Difficultés d'accès aux soins.
A Akuem, l'expression prend tout son sens. Apporter des soins aux personnes qui n'y ont pas accès, en situation de conflit ou d'exclusion, est le fondement même de l'action médicale humanitaire. En France, cela peut vouloir dire se battre pour faire respecter le droit de tous à se faire soigner, en dépit d'obstacles juridiques ou administratifs. Ici, les obstacles sont d'une autre nature... Si les gens n'ont pas accès aux soins, c'est que les structures médicales n'existent pas ou bien sont à des heures, voire des jours de marche. La saison des pluies, qui fait sortir les rivières de leur lit et inonde de vastes zones, complique un peu plus les déplacements, quand ils ne sont pas purement et simplement impossibles.
Un dispositif mobile
Depuis l'année dernière, pendant la saison des pluies et le pic de paludisme qui l'accompagne, Médecins Sans Frontières met donc en place un dispositif pour dépister et soigner gratuitement les malades dans les villages isolés autour d'Akuem. « Du lundi au vendredi, des équipes mobiles de trois personnes chacune, sillonnent à vélo tout le comté d'Aweil East », explique Jeff, l'infirmier qui supervise cette campagne. Arrivé au début du mois d'août pour les premières pluies, il s'est occupé du recrutement des équipes, de leur formation, de l'organisation logistique, du recueil de données statistiques, etc. Une mission courte de deux mois pour mettre le projet sur les rails avant de passer le relais à Ruth, qui assumera le suivi jusqu'à la fin de la saison des pluies courant novembre.
Pédaler dans la boue
Le travail de Jeff consiste également à superviser les équipes mobiles sur le terrain, en leur apportant conseils et formation continue. Ce jeudi-là, sa destination est Riang Aketh. Pour cette expédition à travers la brousse, Jeff annonce deux heures de vélo. Il en faudra près de cinq, à pédaler dans la boue, s'enliser, mettre pied à terre et recommencer ! Les vélos sont mis à rude épreuve et les pépins mécaniques allongent un peu plus le parcours.
A l'occasion d'une réparation, l'équipe est sollicitée pour ausculter Kuot Piol, un an. Cette petite fille chétive souffre de diarrhées depuis 14 jours. Catherine, l'infirmière qui accompagne Jeff ce jour-là, lui fait un MUAC, c'est-à-dire qu'elle évalue son degré de malnutrition en mesurant le périmètre de son bras gauche. Le résultat n'est pas très rassurant : le MUAC indique un ratio poids-taille aux alentours de 75%. Kuot Piol souffre de malnutrition modérée, et Catherine rédige une ordonnance pour que sa mère l'amène se faire soigner à Akuem. Reste à espérer que la demi-journée de marche et les contraintes d'une hospitalisation - pendant ce temps-là, la mère ne peut pas s'occuper de ses autres enfants - ne la dissuaderont pas.
A mi-chemin, il faut traverser la rivière Akuem. Les vélos d'abord sur la pirogue rudimentaire, simple tronc d'arbre évidé, puis les passagers trois par trois. Folklorique... Le passeur facture l'aller-retour 200 dinars soudanais par tête. Et encore, MSF a dû négocier, car avant le tarif était de 200 dinars par traversée pour chaque membre des équipes mobiles, et 200 de plus pour leur vélo ! On imagine que ce péage peut constituer une barrière supplémentaire, en plus de la distance, pour les malades qui veulent rejoindre Akuem pour se faire soigner.
Encore un effort, et voilà enfin Riang Aketh. Joseph, Tito et Peter Wol, les trois membres de l'équipe mobile, sont au rendez-vous. Partis lundi matin d'Akuem, ils ont vu mardi et mercredi 373 personnes, parmi lesquelles 122 ont reçu un traitement pour le paludisme. Ce jeudi, aucun patient ne s'est présenté.
« C'est bon signe, estime Jeff. Lors des deux premières visites à Akuem, le nombre de malades dépassait les 300. Cela montre sans doute que nos visites régulières dans ce village commencent à porter ses fruits et le nombre de cas de paludisme à diminuer.»
Du coup, l'équipe ira finir sa semaine du côté de Guengkou, à deux heures de vélo de l'autre côté de la rivière Lol.
Pour les malades, un trajet plus dur encore
A la nuit tombée, c'est enfin le retour à Akuem. En bonne santé et à vélo, les volontaires MSF reviennent sur les rotules. On imagine l'épreuve que ce trajet représente pour des patients affaiblis et malades, à pied la plupart du temps. Certains marchent deux jours ou plus.