Sauver des vies en donnant du lait !

Une pâte de lait enrichie et prête à l'emploi entraîne une révolution
dans la prise en charge de la malnutrition aiguë. Alors que des
dizaines de millions d'enfants de moins de cinq ans souffrent de cette
pathologie dans les pays pauvres et que plusieurs millions en meurent
chaque année faute de traitement efficace, il est aujourd'hui possible
d'éviter un très grand nombre de ces décès. Sauver des vies en donnant
du lait sous forme de pâte ? Une évidence qui mérite d'être mise en
oeuvre en rendant accessible ce nouveau produit thérapeutique.
Interview de Jean-Hervé Bradol, président de Médecins Sans Frontières.

Pourquoi Médecins Sans Frontières se mobilise-t-elle aujourd'hui pour amplifier la réponse au fléau de la malnutrition aiguë ?
Parce que la recherche médicale a permis l'apparition d'un nouveau produit thérapeutique reposant sur un concept simple mais révolutionnaire : le lait sous forme de pâte enrichie prête à l'emploi. Mis au point en 1998, nous l'utilisons depuis plusieurs années (Darfour, Nigeria, Tchad ...). Nous l'avons employé au Niger en 2005 à une large échelle, avec d'excellents résultats, et continuons de le faire cette année. Grâce à ce produit et à condition que les acteurs concernés se mobilisent, nous pourrions limiter massivement le nombre de décès liés à la malnutrition aiguë. Notre démarche s'inscrit finalement dans la même logique que la campagne que nous avions lancée au sujet des ACT (artemisinine-based combination therapy) pour les malades du paludisme : étendre l'usage d'un nouveau traitement qui marche* !

En quoi la pâte énergétique à base de lait est-elle une avancée médicale importante ?
Dire qu'il faut donner du lait aux jeunes enfants pour répondre à leurs besoins nutritionnels est une évidence ! Mais jusqu'à très récemment, nous ne savions pas comment faire dans des environnements précaires. Les besoins en micronutriments et en énergie de l'enfant dénutri ne sont pas couverts par les laits d'origine animale, les conditions de conservation ne sont pas réunies dans les pays pauvres et les contaminations bactériennes sont fréquentes. Tous ces points de faiblesse ne faisaient pas du lait un produit adapté au traitement d'un enfant sévèrement dénutri en dehors de l'hôpital.

Les pâtes de lait enrichies en énergie et en micronutriments pallient toutes ces insuffisances. De plus elles sont prêtes à l'emploi. Elles n'induisent aucun travail de préparation pour la mère. L'eau et le biberon sont inutiles, l'enfant n'a qu'à avaler le produit directement, depuis le sachet. A défaut d'éradiquer la faim dans le monde, on pourrait réduire très significativement la mortalité infantile liée à la malnutrition en rendant accessibles ces pâtes de lait enrichies aux enfants des pays pauvres !
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Distribution de lait en Ethiopie en 2003
Avant la mise au point des pâtes de lait enrichies, les problèmes de conservation des laits thérapeutiques pour traiter la malnutrition imposaient d'hospitaliser systématiquement les enfants, ce qui limitait les capacités de prise en charge.

Il ne suffit pas de disposer d'un produit adapté, comment l'utiliser à grande échelle ?
L'impact sur le terrain est déjà majeur : au Niger, Médecins Sans Frontières a soigné plus de 60.000 enfants sévèrement malnutris en 2005. Cette année, dans 2 départements de la région de Maradi, nous prenons en charge tous les enfants souffrant de malnutrition aiguë, que ce soit au stade sévère ou modéré. La surmortalité liée à la malnutrition est plus forte, en termes de risques individuels, parmi les cas de malnutrition aiguë sévère. Mais elle est plus importante, en termes de nombre total de décès, parmi les cas, bien plus nombreux, de malnutrition aiguë modérée. Pour limiter le nombre d'enfants qui meurent de malnutrition, nous administrons ce nouveau traitement dès le début de la malnutrition aiguë.
Avec le nouveau produit, le traitement est considérablement simplifié et, à condition de consacrer un peu de temps à son information, la mère tient le rôle de personnel soignant à domicile. Aujourd'hui la grande majorité des patients, y compris des cas sévères, suivent tout le traitement sans jamais être hospitalisés. Résultat, nous pouvons soigner des dizaines de milliers d'enfants, et non plus seulement des milliers, avec des taux de guérison nettement meilleurs. Plus de neuf enfants sur dix terminent le traitement, au bout d'un mois, en étant guéris. Les résultats des programmes de prise en charge de la malnutrition aiguë au Niger permettent de démontrer in situ qu'il est possible d'éviter la mort d'un très grand nombre d'enfants, chaque année, en utilisant ces produits nouveaux.

La preuve de l'efficacité de ce produit dans le traitement de la malnutrition aiguë à grande échelle est apportée, mais il reste un obstacle majeur à sa généralisation : le prix. A l'unité, le prix est de 2,5 à 3 euros le kilo, mais les bénéficiaires potentiels se comptent en centaines de milliers ou en millions d'individus affectés par la grande pauvreté... Ni les familles, ni les services de santé publique de ces pays ne peuvent couvrir leurs besoins à un prix aussi élevé.
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Quand la mère devient le soignant
Avec les pâtes de lait enrichies, le traitement est considérablement simplifié et la mère tient le rôle de personnel soignant à domicile. Aujourd'hui la grande majorité des patients suivent tout le traitement sans jamais être hospitalisés. Résultat, nous pouvons soigner des dizaines de milliers d'enfants, et non plus seulement des milliers, avec des taux de guérison nettement meilleurs.

Est-il possible de faire baisser le prix de ce produit ?
Médecins Sans Frontières utilise aujourd'hui le Plumpy'nut, produit par la société Nutriset. C'est encore le seul producteur à proposer du lait en pâte, testé sur le terrain avec de bons résultats. Nutriset est donc dans une situation de monopole sur ce produit et des brevets ont été déposés. Mais ce n'est pas cela qui explique le coût d'achat élevé. Le prix de vente dépend pour près de la moitié du coût des matières premières. Une production « générique » se heurtera de même au prix du lait, du sucre et des cacahouètes sur le marché. De toute évidence, pour élargir l'usage de ces produits, il faudrait qu'en raison de la catastrophe de santé publique induite par les millions de morts annuelles dues à la malnutrition de la petite enfance, les matières premières destinées à la fabrication de produits thérapeutiques échappent à la logique de marché et bénéficient d'une dérogation pour être obtenues gratuitement.

Les gouvernements des pays les plus touchés, les bailleurs de fonds, les agences des Nations unies, les ONG ont aujourd'hui une opportunité historique de mener ensemble une action décisive permettant de sauver un très grand nombre d'enfants en bas âge, autrefois promis à une mort certaine en l'absence d'un traitement efficace.

Notes

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