Mission exploratoire médico-psychologique
Le 21 mai en début de soirée, la terre tremblait en Algérie. D'Alger à
Zemmouri (ville à une centaine de kilomètres plus à l'est), ce séisme
de forte intensité (6,8 sur l'échelle de Richter) a fait de nombreuses
victimes (2.700 morts, environ 1.000 personnes portées disparues, plus
de 7.000 blessés et des dizaines de milliers de personnes sans abri) et
provoqué d'importants dégâts. Sur une bande d'une cinquantaine de
kilomètres, de la côte jusqu'à l'intérieur des terres, les villes ont
subi de fortes destructions, les bâtiments respectant rarement les
normes anti-sismiques. Le 28 mai, Pierre-Pascal Vandini, médecin
généraliste, et Karine Grouiller, psychologue, partaient pour MSF
conduire une mission exploratoire dans la région. Ils y ont passé douze
jours et jeté les bases d'une mission de quelques mois, centrée sur la
prise en charge sur le plan médico-psychologique des personnes touchées
par le séisme
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Bourmedes, Algérie.
Respectant rarement les normes anti-sismiques, beaucoup d'immeubles se
sont purement et simplement effondrés sur eux-mêmes comme ici, à la
Cité des 1200 à Boumerdes.
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"C'est
la première fois que MSF envoie un binôme composé d'un médecin et d'un
psychologue travailler en urgence sur les traumas causés par une
catastrophe naturelle", souligne Karine. Auparavant, MSF avait
testé le concept avec une équipe médico-psychologique d'urgence envoyée
dans les Territoires palestiniens après le déclenchement de la deuxième
intifada. "Qu'il s'agisse d'un conflit ou d'un tremblement de
terre, la différence n'est pas majeure d'un point de vue psychologique
: dans les deux cas, nous nous trouvons face à des personnes qui ont
soudainement vu la mort de près et pour qui l'événement est
potentiellement traumatique", estime Karine. Et, dans les deux cas, cela justifie que des soins soient mis en place le plus rapidement possible.
Après
une visite au Ministère de la Santé algérien et une réunion avec les
autres associations qui portent assistance aux personnes sinistrées,
Karine et Pierre-Pascal sont partis pour Boumerdes. Là-bas, ils ont
rencontré le docteur Bou Slimane, psychiatre à la tête de la cellule de
coordination des soins en matière de santé mentale du Ministère de la
Santé. "Il nous a expliqué le réseau qu'il avait mis en place,
avec des psychologues mobilisés de toute l'Algérie répartis à travers
la zone sinistrée", raconte Karine. Pierre-Pascal et elle
intègrent le jour même une équipe du docteur Bou Slimane et assistent à
quelques consultations à l'hôpital de Bourmerdes.
"Le
lendemain, nous avons pris la route pour Zemmouri, ville située à
proximité de l'épicentre, pour rejoindre une équipe du Ministère de la
Santé", raconte Karine. Le trajet est l'occasion de faire un rapide état des lieux. "Les
infrastructures routières n'ont pas été endommagées et, sur
l'autoroute, une voie a été réservée aux secours. Donc, d'une manière
générale, l'offre de soins peut être acheminée sans problème. En
revanche, à cause d'une certaine désorganisation, l'offre ne répond pas
totalement à la demande et a parfois du mal à parvenir jusqu'aux
personnes sinistrées", constate Pierre-Pascal. Arrivés à Zemmouri
El Bahri, ils découvrent un camp de 130 tentes installées dans ce qui
était au départ un camping. "Environ 1.000 personnes s'y trouvent, dont plus de 250 enfants", présente Pierre-Pascal.
Forte demande à Zemmouri près de l'épicentre
Là-bas, une équipe de l'ADS (Agence de développement social) est déjà
présente. Au total, cet organisme algérien créé à la demande de la
Banque Mondiale pour s'occuper des populations en grande précarité,
dans une logique de proximité, dispose de dix équipes réparties sur la
zone sinistrée. A Zemmouri, les six membres de l'ADS (un médecin, deux
psychologues, un sociologue, un assistant social et un médiateur) ont
accueilli Pierre-Pascal et Karine avec une demande d'aide explicite. "
Peu habitués à soigner des traumas et eux-mêmes choqués par les
événements, ils avaient le sentiment de ne pas s'en sortir seuls ", raconte Karine.
Aussitôt, Pierre-Pascal et Karine répondent à la demande immédiate de soins médicaux et psychologiques. Pierre-Pascal
multiplie les consultations pour soigner autant que pour rassurer.
Karine, elle, reçoit tous ceux qui viennent spontanément la voir. " Ils avaient un fort besoin de pouvoir parler de ce qu'ils venaient de vivre. " Tous deux effectuent en outre quelques visites à domicile dans les
hameaux alentours auprès des familles isolées. A l'issue de cette
première journée, ils décident de se fixer dans le camp de Zemmouri El
Bahri. Parallèlement à des prises en charge individuelles ou
familiales, Karine organise des groupes de parole avec des enfants et
des mamans. Ces espaces d'expression permettent de détecter ceux qui
vont mal et de les revoir en sous-groupe ou en entretien individuel. " S'occuper des enfants est particulièrement intéressant, parce qu'ils facilitent la prise de contact avec leur famille ", souligne Karine. "
Le contact avec les mères et les pères est important, car ils veulent
rester forts devant leur famille mais sont eux aussi marqués par la
catastrophe ", insiste Pierre-Pascal. En outre, dans cette région
d'Algérie surnommée le " triangle de la mort ", où la peur du
terrorisme imprègne encore le quotidien, le tremblement de terre a
réveillé des traumatismes dèjà présents. " Nous avons rencontré
beaucoup de personnes qui, à la première secousse, ont d'abord cru
qu'il s'agissait d'une explosion terroriste. Et dans les traumas, on
observe un mélange de vécu entre le séisme et des scènes de barbarie
antérieures ", explique Pierre-Pascal.
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Zemmouri, Algérie.
Dans le camp de Zemmouri El Bahri, Karine a porté une attention particulière aux enfants, portes d'entrée vers les familles
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Outre leur action à Zemmouri, Pierre-Pascal et Karine ont été à la rencontre des neuf autres équipes de l'ADS. "D'une
équipe à l'autre, le degré d'expérience varie fortement, relate Karine.
Chacun s'organise à sa manière. De plus, tous les membres de l'ADS sont
affectés par le séisme et ses répliques." La qualité de soins que
reçoit la population varie donc d'un site à l'autre. Un besoin de
soutien et d'appui a ainsi été clairement identifié au sein des équipes
de soins. "Nous avons fait des débriefings auprès de ces équipes, en séparant celles originaires de la région touchée et les autres",
explique Pierre-Pascal. Dans un second temps, ils proposent leurs
conseils tant organisationnels que cliniques et font profiter aux
équipes de l'expérience MSF des soins en situation d'urgence. Le
partenariat avec l'ADS a été étendu aux différentes équipes coordonnées
par le ministère de la santé.
De retour de leur mission
d'évaluation, Karine et Pierre-Pascal ont donc préconisé la mise en
place d'un programme de deux à trois mois. "Il s'agit
essentiellement d'une mission de soins médico-psychologiques et
d'apports logistiques au camp de Zemmouri El Bahri. Et plus largement,
de conseil et d'appui au personnel local, pour savoir ce que les divers
soignants se sentent capables de faire", décrit Pierre-Pascal. Une
équipe est aujourd'hui sur place, composée d'un médecins, d'un
psychiatre, d'un psychologue, d'un logisticien, d'un administrateur et
d'un chef de mission.