Depuis la guerre civile et les exactions qui ont suivi le renversement, en 2013, du gouvernement Bozizé par les groupes rebelles regroupés dans la coalition Séléka, la République centrafricaine n’a connu que de brefs répits. Aux combats et aux attaques contre la population succèdent des périodes de calme relatif, dans un pays au système sanitaire à bout de souffle.
Une nouvelle phase de ce cycle de violence s’est ouverte en amont de l’élection présidentielle en décembre 2020. Plusieurs groupes armés ont alors annoncé leur fusion, dans la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC), afin de mener une offensive contre le Président sortant, Faustin Archange Touadéra. De nouvelles lignes de front se sont ouvertes un peu partout dans le pays, dont de vastes pans, en dehors de la capitale Bangui, étaient contrôlés par des groupes armés. Depuis plusieurs mois, les forces armées centrafricaines et leurs alliés internationaux mènent une offensive de reconquête des principales villes et des principaux axes du pays.
Durant la majeure partie de l’année 2021, le village de Nzacko est resté inaccessible aux organisations humanitaires, à cause des combats et de l’insécurité générale dans cette zone. Certains habitants sont restés cachés dans la forêt, par peur des attaques, sans accès aux soins de santé. Les équipes MSF sont parvenues à retourner à Nzacko en juillet, pour venir en aide à ces populations coupées du reste du pays. Reportage.
Lorsque le convoi des véhicules MSF entre à Nzacko en cette soirée de juillet, le paysage qui défile derrière les vitres offre une succession de bâtiments en ruines envahis par la végétation, de carcasses de voitures calcinées, de marchés et de commerces abandonnés. Le silence règne en maître, contrastant avec les affrontements qui ont résonné dans cette zone des mois durant.
République centrafricaine
Comme tant d’autres villages en RCA, Nzacko a été régulièrement confronté aux affrontements, aux pillages, aux exactions et aux destructions au cours de la dernière décennie. Ses 15 000 habitants sont depuis des années pris au piège d’une succession de violences qui affecte dramatiquement leurs conditions de vie.
Rose*, 44 ans, témoigne des conséquences de l’effondrement de son village et de son pays. « En 2013, notre vie a basculé, se remémore-t-elle. La violence et les massacres se sont enchaînés et nous avons dû fuir et nous cacher pendant des mois. Nous n’avions pas beaucoup à manger et ma fille a commencé à être très malade. Quand nous avons enfin pu rentrer, il n’y avait rien à manger à Nzacko. Ma fille était très affaiblie, très maigre. Nous sommes allés au centre de santé, mais il n’y avait plus rien dedans et les infirmières avaient fui vers Bangassou. Elle est morte cette nuit-là. Avec l’aide de nos voisins, nous l’avons enterrée à quelques mètres de la maison. »
Trois ans après ce drame, Rose s’apprêtait à accoucher lorsque des groupes armés rivaux se sont affrontés pour le contrôle du village et de ses ressources minières, entraînant la destruction de plus de 10 000 maisons et amenant un nouveau cycle de malheur pour les habitants.
« Je ne pouvais pas fuir et le poste de santé était à nouveau abandonné, raconte-t-elle. La seule sage-femme restante à Nzacko est venue chez moi pour m’aider. Elle n’avait qu’une bâche en plastique et du citron pour désinfecter ses ciseaux. Il n’y avait même plus de savon. J’ai accouché sur cette bâche... Mais quand ma fille est née, on ne l’a pas entendue crier. Elle n’a pas pleuré. Elle est décédée quelques heures plus tard. Nous l’avons enterrée aux côtés de sa sœur. »
Cette année encore, Rose et sa famille ont dû fuir quand les affrontements ont repris en janvier, comme partout ailleurs suite à l'élection présidentielle de la fin de l'année 2020.
Un village coupé d’une aide vitale
La majeure partie de la population a fui le village, et vit dans des conditions très précaires, hors de portée des humanitaires, du fait de l’insécurité.
« À l’exception de MSF, peu d’organisations ont eu accès au village depuis 2017, alors que tous les indicateurs y sont inquiétants, comme ceux concernant la malnutrition ou les maladies hydriques, confirme Pelé Kotho-Gawe, l’infirmier superviseur des activités MSF à Nzacko. Même s’il s’agissait de missions courtes, nous parvenions à nous y rendre. Mais avec la reprise des affrontements cette année, l’accès a été rendu impossible. »
Lorsque la situation s’est calmée, Rose, Jean-Marie et le reste de la population ont peu à peu commencé à revenir dans le village. En juillet, MSF a été la première organisation humanitaire à pouvoir y retourner pour évaluer les besoins et appuyer le seul centre de santé existant.
Quand nous sommes arrivés, nous avons trouvé un centre de santé totalement délabré. Les étagères de la pharmacie étaient vides. Les équipements inexistants ou inadaptés, et le personnel insuffisamment formé pour offrir des soins adéquats à la population. Et ce, alors que les besoins étaient criants. En forêt, le paludisme et la malnutrition avaient fait des dégâts...
Le convoi MSF qui entre dans le village ce soir-là, à la fin du mois de juillet, est parti tôt le matin de Bangassou, situé à 190 kilomètres au sud. Il a fallu plus de 10 heures à l’équipe pour arriver à destination. En cette saison des pluies, la route est boueuse, la traversée de la rivière prend du temps. À cause de la tempête, un arbre s’est abattu sur la route, obligeant l’équipe à sortir les scies sous une pluie battante pour permettre le passage des véhicules.
Arrivée à bon port, l’équipe MSF reste quatre jours à Nzacko. Quatre jours pour réassortir les étagères de la pharmacie, mener des formations pour le personnel de santé et les agents de santé communautaires, organiser des consultations médicales, installer des panneaux solaires pour fournir l’électricité nécessaire au refroidissement des vaccins… Une course contre la montre vitale au vu de la foule de patients serrés dans deux salles mal équipées, aux murs fissurés et aux lits étroits.
« Elle est entre de bonnes mains »
Couchée sur l’un d’eux, Octavie Braza, 33 ans, est sur le point d’accoucher de son septième enfant. Les contractions ont débuté il y a plus de trois heures et elle se sent faible.
De telles situations d’épuisement et de malnutrition peuvent être dangereuses pour la vie de la mère et de l’enfant. Ces derniers mois, une augmentation marquée de la mortalité maternelle a été constatée dans la zone. Heureusement pour Octavie, l’arrivée du convoi MSF lui permet d’être prise en charge. Retrouvant quelques forces, Octavie peut finalement prendre son fils dans ses bras après cinq heures d’efforts.
Le convoi reprend la route le lendemain vers Bangassou, avant de revenir poursuivre son travail la semaine suivante. Dans la foule, une femme s’avance, soutenue par sa sœur et accompagnée de sa fille. Elle s’appelle Véronique et est enceinte de sept mois. La jeune femme souffre énormément. L’équipe l’ausculte, la conclusion est immédiate : il faut l’emmener jusqu’à Bangassou. Une fois arrivés à l’hôpital que MSF soutient depuis 2014, Pelé Kotho-Gawe l’emmène aux urgences.
« Nous allons la garder ici quelques jours en observation, explique-t-il. Si la douleur continue, elle accouchera ici. Dans son état, rester à Nzacko n’était pas une option. »
République centrafricaine : une population livrée à la violence
D’après l’Onu, plus de la moitié de la population centrafricaine nécessite une aide humanitaire. Près de 1,4 million de personnes sont déplacées ou réfugiées, et la RCA continue d’occuper le haut du classement des pays connaissant les situations les plus critiques en termes d’espérance de vie, de mortalité maternelle, de malnutrition ou d’accès aux soins.
*Les noms ont été changés par souci de confidentialité