Témoignage de patients à Naplouse : "Vous prendriez la fuite car vous, vous le pouvez"

Naplouse  Juillet 2009 : du toit de sa maison ce patient nous montre le mur d'enceinte (bleu) de la colonie voisine.
Naplouse - Juillet 2009 : du toit de sa maison, ce patient nous montre le mur d'enceinte (bleu) de la colonie voisine. © Isabelle Merny / MSF

L'assistante sociale de MSF rend visite à une famille vivant à Der Sharaf, près de Naplouse, et dont la maison est accolée à une colonie.

L'assistante sociale de MSF rend visite à une famille vivant à Der Sharaf, près de Naplouse, et dont la maison est accolée à une colonie.

« Depuis que la colonie s'est installée là, en 1968, la zone est militarisée. Les colons se sont établis à 1 km d'ici, la colonie a grossi et aujourd'hui ils sont à une vingtaine de mètres de chez nous. Je dois passer un barrage pour pouvoir rentrer chez moi. Les voitures ne sont pas autorisées, les taxis refusent de se rapprocher ou alors ils demandent le double du tarif, nous devons porter nos courses à pied, sur des kilomètres. Les services publics, comme la voirie, ne peuvent pas venir. Quand trop d'ordures s'accumulent, je n'ai pas le droit de les brûler. Un jour, ma sœur s'est cassé la jambe et l'ambulance n'a pas pu venir la chercher. J'ai dû la porter. Nous ne pouvons pas quitter la maison, la laisser vide ou y laisser quelqu'un seul, car s'ils viennent à ce moment là ils défoncent la porte. Il nous est interdit de construire ou faire des aménagements, de cultiver nos champs ou notre potager. J'avais des ruches, mais pas le droit de porter ma combinaison de protection, alors les abeilles sont parties. Ils ont refusé que j'aie une chèvre, j'ai dû la vendre. Je suis professeur, mon salaire est faible et la vie est chère. Ma femme est couturière, mais les clients ne viennent pas... J'ai voulu prendre un travail supplémentaire mais, à cause des autorisations aléatoires d'entrée ou de sortie du périmètre, j'ai dû abandonner.

Si les soldats partent ce sera pire. Parfois ils viennent s'assoir sous les arbres, juste devant la maison. Ils peuvent être n'importe où n'importe quand : à la porte, dans la maison, les escaliers... Ils montent même sur des échelles pour nous espionner par les fenêtres, au second étage. Ma femme doit toujours être couverte. La nuit, on les entend rôder et après 18h30, nous ne sommes plus autorisés à sortir. Un hiver, vers minuit, alors qu'il faisait très froid, ils nous ont forcés à sortir pas habillés. Terrorisés, les enfants ont fait pipi au lit. Le lendemain, ils étaient tous malades. Le jour, on reçoit des pierres et autres projectiles. Etre sur le toit, c'est comme vivre avec les colons, il y a des caméras partout et ils hurlent dans les hauts parleurs pour que l'on redescende. En été, nous ne pouvons ouvrir ni les fenêtres, ni les rideaux. Parfois, ils envoient leurs chiens : ils attaquent les enfants qui rentrent de l'école, ils sont très agressifs. Pendant la dernière Intifada, ils ont brûlé des pneus et ils nous ont ordonné de venir tout nettoyer et d'emporter les pneus calcinés dans un bassin d'eaux usées. Nous étions sales, nous sentions mauvais. Il y a déjà eu des morts ici, abattus par les colons. Pour le moment l'armée israélienne s'interpose, mais si les soldats partent ce sera pire. Nous faisons profil bas, tout le temps.

J'ai peur que mes enfants grandissent mal. De la fenêtre de ma salle de classe, je vois ma maison. Toute la journée, je m'inquiète et je passe mon temps à la surveiller, du coup je ne suis pas concentré. Nous sommes emprisonnés, constamment sous pression. Nous n'avons aucun droit, aucune liberté, tout nous est toujours interdit. Je dois lutter et me battre pour tout et tout le temps, même pour pouvoir allumer une lumière dehors. Nous n'avons aucun repos, aucun répit. Nous ne dormons jamais profondément, nous sommes très fatigués, toujours sur les nerfs, sur le qui-vive. On doit tout interdire aux enfants, toujours leur dire « non ». Ils n'ont même pas le droit de jouer sous leur propre toit ! Les autres parents ne veulent pas que leurs petits viennent ici, même pour les anniversaires. Les autres enfants ont des loisirs, le miens ne peuvent que les écouter en parler, ils se désocialisent, sont solitaires... Les enfants des colons apprennent à nous considérer comme des terroristes. Eux font du vélo ; mes enfants ne sont même pas autorisés à les regarder... Ce n'est pas ainsi que se passe une enfance normale et je ne peux rien faire pour eux... J'ai peur qu'ils grandissent mal et fassent des bêtises. Ils n'ont aucun avenir ici.

Tous les membres de la famille souffraient d'insomnies, de crises d'angoisse. Les enfants étaient souvent en colère. Je pensais être malade, j'avais de l'hypertension, des douleurs partout. J'ai pris beaucoup de médicaments... MSF nous a rassurés, pris en charge gratuitement. Nous n'aurions pas eu les moyens de payer les soins. L'aide alimentaire est un réel soulagement aussi. C'est bon de recevoir vos visites, de ne pas se sentir seuls, l'espace de quelques instants, d'avoir quelqu'un qui prend de vos nouvelles, qui vient nous voir, qui frappe amicalement à la porte...

C'est la maison de mon père, j'y suis né et nous avons toujours vécu ici. Pourtant, nous aimerions partir, mais nous n'avons pas l'argent pour ça. Et puis pour aller où ? Il y a des terrains, mais toute construction est interdite. Décrire notre vie ici n'aurait pas de fin. Parfois, j'ai le sentiment que l'on ne nous croit pas. Cette situation est intenable. Venez partager une semaine de notre quotidien : vous fuirez car vous, vous le pouvez. »

 

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Notes

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