Pourquoi MSF porte-t-elle une nouvelle fois un message d'alerte sur la tuberculose ?
Parce que la situation ne cesse de se dégrader ! Premièrement, loin
d'être sous contrôle, la tuberculose progresse. C'est particulièrement
vrai depuis la pandémie de sida, la tuberculose en étant la première
maladie associée. Sur notre principal terrain d'action, l'Afrique, elle
est la première cause de décès chez les malades du sida. Deuxièmement,
les formes les plus graves de la maladie sont, elles aussi, en
expansion. Après les formes pluri et multirésistantes, on assiste
aujourd'hui à l'émergence d'une tuberculose ultrarésistante qui ne
répond plus au traitement antibiotique. Pour les patients co-infectés
par le virus du sida, elle conduit à un décès très rapide. Une récente
épidémie en Afrique du Sud a montré ce phénomène de manière dramatique.
Face
à cela, les outils disponibles pour soigner les malades sont obsolètes.
La tuberculose a beau être, à l'échelle internationale, l'infection la
plus meurtrière après le sida, elle figure de fait parmi les maladies
négligées... L'efficacité du vaccin est contestée par la plupart des
experts. Le test diagnostique ne dépiste qu'un malade sur deux. Les
antibiotiques sont vieux, très peu commodes, toxiques et imposent des
traitements très longs et pénibles aux malades. Des traitements qu'il
devient presque impossible de mettre en oeuvre dans le cas de
résistances aux antibiotiques les plus couramment utilisés. La réponse
est donc inadaptée à la gravité, à l'urgence et à la détérioration de
la situation.
Quel regard portes-tu sur la stratégie de lutte contre la maladie ?
La stratégie mise en place par l'Organisation mondiale de la Santé et
les autorités sanitaires nationales et internationales depuis une
vingtaine d'années a initialement constitué un progrès. Mais elle ne
permet de diagnostiquer que la moitié des malades et n'enraye pas le
développement de formes intraitables de la maladie. De plus, le
développement de la pandémie de sida, à l'origine de très nombreux cas
de tuberculose, rend illusoire le contrôle de la transmission de cette
maladie.
C'est
ce constat d'échec que nous faisons tous les jours dans notre pratique.
Malgré cela, on assiste à la perpétuation par l'OMS d'un discours
optimiste qui prétend que l'on va y arriver quand même en renforçant la
stratégie existante. Nous avons la conviction inverse : il faut un
ajustement de stratégie qui permette d'incorporer rapidement dans la
lutte contre la tuberculose des outils diagnostiques et thérapeutiques
bien plus puissants pour aller plus vite, simplifier la vie des malades
et éviter davantage de décès. Il faut aussi procéder à une surveillance
bien plus intensive de l'émergence de souches résistantes et ultra
résistantes.
Même si la nécessité de renforcer les programmes
de recherche pour les maladies négligées commence à figurer dans le
discours de l'OMS, sous la pression de l'Assemblée mondiale de la santé
(et non, d'ailleurs, de celle de la direction de l'OMS), nous nous
étonnons du peu de mobilisation concrète que ces sujets suscitent au
sein de l'organisation et de l'Union internationale de lutte contre la
tuberculose et les maladies respiratoires*.
Qu'en est-il de la recherche de nouveaux médicaments ?
Un rapport que nous avons réalisé récemment montre que des médicaments
sont en cours de développement chez certains fabricants. Même s'il ne
s'agit pas toujours de molécules nouvelles, ils pourraient constituer
un mieux pour les patients. Il y a donc un effort réel, principalement
de la part d'acteurs privés (comme la Fondation Bill et Melinda Gates),
mais insuffisant compte tenu de la gravité de la situation. Il faut
l'approfondir, l'accélérer et l'étendre à des bibliothèques de
molécules qui pourraient être efficaces mais qui n'ont pas été
explorées.
En quoi consiste « les procédures d'urgence » demandées ?
MSF demande que les nouveaux médicaments qui se trouvent dans le «
pipeline » des fabricants soient testés et mis à la disposition des
patients selon des procédures accélérées (ce que nous appelons, dans
notre jargon, le « fast-tracking »). Car le rythme normal de ces
recherches est en décalage avec la progression de la maladie et
l'urgence auquel nous devons faire face. Dans les années 90, sous la
pression des associations de malades, de telles procédures avaient été
adoptées par le gouvernement américain pour les antirétroviraux contre
le sida. Ces procédures accélérées sont communes en cancérologie par
exemple.
Si
des mesures exceptionnelles de ce type ne sont pas prises, le risque
est grand, dans quelques années, d'avoir à faire face à des foyers très
sévères où nous ne serons plus capables d'éviter le décès des patients
car nous aurons épuisé les armes thérapeutiques qui sont aujourd'hui
disponibles.
* L'Union tient sa conférence mondiale à Paris du 31 octobre au 4
novembre au Palais des Congrès. Le 3 novembre, MSF interviendra sur
l'état de la recherche et du développement de médicaments et outils de
diagnostic pour la tuberculose.