs. Quelque 650 000 personnes déplacées vivaient jusque-là dans les camps insalubres en bordure de la ville, parfois depuis des années, après avoir fui les combats ou l’insécurité dans la région. Nombre d’entre eux s’interrogent sur la possibilité et les conditions d’un retour dans leur village d’origine. 

Selon les Nations unies, depuis le 23 janvier, plus de 2 900 personnes seraient décédées à Goma et ses environs en raison des combats entre le groupe armé M23/AFC, l’armée congolaise et leurs alliés respectifs. Les hôpitaux, mais aussi leurs morgues, se sont vite retrouvés débordés, comme ont pu en témoigner les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) présentes sur place.  

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Vue d'une tente installée dans l'hôpital de Kyeshero à Goma, que les équipes MSF soutenaient avant les combats qui ont touché la ville. De nombreux blessés ont été pris en charge.

Vue d'une tente installée dans l'hôpital de Kyeshero à Goma, que les équipes MSF soutenaient avant les combats qui ont touché la ville. De nombreux blessés ont été pris en charge.

© Michel Lunanga

Ces combats lourds, avec des tirs d’obus et d’armes automatiques, ont notamment affecté les centaines de milliers de déplacés entassés dans les camps insalubres qui bordent la ville de Goma.  

Dans le camp de Bulengo, certains déplacés ont préféré s’enfuir face à l’avancée des combats : « Il y a eu beaucoup de mouvements de population la semaine dernière en raison des affrontements, explique Judith, âgée de 20 ans, originaire d’un village situé à une trentaine de kilomètres de Goma. Il y a eu des bombardements. Nous avons quitté le camp pour nous mettre à l’abri avant de revenir lorsque la situation s’est calmée. » 

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Judith, 20 ans, originaire du territoire de Masisi. Elle habite dans le camp de Bulengo depuis deux ans.

Judith, 20 ans, originaire du territoire de Masisi. Elle habite dans le camp de Bulengo depuis deux ans.

© Daniel Buuma

Certains, restés dans les camps, ont perdu des proches qui se sont déplacés pendant cette période d’affrontements intenses : « Ma belle-sœur était partie en direction de Sake. Elle a été blessée par balle au niveau des jambes, déplore Rebecca, 24 ans. Mon frère a été blessé par un éclat d’obus. Il a été pris en charge à l’hôpital Ndosho de Goma. J’aimerais que la guerre cesse. » 

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Riziki, 30 ans, originaire du village de Rubaya dans le territoire de Masisi.

Riziki, 30 ans, originaire du village de Rubaya dans le territoire de Masisi.

© Daniel Buuma

C’est également le cas de Riziki, une femme âgée de 30 ans et mère de cinq enfants, qui a préféré rester dans le camp de Bulengo : « On a entendu beaucoup de bruits de coup de feu et d’obus. Nous sommes tout de même restés. Mon oncle paternel, qui vivait dans le camp de Rusayo, a été tué lors des affrontements. » 

Chapitre

Déplacements et traumatismes

Le camp de Bulengo abritait plusieurs dizaines de milliers de personnes avant le début des combats. C’est l’un des nombreux camps situés en périphérie de Goma, qui se sont progressivement remplis ces trois dernières années, au fur et à mesure que les habitants de certains territoires du Nord-Kivu ont fui les combats et l’avancée progressive du groupe armé M23/AFC.

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Vue du camp de déplacé de Bulengo. 12 février 2025.

Vue du camp de déplacé de Bulengo. 12 février 2025.

© Daniel Buuma

Les équipes MSF ont commencé à travailler dans ces camps rapidement après leur apparition, pour apporter un soutien aux personnes déplacées qui y vivent dans des conditions de précarité extrême. Les terres environnantes sont quasi incultivables, l’aide alimentaire insuffisante, et depuis 2023, les équipes MSF ont été témoins d’une explosion du nombre de consultations liées aux violences sexuelles perpétrées en majorité par des hommes armés. Plus de 17 000 femmes avaient reçu une prise en charge par l’association entre janvier et mai 2024.

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Des déplacés démontent les abris et partent du camp de Bulengo.

Des déplacés démontent les abris et partent du camp de Bulengo.

© Daniel Buuma

La plupart de celles rencontrées ce jour-là, le mercredi 12 février, sont originaires du territoire de Masisi et vivent à Bulengo depuis au moins un an. « Pendant les affrontements à Rubaya, mon village dans le territoire de Masisi, nous avons été victimes de bombardements, poursuit Riziki. J’ai perdu mes deux parents et sept autres membres de ma famille. Mon petit frère et moi avons échappé à cela, car nous n’étions pas à la maison. »

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Jeannette, 25 ans, mère de deux enfants et enceinte.

Jeannette, 25 ans, mère de deux enfants et enceinte.

© Daniel Buuma

Si, à la faveur d’une diminution des combats autour de Goma, de nombreux déplacés ont choisi de retourner dans leur village d’origine, d’autres hésitent encore, et la situation est confuse dans le camp de Bulengo. Les déplacés évoquent à la fois des ordres du groupe armé M23/AFC leur intimant dimanche 9 février, de quitter le camp et de retourner chez eux, mais aussi des consignes contraires prêtant à confusion. 

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Les équipes MSF travaillent depuis trois ans dans les camps de déplacés qui se situent en périphérie de Goma.

Les équipes MSF travaillent depuis trois ans dans les camps de déplacés qui se situent en périphérie de Goma.

 

© Daniel Buuma

« Je suis en train de démolir mon abri de fortune car il y a des gens qui sont passés et qui nous ont dit de partir sous trois jours, explique Zawadi, âgée de 30 ans et mère de six enfants. J’ai peur. Nous démolissons aujourd’hui, on se demande quoi faire d’autre. On avait fui les combats et maintenant les combats se déroulent où nous sommes. On nous demande de partir, mais là où nous devons rentrer il n’y a plus de maison, il n’y a plus rien. Nous partons car nous avons peur, une bombe est tombée à Mugunga à l’endroit communément appelé Kimachini. Il y avait certains membres de ma famille et ils ont été tués. » 

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Zawadi, 30 ans, mère de six enfants, originaire du territoire de Masisi.

Zawadi, 30 ans, mère de six enfants, originaire du territoire de Masisi.

© Daniel Buuma

Face à cette situation, les déplacés de Bulengo sont partagés. Certains aimeraient rentrer chez eux, avec l’assurance de pouvoir le faire de manière sûre, quand d’autres ne peuvent tout simplement pas regagner leurs foyers. « Je ne peux pas rentrer chez moi, conclut pour sa part Riziki, qui habite à Bulengo depuis deux ans. Je viens de Kingi, dans le territoire de Masisi, et il y a trop de problèmes liés à l’insécurité là-bas. Notre maison a été détruite. Le 7 août 2024, mon fils de 18 ans a été tué par balle. » 

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Conditions de retour

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Rebecca, 24 ans, originaire de la ville de Sake au Nord-Kivu.

Rebecca, 24 ans, originaire de la ville de Sake au Nord-Kivu.

© Daniel Buuma

Peu de déplacés encore présents dans le camp de Bulengo semblent prendre cette décision facilement, tant ils vivent avec les traumatismes des déplacements et des violences précédentes, et la peur d’en subir de nouvelles. Plusieurs organisations humanitaires ont arrêté leurs activités de soutien dans les camps ce qui inquiètent les personnes qui vivent sur place. 

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Rachele, 54 ans, mère de sept enfants, originaire du village de Kingi.

Rachele, 54 ans, mère de sept enfants, originaire du village de Kingi.

© Daniel Buuma

« On nous a dit de rentrer chez nous, mais je ne suis pas prête, explique Jeannette, 25 ans, mère de deux enfants. Il n’y a pas de nourriture et les maisons sont détruites. Ma maison a été brûlée. La situation est encore trop confuse, je préférerais rentrer dans une semaine. Une personne de ma famille a été tuée à cause des combats à Saké. Nous avons besoin de nourriture, d’eau et de paix. Nous ne pouvons rien planifier à cause de la guerre. » 

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Kafyambale, 42 ans, mère de sept enfants, originaire du village de Kitshanga, dans le territoire de Masisi.

Kafyambale, 42 ans, mère de sept enfants, originaire du village de Kitshanga, dans le territoire de Masisi.

© Daniel Buuma

La question des conditions du retour vers les villages d’origine reste en suspens, ces derniers étant souvent situés à plusieurs dizaines de kilomètres du camp de Bulengo. Les déplacés n’ont pour la plupart aucun de moyen de transport et pas les moyens de s’en payer. « Il y a des personnes et des enfants ici, nous ne pouvons pas partir comme ça, explique Kafyambale, 42 ans, mère de sept enfants, originaire du village de Kitshanga. D’après moi, ceux qui partent le font sous la contrainte. Ce n’est pas leur volonté et ils ne sont pas heureux de partir dans ces conditions. Beaucoup n’ont plus de maison dans leur village d’origine, car elles ont été détruites ou brûlées. Nous n’avons pas de moyens de transport et nous n’avons pas assez de nourriture. Les villages sont loin. Je sens la peur en moi, et je ne veux pas retourner dans un endroit où je n’ai pas de maison. Je ne sais pas quoi faire. » 

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Nyamasaka, 65 ans, originaire du territoire de Masisi.

Nyamasaka, 65 ans, originaire du territoire de Masisi.

© Daniel Buuma

Nyamasaka, 65 ans, quant à elle, s'est résolue à rentrer chez elle, malgré son âge. « On nous a dit que dans trois jours il ne devait plus y avoir personne dans le camp. Je n’ai pas peur, affirme-t-elle. Mais j’ai besoin de manger et j’aimerais qu’on m’accompagne jusque chez moi. Je vais prendre la route et je devrais être chez moi dans deux jours. Quand je serai dans mon village, j’aimerais reprendre la culture des champs. » 

Notes