La paix puis les élections présidentielles au Liberia ont soulevé un espoir au sein de la communauté internationale. La page de la guerre est-elle tournée ?
La guerre est terminée, les factions sont démantelées, les combattants désarmés. Désormais, les réfugiés en Guinée et en Sierra Leone reviennent (200.000 retours selon les estimations), les personnes déplacées regagnent leurs villages, la population a élu les représentants de la nation. Mais ceux qui rentrent retrouvent un pays dévasté, où de nombreux villages ont été rasés. Les infrastructures sont encore quasiment inexistantes, le système de santé est détruit. Quatorze années de violence ont ruiné le pays et laminé le tissu social. Il y a eu environ 300.000 morts pour une population de 3,5 millions d'habitants... Pratiquement personne n'a été épargné, qu'il soit atteint personnellement, dans sa famille ou ses proches, par la mort ou la violence (viols, destructions). Tout est à reconstruire et cela n'avance guère.
Dans le domaine de la santé, les budgets sont encore timidement débloqués. Il y a aujourd'hui 34 médecins libériens pour tout le pays ! C'est cinq fois plus qu'à la fin de la guerre, certes, mais à ce rythme, les ONG seront encore présentes pour des années... De fait, le Liberia n'a pas pleinement retrouvé sa souveraineté et dépend d'autres acteurs. Les Etats-Unis restent très présents dans toute l'Afrique de l'Ouest et déploient d'importants moyens pour la sécurité au Liberia, pays qui a été le pivot d'une guerre régionale impliquant la Guinée, la Sierra Leone et la Côte d'Ivoire. 15.000 Casques bleus sont présents, les agents du GEMAP (plan de lutte contre la corruption imposé par les bailleurs de fonds) contrôlent l'administration et l'essentiel de l'économie est entre les mains de compagnies étrangères. Le Liberia vit sous perfusion et sous tutelle.
La violence a-t-elle cessé dans le pays ?
Le contexte de sécurité est beaucoup plus tendu dans la capitale que dans le reste du pays. Il y a plus d'insécurité à Monrovia aujourd'hui que durant les années de guerre ! Les leaders des factions ont retrouvé d'autres activités. Il y a d'ailleurs beaucoup d'anciens chefs de guerre à des postes politiques, comme Prince Johnson, devenu sénateur. Les commandants, les cadres, ont été en partie réintégrés dans les services de sécurité ou de renseignements. Mais les anciens combattants ont perdu leurs commandants et leurs sources de revenus, ils sont désoeuvrés, abandonnés à eux-mêmes. Ainsi les enfants soldats ont été désarmés mais ils n'ont pas bénéficié de l'accompagnement social et psychologique qui était prévu et nous les retrouvons aujourd'hui, en partie, regroupés en gangs dans les rues de Monrovia où vivent encore des dizaines de milliers de personnes déplacées... C'est plus dangereux qu'avant !
Cette violence se traduit, au niveau de nos activités à l'hôpital de Mamba Point à Monrovia, par un afflux toujours aussi important d'urgences médicales (blessures par arme, brûlures intentionnelles). Nous avions ouvert cet hôpital en novembre 2003 suite aux violentes attaques de juin et presque trois ans plus tard, nous assurons toujours près de 36.000 consultations aux urgences et 10.000 admissions pour hospitalisation (médecine, chirurgie) par an.
Outre nos activités à l'hôpital Mamba Point de Monrovia, nous sommes toujours présents dans le Lofa, au nord du pays. Pour combien de temps ?
Nous avons ouvert deux projets dans le Lofa début 2004, pour rétablir un accès aux soins pour la population et les réfugiés qui commençaient à revenir. Depuis, la population est passée de 35.000 à 350.000 personnes, sans que l'offre de soins n'augmente en conséquence ! Dans les deux hôpitaux dans lesquels nous sommes présents, à Kolahun et à Foya, l'activité augmente, avec près de 4.000 consultations externes et 140 hospitalisations par mois et par site.
Nous ne voulons pas prendre en charge la reconstruction du système de santé à la place des Libériens. Mais ne pouvons fermer nos activités que lorsque d'autres acteurs assurent le relais. Or les agences ou ONG aptes à mener des programmes de reconstruction peinent à prendre la relève. Sur Kolahun, les agences des Nations unies reconstruisent l'hôpital et nous allons passer nos activités sur ce site au ministère de la Santé à la fin de l'année 2006. A Foya, encore aujourd'hui, 3.000 à 4.000 personnes supplémentaires rentrant de Guinée ou de Sierra Leone passent par ce site pour regagner leurs villages. Les besoins médicaux restent très élevés par rapport à l'offre de soins.