"Je m’appelle Esnart Mbandambanda. Je suis née le 1er janvier 1957. J'ai cinq enfants de mon mari qui est décédé le 6 février 1998. Il est parti travailler en Afrique du Sud, juste après la naissance de notre dernière fille. Il y a passé 5 ans et durant cette période je l'ai attendu, confiante, je n'ai eu aucune relation sexuelle".
Mon mari est revenu après 5 ans d’absence, le 6 janvier 1997. Nous avons commencé à nous quereller à propos des informations que nous avions eues ici à propos du VIH. Pour moi, il était clair que quelqu’un ayant passé 5 ans à l’étranger pouvait être considéré comme une personne à risque et qu’il devait faire un test avant que nous ayons des rapports non protégés.
Mon mari a refusé tout net, est devenu violent, jusqu’à me menacer avec un couteau en disant qu’il me tuerait si je lui reparlais de ces histoires de test VIH. J’ai essayé de lui rappeler que les messages de prévention étaient partout dans les journaux, les radios et les affiches, et vu que nous avions été séparés pendant 5 ans, nous pouvions tous les deux être considérés comme à risque. Il a fermé toutes les portes à clé et m’a prise de force. Ayant eu des rapports non protégés, nous mettant l’un et l’autre en danger, nous avons convenu qu’il n’était plus nécessaire de parler de test.
Un mois plus tard, le 7 février 1997, il est reparti travailler en Afrique du Sud. Cinq mois plus tard, il m’a appelé pour me dire qu’il était très malade, qu’il ne pouvait pas rentrer au Malawi et que si son état continuait à se dégrader, il mourrait probablement en Afrique du Sud. Un de ses neveux l’a ramené au Malawi. C’était le 15 octobre 1997, il était si malade qu'il ne pouvait pas marcher sans aide. J'étais seule pour m’occuper de mon mari et fin novembre de cette même année, je suis moi-même tombée malade. J’ai eu un zona qui m’a beaucoup affectée, je m’évanouissais fréquemment, au bout de 3 mois de traitement j’allais mieux. L’état de mon mari se détériorait, sa famille refusait de m’aider à l’emmener à l’hôpital, préférant la médecine traditionnelle. Son état empirant, nous l’avons amené au Queen Elizabeth Central Hospital où il a passé une semaine et on lui a fait un test VIH. A son retour, il a refusé de me donner les résultats, il s’est mis en colère disant que cela ne me regardait pas et a gardé le secret jusqu'à sa mort , le 6 février 1998.
A ce moment là, les gens ont commencé à nous rejeter, à nous insulter, mes enfants et moi. Je suis restée dans une situation très angoissante jusqu’en 1999, où en triant les affaires de mon mari j’ai trouvé ses résultats : il était séropositif. Je suis alors allée me faire tester et le test s’est révélé positif.
A l’époque il n’y avait pas d’ARV mais nous avions des séances de conseil psycho social qui nous informaient sur la façon de vivre avec le sida. Je remercie MSF pour l’attention de conseillers comme Masida, Frazer, Mike dont la plupart travaillent encore à MSF aujourd'hui. Je me souviens aussi de Margot, infirmière, et du Dr Michael. Ces personnes m’ont sauvée et j’ai repris goût à la vie. Malgré quelques soucis, j'ai décidé de prendre en main ma propre vie. Après quelques séances de counseling, j'ai repoussé les idées de suicide, et me suis tournée vers Dieu.
J'ai commencé les ARV, le 21 janvier 2002 et je suis le n° 89 dans notre cohorte, je pesais 23 kg, mon taux de CD4 était de 75, j'’étais très faible et maigre. Après, j’ai repris du poids. Au même moment la famille de mon mari est venue chez moi pour pendre toutes ses affaires en nous laissant les mains vides enfants et moi. Cela m’a beaucoup affectée. Heureusement j’ai pu partager cela avec plusieurs personnes, dont mes conseillers, cela m'a aidé à accepter ma situation. Mais j'ai dû faire face à de nombreux problèmes pour nourrir ma famille et envoyer mes enfants à l'école. J'étais encore faible, mais je pouvais marcher pendant plus de 7 heures pour aller l'hôpital quand ma famille refusait de m’y accompagner.
Merci à MSF car à partir de ma troisième visite j’ai continué à reprendre du poids, et à montrer des signes d'amélioration, je pesais 26 kg. J’ai pu trouver la force de reprendre les tâches ménagères et de marcher de longues distances sans trop me fatiguer. J’ai alors eu envie de m’engager dans la lutte contre l’épidémie de VIH dans ma région. Je voulais encourager les gens à aller se faire tester. J’ai donc commencé à travailler bénévolement, avec l'aide de MSF. Il y avait beaucoup d’idées fausses au sujet des médicaments antirétroviraux dans notre communauté.
Mon état a continué à s’améliorer et des gens qui s'attendaient à ce que je meurre ont commencé à venir me voir pour me demander comment j'avais réussi à aller mieux. Beaucoup pensaient que j'avais eu recours à la médecine traditionnelle mais quand je leur ai dit que c’était grâce au traitement donné par l’hôpital, ils n'en croyaient pas leurs oreilles.
Je leur ai révélé ma séropositivité, ce qui a eu à la fois des effets positifs et négatifs. Certains ont continué à me rejeter et d'autres sont venus me parler, me demander des conseils et m'ont soutenu. Mes collègues et moi avons monté un petit groupe de soutien pour partager nos expériences à la fois pour les personnes sous ARV et pour ceux qui ne l’étaient pas encore. Nous avons contacté MSF qui nous a fourni un local pour nos rencontres.
Nous avons mis en place une thérapie de groupe, des discussions sur comment gérer sa vie, la stigmatisation ou la discrimination, fourni des soins de base, offert un soutien moral et pris soin de ceux ne parvenaient pas à aller à l'hôpital. Les réunions avaient lieu une fois par semaine, et le groupe se développait car l'équipe de counsellers nous référait des patients. Quand notre groupe a atteints 60 personnes, MSF nous a offert une formation de 6 semaines (théorique et pratique) de « community counselors ». Puis nous sommes allés dans les centres de santé proches de Chiradzulu, afin de promouvoir le dépistage du VIH, faire du counselling et informer sur l’accès aux ARV. J’intervenais au centre de santé et de Mbulumbuzi où je m’occupais de la formation des counselors pour le test VIH. Leur rôle étant d’inciter la population à se faire tester. Je m’occupais aussi de la recherche de ceux qui étaient perdus de vue,je pouvais marcher des heures pour tenter de retrouver ces patients.
Je faisais ce travail bénévolement. Cela était très intéressant, reconnu par ma communauté et par le personnel de santé. World Vision m’a contactée pour que j’anime des réunions avec les chefs de villages, faire de la prévention. Je recevais une indemnité qui me permettait de nourrir ma famille, d'acheter les uniformes scolaires, etc. Le 17 mars 2004, le chef de mission MSF m’a proposé un contrat de 3 mois pour travailler sur la recherche des perdus de vue. Puis je suis passée en CDI. En 2008, j’ai commencé à travailler avec l’équipe IEC (Information – Education – Communication) comme chargée IEC. Mon rôle est de travailler sur les stratégies de prise de conscience pour la communauté, le changement des comportements, la promotion de l'adhérence aux traitements ARV, l’utilisation des préservatifs, la prévention des risques liés à la multiplicité des partenaires et la lutte contre la violence envers les femmes.
MSF fait un super travail à Chiradzulu et je sais bien que sans eux, je ne pourrais pas être là pour vous raconter mon histoire. Grâce à MSF, je suis toujours en vie, j’ai du travail, je prends soin de mes enfants, que j’ai pu envoyer à l’école, et de mes neveux orphelins après le décès de leur mère. Je m’occupe également de mes parents dont la santé est fragile. Je sais que sans MSF rien de tout cela n’aurait été possible pour ma famille.
L’épidémie de sida est loin d’être sous contrôle, c’est pourquoi je fais appel à MSF pour qu’ils continuent leur action. Nous serions très heureux de pouvoir fêter ensemble nos 10 ans de traitement avec les équipes MSF, et de faire savoir à tous que les ARV permettent de réduire de façon importante la mortalité, redire l’importance du travail de MSF.
Les progrès en termes de prise en charge sont particulièrement importants en ce qui concerne les femmes avec la mise en place du programme de prévention de la transmission de la mère à l'enfant qui leur permet de mettre au monde des enfants séronégatifs. La stigmatisation et la discrimination diminuent, de même que la prévalence. Les gens se sentent libres d’aller dans les centres de santé pour se faire soigner, sans craindre la stigmatisation La décentralisation permet de soigner les patients au plus près de chez eux.Un grand merci à MSF pour tout le travail accompli, qui permet l’accès au traitement aux plus pauvres d’entre nous."
Dossier 10 ans de traitement antirétroviral au Malawi