Ethiopie : embarquement pour une mission exploratoire

La majeure partie des activités nutritionnelles d'urgence de MSF se situe dans le sud de l'Ethiopie, dans les régions SNNP et Oromo. Dans d'autres régions du pays des équipes MSF mènent des évaluations et décident ensuite, suivant la situation, d'ouvrir ou non un nouveau programme. Comment se déroule une mission exploratoire ? En voiture avec une équipe en direction du sud Wollo, au nord de la capitale Addis-Abeba.

La majeure partie des activités nutritionnelles d'urgence de MSF se situe dans le sud de l'Ethiopie, dans les régions SNNP et Oromo. Dans d'autres régions du pays des équipes MSF mènent des évaluations et décident ensuite, suivant la situation, d'ouvrir ou non un nouveau programme. Comment se déroule une mission exploratoire ? En voiture avec une équipe en direction du sud Wollo, au nord de la capitale Addis-Abeba.

Les portières claquent, le moteur tourne, la mission débute enfin. Le logisticien vérifie encore la liste du matériel sur sa feuille : téléphone satellite, cartes topographiques, sacs de couchage, couvertures, tentes, un petit stock de nourriture, de l'eau mais aussi une pelle et une pioche pour installer des circuits de dépistage. Le médecin s'est assuré que la malle d'urgence était complète et chacun s'absorbe dans ses pensées en regardant les dernières maisons d'Addis Abeba, la capitale éthiopienne.

 

PAYSAGE DU NORD
Première journée
. Deux heures après le départ, premières inquiétudes. Au rythme actuel, mieux vaut oublier d'atteindre Dessié ce soir. Pas besoin de limite de vitesse, la voiture ne dépasse pas les 50km/h sur cette route défoncée. Le chauffeur ne dispose que de quelques mots d'anglais : stop, go, lunch, Ok, problem. Mais il affirme « Dessié, no problem ». Soudain, un panneau annonce que la route est financée par l'Union Européenne et une langue de bitume s'étale.

L'objectif Dessié redevient plausible. Le paysage se modifie, des maisons de pierre, rondes et chapeautées de paille apparaissent. Mais partout, le vert s'impose, vert tendre là où de jeunes pousses sortent de terre, vert ensoleillé là où les feuilles de maïs prennent leur essor, vert lustré quand les feuilles s'épanouissent, vert plus sombre dans les forêts d'eucalyptus.

C'est le milieu de la saison de la principale saison des pluies, celles du « Meher ». Le moindre espace est exploité par les paysans, de grandes parcelles dans les vallées, de petites terrasses sur le relief escarpé. Entre les cultures broutent des troupeaux de chèvres, des ânes et quelques chevaux. De nombreux animaux tout jeunes tentent de s'accrocher aux pis des mères. Après huit heures de route, l'équipe atteint enfin Dessié.

 


Deuxième journée
. Il pleut et la température matinale avoisine les dix degrés. Un rendez-vous a été pris avec les autorités locales du ministère de la Santé. L'équipe a pour objectif le woreda (district) de Mekedela mais d'autres woredas sont signalés comme particulièrement vulnérables. Il faut rapidement mémoriser des noms de lieux totalement étrangers sans se tromper, sous peine de perdre plus d'une demi-heure à chercher «Degdebe» au lieu de «Dedere».

Sans oublier de se caler sur le calendrier éthiopien. Nous ne sommes pas en 2008 mais en 2000 et les mois n'ont pas les mêmes durées. Quand il est huit heure du matin (selon le fuseau horaire international), en Ethiopie il est quatorze heures.

 

 

Autre difficulté, sortir du discours conventionnel. Par exemple, un responsable de la santé à qui il est demandé la principale maladie dans sa zone répond, après réflexion : « le sida ». De même, une récolte est rarement qualifiée de bonne par un paysan.

D'autres rencontres se déroulent avec des ONG qui travaillent dans la région. Si la présence d'acteurs humanitaires est nettement moins dense que dans des régions du sud, plusieurs ONG ont développé des programmes de soutien au ministère de la Santé. Ces rencontres apportent parfois des informations précieuses. Parfois, à l'inverse, une logique de territoire limite la qualité de l'échange : des ONG déjà présentes sur le terrain ne souhaitent pas l'intervention d'un autre acteur.

Une quatrième personne a pris place en voiture : l'interprète, qui s'avère être un infirmier du ministère de la Santé. L'équipe a décidé de se rendre dans une des zones sensibles, où se situe un des trois centres nutritionnels avec hospitalisation de la région. A l'arrivée à Legambo, le médecin constate que pas un seul enfant n'est actuellement soigné dans ce centre destiné aux enfants sévèrement malnutris avec complications médicales. Le plus intéressé reste l'infirmier du ministère de la Santé, qui a ainsi l'occasion de visiter un centre de santé qu'il ne connaissait que de nom.

 

MAISON
Troisième journée
. Sur la route vers Mekedela, l'équipe s'arrête au bureau local du ministère de la Santé, au niveau du woreda. Le responsable fournit tous les chiffres du dernier dépistage effectué. Deux fois par an, tous les enfants de moins de cinq ans sont dépistés au niveau nutritionnel, grâce à une bracelet qui mesure le périmètre de la partie supérieure du bras.

Quand la malnutrition a fait fondre les muscles, ce périmètre est très étroit, moins de 120mm. Quelques incohérences flagrantes laissent planer un doute sur la fiabilité de ces données mais le médecin MSF sélectionne les plus crédibles parmi les plus élevées et croise ces informations avec des données socio-économiques. Au final, quatre lieux situés dans des zones socio-économiques différentes sont identifiés.


Le premier dépistage rapide aura donc lieu dans le kebbele (une sous-division administrative du woreda) de Dedere. Le village s'étend le long de la route, série de maisons totalement identiques, très récentes. Le programme de villagisation encourage fortement les habitants d'une zone à quitter leurs maisons dispersées sur le territoire pour se regrouper en un village.

Sur place, deux assistantes médicales travaillent dans le poste de santé. La formation de ces agents de santé est très brève, seulement un an. Le programme de développement de la prise en charge de la malnutrition aiguë au niveau communautaire prévoit que ces agents de santé commencent aussi à soigner eux-même les enfants dénutris. Mais dans un centre de santé, le responsable ne connaissait pas encore le Plumpy'Nut, le produit nutritionnel utilisé pour le traitement de la malnutrition sévère non compliquée.

 

PAYSAGE DU NORD
Quatrième journée.
A 5H00, le prêche musulman résonne. A 5h30 le prêche orthodoxe, par mégaphone, prend la relève. En Ethiopie, les deux religions sont très fortement présentes. A 8H00, personne n'est encore présent pour le dépistage, bien que les agents de santé aient prévenu la population.

Un portique est installé à 1m10, pour cibler les enfants de moins de cinq ans. Mais progressivement, la population arrive, les personnes s'alignent sur un puis deux rangs. Au bout de deux heures, il y a beaucoup trop de monde et le circuit est désorganisé. L'équipe décide d'arrêter le dépistage mais les agents de santé ont profité de l'occasion pour procéder à la vaccination, les gens ne se seront pas déplacés pour rien.

 

 

Sur 280 enfants, un était sévèrement malnutri et 21 modérément, ce qui indique une situation stable. Le médecin cherche une solution pour cet enfant sévèrement malnutri mais il faut que la mère se rende à Dessié pour une prise en charge, soit à trois heures et demie de route en voiture. Mère isolée, elle ne peut pas s'absenter de son foyer. Finalement, le responsable local s'engage à lui assurer la gratuité des soins dans le centre de santé le plus proche.

A quinze kilomètres de ce village, une distribution de nourriture est en cours et sur la route, plusieurs familles repartent avec du maïs. Malgré l'heure tardive, plus de 15H00, le départ est donné pour la prochaine étape, à près de 3 000 mètres d'altitude. Sur la route, une colonne de six camions transportant de l'aide alimentaire gouvernementale ralentit fortement le rythme. A l'arrivée à Debre Saït, il fait nuit. L'administrateur ouvre le centre de santé pour héberger l'équipe pour la nuit et commence la tournée pour prévenir la population du dépistage le lendemain matin.

PAYSAGE
Cinquième journée
. A 8H00, personne. Les mères et les pères arrivent progressivement toute la matinée jusqu'en début d'après-midi, le flux est régulier. Le médecin MSF en profite pour doubler ce dépistage par du porte-à-porte, pour aller chercher les enfants chez eux mais le premier village est totalement vide, tous les habitants se sont rendus à des obsèques. Le deuxième est inaccessible, la voiture ne peut pas franchir une rivière.

A Debre Saït, le dépistage s'achève : sur 231 enfants, pas un seul n'est sévèrement malnutri et 7 sont modérément malnutris. L'équipe fait le bilan avec le responsable du village, l'objectif est double : informer le responsable des informations trouvées et également, par cette discussion, replacer les données "brutes" du dépistage dans leur contexte.

 


Le responsable ne réagit pas face aux chiffres satisfaisants, il parle de l'insécurité alimentaire des habitants de ce village. Le faible taux de malnutrition n'indique pas nécessairement, en effet, que les familles ne souffrent pas de manque de nourriture et d'une vie quotidienne particulièrement difficile après l'échec de la dernière récolte. Les fermiers, soit la quasi-totalité des habitants, n'ont pas semé parce qu'il n'y avait pas de petites pluies. Le représentant du kebbele décrit ainsi les saisons agricoles particulières à chaque zone, l'accès à la nourriture, l'accès aux soins. Vers 15H, nouveau départ vers le prochain kebbele, il faut arriver à temps pour prévenir la population.

Dendere est atteint en fin d'après-midi, c'est un petit village posé sur vaste étendue plate en deçà des hauts plateaux. Ici, il n'y a qu'une seule pluie par an et l'eau s'écoule rapidement vers la vallée, la terre ne conserve pas l'humidité comme sur les hauts-plateaux. Bonne nouvelle : tous les responsables du village sont justement réunis là, l'information devrait donc se diffuser rapidement. Un nouveau campement s'improvise dans le poste de santé, les agents de santé préparent un dîner pour tout le monde.


Sixième journée
. La pluie est abondamment tombée pendant la nuit. Au petit matin le froid et l'humidité s'insinuent malgré les vêtements chauds. Les gens du village arrivent les premiers, aucun ne porte de chaussures.

La différence avec les villages précédents saute aux yeux. De nombreux enfants souffrent d'infection de la peau. Sur 318 enfants, deux sont sévèrement malnutris et 29 modérément. Ces chiffres plus élevés restent cependant dans le cadre d'une situation stable. Cette fois, la discussion se déroule avec le responsable du village et les agents de santé, le médecin veut les sensibiliser aux problèmes médicaux de cette population.

 

 


Au niveau du poste de santé, il n'y a aucun médicament, leur principale fonction consiste à assurer la vaccination routinière. Mais les agents de santé peuvent inciter ceux qui ont besoin de soins à se rendre au centre de santé, situé à 5km, qui dispose de moyens un peu plus importants. Le médecin les aide à identifier certains signes, tels que l'apparition d'une difformité du cou appelée goitre, liée à une carence en iode. Le responsable du village est très intéressé par ces données, il note toutes les informations dans l'objectif de rédiger une lettre aux responsables administratifs du woreda. L'équipe l'aide à estimer le nombre d'enfants malnutris ou à risque de malnutrition dans son village à partir de l'évaluation effectuée. 400 enfants ont besoin de traitement ou de suivi particulier.

Aucun habitant de ce village ne bénéficie de l'aide appelée « safety net », un programme gouvernemental d'aide sous forme d'argent ou de nourriture destiné aux plus pauvres. Le représentant se plaint également de n'avoir reçu que la moitié de l'aide demandée pour les enfants malnutris. De son côté, l'équipe part rencontrer le responsable de la santé au niveau du woreda pour faire part des résultats de l'évaluation.


Dernière journée. Il a plu abondamment durant la nuit et la route n'est plus qu'une lourde masse de boue collante, ralentissant considérablement le rythme. Au bout d'une heure, la voiture s'immobilise. Une camionnette et un camion se sont embourbés en se croisant, tout est bloqué.

En un quart d'heure, une vingtaine d'hommes sont rassemblés devant les véhicules et tentent de sortir la camionnette de l'ornière, des ordres fusent dans tous les sens. Une corde est attachée à l'avant et chacun tire. Un espace suffisant est dégagé après une dizaine de tentatives et les véhicules tous terrains peuvent se frayer un chemin. Mais quelques heures plus tard, en traversant une ville, un bus est bloqué dans une côte et là, impossible de passer. Une heure plus tard, une pelleteuse a dégagé la voie et la voiture peut repartir. Une brève rencontre a lieu avec le responsable de la santé au niveau du South Wollo.

 

A l'arrivée à Addis-Abeba, l'équipe d'évaluation fait le bilan avec la coordination des programmes MSF en Ethiopie. Les chiffres des dépistages nutritionnels effectués sont croisés avec les informations fournies par les différents intervenants du système de santé et les observations apportées par l'équipe d'évaluation. Outre la situation nutritionnelle immédiate, il faut aussi prendre en compte des indicateurs sur le risque de dégradation : les champs ont-ils été semés ? La récolte progresse-t-elle ? Quel est l'état du cheptel ? Les conclusions de cette évaluation mènent à la décision de ne pas intervenir à court terme, tout en restant attentifs à l'évolution de la situation.

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