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Témoignages du Pakistan : le visage de la violence

Bloc opératoire à l'hôpital d'Hangu dans la province de Khyber Pakhtunkhwa au Pakistan
Bloc opératoire à l'hôpital d'Hangu dans la province de Khyber Pakhtunkhwa au Pakistan © Isabelle Merny/MSF

Trois attentats, trois vagues de blessés en trois jours, du jamais vu à l’hôpital d'Hangu, au Pakistan, où pourtant les explosions sont monnaie courante. Des dizaines de patients qui affluent aux urgences, hommes, femmes, enfants. Du sang, des cris, de la colère et du sang-froid. Pendant trois jours, les Médecins Sans Frontières, expatriés et pakistanais, se sont mobilisés pour porter secours aux victimes.

« C’est monté crescendo. Lundi, à 16h, le téléphone sonne. C’est Damien, le responsable du projet MSF à Hangu qui m’appelle pour me prévenir qu’un attentat a eu lieu à Kurram, à 3h de route d’ici. C’est ainsi que Nicolas, responsable de la logistique à Hangu, démarre le récit de ces trois jours sous tension. Les premiers patients transférés depuis Saada sont arrivés vers 20h. On était prêt et ça s’est bien passé ».

Mardi, c’est à 12h30 que Damien appelle Emmanuel, médecin référent. « Je venais à peine de rentrer d’Islamabad en voiture quand Damien m’annonce qu’un autre attentat vient d’avoir lieu à Doaba, à 1h de route d’Hangu, et qu’il y a beaucoup de blessés. On avait entre 45 minutes et 1h avant l’arrivée des premiers patients. »
C’est le top départ. Les équipes sont préparées à ce genre de situation et savent exactement quoi faire. « Il y a deux enjeux: l’un logistique et l’autre médical, explique Emmanuel. Pour la logistique, le principal danger c’est la foule, il faut la contrôler pour éviter qu’elle envahisse les urgences. Et pour le médical, il faut s’assurer en quelques minutes que les étapes essentielles du plan soient effectives : une chaine de communication en place, une équipe chirurgicale prête et le bloc disponible, des lits libres, une salle de tri et un service d’urgence organisé en terme d’équipement et de répartition des taches ».

37 patients arrivés par à-coups en l’espace de deux heures

Nicolas se trouve dans la salle des urgences : « je supervise le transport des patients, j’appelle les brancardiers, les ambulances ». Emmanuel, quant à lui, est chargé tout d’abord de ce que l’on appelle le « triage » : en fonction de leur état, en quelques secondes je leur attribue une couleur de priorité en fonction de la sévérité de leur blessures, selon le système NOIR > ROUGE > JAUNE > VERT. »

Pour Emmanuel, c’est du sang-froid et des réflexes qu’il faut avoir à ce moment-là. « On doit rester sur nos priorités, contrôler la foule, réorienter les patients « verts », les moins urgents, et distinguer les patients  « noirs », ceux qui n’ont plus aucune chance de s’en sortir. Ceux là ont besoin d’un autre type de soins ; on soulage leur douleur et on les accompagne avec dignité jusqu’à la fin. Ce sont les patients « rouges » et « jaunes » sur lesquels on doit concentrer nos ressources thérapeutiques, ceux dont le pronostic vital est engagé, et que l’on peut sauver. »

Parmi les victimes de l’explosion de mardi, un enfant de huit ans arrive aux urgences avec son père en même temps que deux autres patients. « Son père était énervé, stressé, j’ai essayé de le calmer » explique Nicolas. Pendant ce temps, Emmanuel examine le garçon. « Il avait reçu un projectile explosif dans la poitrine, il était en détresse respiratoire et circulatoire. C’était difficile, il était dans un tel état que sur le coup je me suis dit qu’il ne survivrait pas plus de quelques minutes. Mais on avait quand même peut-être une chance. Alors je l’ai mis rouge et il est allé directement en salle de réanimation. L’éclair d’un instant, l’anesthésiste et moi, on espérait qu’une ultime tentative pouvait marcher, mais malgré tous nos efforts, il est décédé quelques minutes plus tard. Ce sont ces cas-là les plus difficiles, les cas rouges presque noirs pour lesquels on a quand même un espoir… »

Rester concentré sur ce qu’il y a à faire, garder la tête froide

« Sur le moment, tu ne vois pas que c’est intense, tu es dedans, c’est après qu’on réalise. La nuit suivante, j’ai eu du mal à dormir. Et puis mercredi, on s’y attendait, la période critique c’est entre 11h et 14h, au moment de la prière. A 14h il ne s’était toujours rien passé, on souffle un peu à la maison, raconte Nicolas. Dix minutes plus tard, j’entends un gros boum. Là tu as le cœur dans les talons. Heureusement, on a un staff fabuleux… Le temps de courir les 400m qui séparent la maison de la salle d’urgence et de jeter trois matelas par terre, il y avait déjà des patients qui arrivaient. » Quand Emmanuel a entendu l’explosion tout près de l’hôpital, il se met à courir vers les urgences, prévient le chirurgien en chemin : « en quelques minutes, il y avait déjà 10 patients qui gisaient par terre dans leur sang aux urgences. »

Contrairement aux deux jours précédents, les victimes arrivent instantanément à l’hôpital, et la foule avec eux. Car c’est au marché que l’explosion a eu lieu. « Dans l’entrée des urgences, l’ambiance est apocalyptique, bruyante, les gens crient, il y a du sang partout, sur les vêtements, sur le sol… On a peu de temps pour réfléchir, d’où l’importance d’être bien préparé. A Hangu c’est une expérience que le staff a acquise, malheureusement. » Il faut agir vite, Nicolas et son équipe ferment l’accès aux urgences de l’intérieur et de l’extérieur. « Quand un patient arrive, il est accompagné de 5, 6, 7 personnes, qui veulent toutes être auprès de lui, être au courant. Donc pour laisser leur espace de travail aux soignants, on n’autorise qu’un seul accompagnant par patient à entrer dans la salle d’urgences. Ce sont les gardiens qui sont en première ligne. Les gens crient, ils sont violents, poussent les barrières. Alors on leur parle, et ils finissent par comprendre. »

18 blessés dans la salle d’urgences en moins de 10 minutes

Même si chacun sait qu’en venant à Hangu, ils risquaient d’affronter ce type de situation, la tension est là, palpable. « On est jamais prêt à ça, nous les logisticiens, à voir tout ce sang… Mercredi, les deux premières patientes, c’était des petites filles, de 7 et 10 ans, avec de grands yeux bleus, magnifiques, l’une en état de choc, l’autre avec le bras brûlé... T’as la haine…».

80 patients en tout ont été pris en charge aux urgences mercredi. Parce qu’en plus des 18 victimes de l’attentat, 17 autres cas rouges sont arrivés, urgences cardiologiques, neurologiques, traumatisme crânien, des patients qui demandent toute l’attention et les ressources de l’équipe. Une journée exceptionnellement chargée et éprouvante. « Les derniers blessés sont arrivés vers 16h30, on a repris l’activité normale de l’hôpital, et j’ai fait acheter des glaces pour tout le monde. La nuit dernière était agitée, on réfléchit pour savoir comment améliorer ci ou ça… C’est Hangu, mais trois attentats coup sur coup, c’est beaucoup ». Nicolas raconte ces trois derniers jours tout en fumant sa cigarette. Vendredi, jour de prière, le risque d’attentat est d’habitude élevé. Mais samedi, ce sont les élections législatives. « On est sur le qui-vive en permanence. On s’y attend tous, à tout moment le téléphone peut sonner, une bombe peut exploser ».

Après trois jours à ce rythme, la fatigue commence à se faire sentir dans l’équipe. Les neuf expatriés savent qu’ils seront remplacés dans quelques mois, mais le personnel pakistanais lui, reste là, et se bat au quotidien. « Tous les jours, dit Nicolas, ils me répètent « on est à Hangu, tout et n’importe quoi peut arriver n’importe quand ». Ils vivent avec ça au quotidien, ils vont au bazar, faire des courses, boire un thé, ils vivent quoi… »

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