Près de 20% des Rohingyas testés dans les camps de Cox’s Bazar, au Bangladesh, sont infectés par le virus de l’hépatite C : c’est ce que révèle une étude récente menée par Médecins Sans Frontières (MSF) et Épicentre, la branche de MSF dédiée à l’épidémiologie et à la recherche médicale. Ce chiffre colossal met en lumière les conséquences délétères de leurs conditions de vie, faites de violences, de discriminations et de précarité.
C’est avec l’espoir de guérir que, chaque jour, des centaines de patients s'alignent, dans une file d'attente qui semble sans fin, devant la clinique spécialisée de Médecins Sans Frontières à Cox’s Bazar. « Ils ont été témoins des ravages que cause l’hépatite C, ayant eux-mêmes perdu des membres de leur famille ici ou lorsqu’ils vivaient encore au Myanmar », explique le docteur Wasim Firuz, coordinateur médical adjoint à MSF.
Depuis quatre ans, lui et son équipe ne peuvent traiter qu'une infime partie des réfugiés rohingyas affectés par cette maladie infectieuse, souvent diagnostiquée chez plusieurs membres au sein d’une même famille. C'est le cas de Mujibullah, dont la femme et les deux sœurs sont atteintes du virus de l’hépatite C (VHC). Sa mère, décédée, craignait déjà à l’époque que le virus ne se transmette à toute la famille et s'inquiétait du coût du traitement.
Une enquête récente (1) de MSF et Épicentre menée dans les camps de Cox’s Bazar révèle qu'au moins un adulte rohingya sur trois a été exposé au virus et que près d'un sur cinq souffre d'hépatite C chronique active – soit environ 86 000 personnes. Depuis octobre 2020, MSF a reçu plus de 8 000 patients, accueillant entre 150 et 200 nouveaux patients chaque mois, ce qui reste encore insuffisant pour répondre aux besoins.
« Au cours des cinq ou six mois qui ont précédé le début de mon traitement, je me sentais si mal que je ne pouvais même pas me rendre au marché juste à côté de chez nous, poursuit ce père de cinq enfants. Chaque fois que je pensais au trajet, j'avais l'impression que j'allais m'effondrer sur la route, j'étais faible, fatigué et nauséeux. J’ai pris le traitement pendant trois mois, j'ai senti que ça allait mieux. La fatigue, la perte d'appétit et les douleurs ont petit à petit disparu. »
Traitement efficace, accès limité
L'accès au diagnostic et au traitement reste insuffisant dans de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire, comme c'est le cas au Bangladesh. En 2022, l'OMS estimait que l'hépatite C avait entraîné la mort de 242 000 personnes dans le monde, principalement à cause de complications telles que la cirrhose ou le cancer du foie. Depuis 2014, les antiviraux à action directe (AAD) permettent de traiter l'hépatite C de manière efficace. Les équipes de MSF ont ainsi utilisé ces nouveaux traitements pour soigner environ 19 000 personnes au Cambodge entre 2016 et 2021. Rapidement après l’émergence des camps de réfugiés à Cox’s Bazar, MSF a décidé de lancer un modèle simplifié et rapide pour le traitement de l'hépatite C au sein de la communauté rohingya.
« Ce modèle repose notamment sur l’utilisation de tests de diagnostic rapide ainsi qu’un nombre réduit de visites de suivi et d’examens biologiques, explique le docteur Farah Hossain, responsable adjointe des programmes médicaux à MSF. Cela permet une prise en charge plus rapide et extrêmement efficace. »
« Dès le début, il était clair que la demande de soins pour l'hépatite C était élevée dans les camps, on pouvait voir de très longues files d'attente, se rappelle Farah Hossain. Il était urgent d'estimer le nombre de personnes nécessitant un diagnostic et un traitement. »
Si le Bangladesh a un plan de lutte contre l'hépatite virale, le coût des diagnostics et des traitements restent cependant élevés. Chaque test de diagnostic coûte par exemple 20 dollars US et chaque personne testée doit l’être deux fois, avant le début du traitement et à la fin de celui-ci, avec un coût total de 40 dollars US par personne, ce qui augmente encore les frais médicaux à la charge des patients.
Dans les camps de Cox’s Bazar, les cliniques de MSF restent les seuls endroits offrant un traitement gratuit. C’est donc là que se rendent des centaines de Rohingyas, qui vivent depuis 2017 dans la précarité la plus extrême, enfermés dans des camps dont ils ne peuvent sortir et où ils n’ont pas le droit de travailler.
« Le traitement contre le VHC n'est disponible que dans l’hôpital MSF, ce qui rend difficile l'accès aux médicaments dont les gens ont besoin pour se soigner et avoir une chance de survivre avant que ça ne s’aggrave », poursuit Shamsul.
« Nous prenons en charge les personnes âgées de 40 à 70 ans, précise le docteur Wasim. Les jeunes ont une chance de rémission et il faut généralement des années pour qu'ils développent des complications, tandis que les personnes âgées sont plus vulnérables. Nous ne pouvons pas traiter tout le monde à cause des ressources limitées. »
Dans les camps, des besoins massifs
Les principales voies de transmission de l'hépatite C sont le sang, principalement par le biais d'injections non stérilisées ou de pratiques médicales dangereuses. Selon l'étude réalisée par MSF et Épicentre, l'exposition à ces pratiques semble être le principal facteur de risque dans le contexte spécifique et confiné des camps.
Environ 70 % des personnes ayant participé à l'étude ont rapporté avoir reçu des injections à visée thérapeutique, soit dans les camps du Bangladesh, soit au Myanmar, souvent dans des établissements médicaux, chez des guérisseurs traditionnels ou encore lors d'accouchements réalisés de façon traditionnelle. Les conditions de vie difficiles, dans des espaces restreints et surpeuplés, le manque d'accès aux soins, l'absence de statut juridique et la réduction de l'offre de santé ont rendu les réfugiés rohingyas plus vulnérables notamment aux infections, dont l'hépatite C.
« Après avoir ressenti les symptômes de l’hépatite C, j'ai consulté un guérisseur traditionnel pour obtenir des remèdes à base de plantes », continue Shamsul. Ces remèdes, à base de lianes et d'écorces, avaient un goût très amer. Ma femme, qui avait aussi l’hépatite C, les a pris et s’est sentie mieux. Encouragé par son amélioration, j'ai commencé à les prendre. Au début, nous avons ressenti un certain soulagement, mais après quelques jours, les symptômes sont réapparus et ma femme a commencé à éprouver des symptômes similaires aux miens. »
« L'hépatite C est devenue une préoccupation majeure pour toute la communauté, explique Baduran, un agent de santé communautaire à MSF. Voir la douleur et la frustration des gens me brise le cœur. En tant que membre de cette communauté, je partage leurs luttes. J'aimerais que nous puissions soigner tout le monde, mais ce n'est pas possible. »
« La peur de l'hépatite C demeure, nous rappelant constamment les choix difficiles auxquels nous sommes confrontés », conclut Baduran.
Briser la chaîne de transmission
Le traitement du virus de l'hépatite C a fait d'énormes progrès ces dernières années, avec des taux de réussite atteignant 95% grâce aux nouveaux antiviraux à action directe, ce qui est également observé par les équipes de MSF dans les camps de Cox’s Bazar. Une campagne massive de dépistage et de traitement du VHC devra être mise en place dans l'ensemble des camps de réfugiés rohingyas au Bangladesh, ce qui nécessite une augmentation rapide de l'accès au dépistage et au traitement.
« En parallèle, il faut briser la chaîne de transmission grâce à une campagne de prévention et de promotion de la santé à grande échelle, explique le docteure Farah Hossain. Une initiative multipartenaire impliquant des acteurs humanitaires et de santé est nécessaire pour coordonner ces efforts. »
La plupart des personnes atteintes du VHC ne présentent aucun symptôme jusqu'à ce que la maladie devienne grave, menaçant leur vie après de nombreuses années d'évolution, conduisant à l'ascite, à la jaunisse ou au cancer du foie.
« Si le VHC est détecté et traité à temps, il peut être éliminé, préservant ainsi la santé du foie, poursuit la référente médicale. À long terme, l'intégration du traitement de l'hépatite C dans tous les centres de santé est nécessaire pour prévenir de nouveaux cas et casser la chaîne de transmission. »
MSF collabore actuellement avec le ministère de la santé du Bangladesh pour élaborer un plan national de traitement de l'hépatite C, s'inspirant du modèle simplifié de prise en charge mis en place dans les camps.
Le modèle simplifié de soins, prêt à être partagé avec tous les acteurs médicaux dans les camps, devrait faciliter l’utilisation du traitement contre le VHC. Des campagnes d'éducation à la santé sont nécessaires pour combler le manque d'informations sur la prévention du VHC dans les camps. Des activités communautaires pour lutter contre la stigmatisation et la discrimination doivent également être mise en œuvre.
« L’annonce de l’ouverture d’un programme de lutte contre l’hépatite C dans les camps de Cox’s Bazar par l’Organisation Mondiale de la Santé, Save The Children et l’Organisation Internationale pour les Migrations, représente un pas important dans la bonne direction », conclut Farah Hossain.
« Nombreux sont ceux qui, dans notre camp, partagent cette lutte silencieuse. Les tests confirment la présence du virus, mais le traitement reste coûteux. Une chose est sûre : il existe un remède et de nombreuses personnes ont guéri. C'est à cet espoir que je m'accroche. L'espoir qu'un jour, le médicament dont ma femme a désespérément besoin sera disponible.
Les Rohingyas, une minorité musulmane originaire de l'État de Rakhine au Myanmar, sont parmi les populations les plus persécutées au monde. Depuis des décennies, ils subissent discrimination, violence et déplacements forcés. Le 25 août 2017, une importante campagne de violences ciblées contre les Rohingyas a éclaté au Myanmar, poussant des centaines de milliers d’entre eux à fuir vers le Bangladesh, dans les camps de Cox’s Bazar, où ils vivent dans des conditions précaires, dépendant entièrement de l'aide humanitaire.
(1) Épicentre, le centre d'épidémiologie et de recherche de MSF, a mené une enquête auprès de 680 ménages dans sept camps de réfugiés rohingyas, situés à Cox's Bazar, au Bangladesh, entre mai et juin 2023.