Épinglé par la justice et un rapport du Défenseur des droits, le gouvernement se doit d'arrêter de précariser des migrants dans une situation déjà bien difficile.
Voilà deux mois que Médecins sans Frontières intervient dans la «jungle» de Calais, à Grande-Synthe, à Norrent-Fontes. L'idée selon laquelle les problèmes médicaux y étaient peu importants, que l'État y assurait une prise en charge minimale, et qu'il n'était pas de notre ressort de nous mêler de politiques migratoires, a longtemps eu raison de l’attention que nous aurions pu porter à ces camps. Ces temps ont changé, et il en aura fallu beaucoup moins pour s’affliger de la politique menée par les autorités françaises comme de ses conséquences sur la vie des gens de ladite «jungle» et d'autres lieux de regroupement de la région.
Habitués des interventions dans des pays confrontés à des crises politiques et sanitaires majeures, nous avons fait le choix de mettre en place des consultations médicales, de participer au ramassage des ordures, à la construction d’équipements sanitaires ainsi qu’à la construction et distribution d’abris, dans un pays qui se targue d’être une puissance d’envergure mondiale. Il n’y a qu’à visiter le camp de Calais ou ceux de la région de Dunkerque pour constater le caractère déplorable des conditions de vie des migrants, comme l’insuffisance de perspectives que les autorités françaises leur offrent.
La politique du gaz lacrymogène
La France n’est pas la seule, en Europe, à précariser, ou pire, à maltraiter les candidats à l’exil. Canons à eau, tasers, fermetures inopinées des frontières ou mise en place soudaine d’un tri par nationalités aux postes frontaliers… Les obstacles posés aux mouvements des migrants se multiplient. Mais les autorités françaises ne sont pas en reste: c’est à coup de gaz lacrymogènes que les forces de l’ordre contrôlent les mouvements de migrants récalcitrants à Calais. Il y a peu, nous apprenions qu'un citoyen britannique devait être jugé pour avoir tenté d'exfiltrer une fillette afghane de 4 ans en l’aidant ainsi à rejoindre sa famille à Leeds. Quel étrange pays que celui qui, avec la complicité de la Grande-Bretagne, ne facilite ni l’entrée ni la sortie de personnes qui manifestement ne veulent pas y rester.
Or, Calais, comme Grande-Synthe, c'est la France et la responsabilité de l’État français y est directement engagée. C'est d'ailleurs ce que la justice a signifié dans un jugement du 2 novembre ordonnant à la préfecture du Pas-de-Calais et à la mairie de Calais d’améliorer les conditions de vie dans le camp, suite au recours en référé-liberté déposé par Médecins du Monde, le Secours Catholique et six demandeurs d’asile. Cette décision répondait du même coup à la lettre que le ministre de l'Intérieur avait adressé au Défenseur des droits Jacques Toubon, à la suite d’un rapport qu’il avait remis sur la situation des exilés sur le territoire de la région de Calais.
Un mépris intolérable
Ce document sans concession sur les atteintes aux droits fondamentaux des migrants et demandeurs d’asile n'avait trouvé comme seule réponse qu'une lettre visant à décrédibiliser cette institution. Assumant une nouvelle fois le mépris par lequel il tient l’ensemble de ces personnes ainsi que celles qui leur portent attention, le ministère de l’Intérieur a fait appel de cette décision de justice, allant jusqu’à faire porter sur les migrants la responsabilité des drames récurrents dont ils sont victimes. Cet appel a fort heureusement été rejeté.
Il s’agit d’évoquer le sort de quelques milliers d’individus, 1.500 personnes à Grande-Synthe, un peu moins de 6.000 à Calais, quelques centaines d’autres, repartis dans des camps de fortune dans la région Nord-Pas-de-Calais. Il s’agit également de prendre la mesure des choses: quand la France promet la construction d’un camp pour 1.500 personnes ou initie des relocalisations vers des «centres d’accueil et d’orientation» et autres Centres d'accueil des demandeurs d'asile, l’Allemagne se montre généreuse en dépit des difficultés, et les pays voisins de la Syrie accueillent plus de 4 millions de réfugiés sur leur sol. Les autorités du pays se font le chantre d’une France ouverte en feignant de s’étonner du rejet qu’elle suscite.
Tensions croissantes
Les migrants fuient la guerre, la répression ou des conditions de vie qu’ils jugent inacceptables. Leur situation dans le Nord de la France n’est que la part hexagonale de l’échec des politiques européennes d’accueil des réfugiés, qui misent sur la précarité, sur le marchandage entre États comme sur l’érection de murs, physiques ou virtuels, pour maintenir les migrants aux frontières de l’Europe.
Aujourd’hui, les dirigeants français sont, à l’instar de la majorité des chefs d’États et de gouvernements de l’Union européenne, prêts à sacrifier et à maltraiter des milliers de vies dans le vain espoir de dissuader les futurs candidats à l’exil. À Calais même, cette politique accroît les tensions comme elle renforce la perception d’une France toujours plus inhospitalière. Il n’est pas dit qu’on puisse se targuer d’un tel résultat.
Anne Chatelain, adjointe responsable des urgences à Médecins sans Frontière
Michaël Neuman, directeur d’études à la fondation Médecins sans Frontières
Tribune publiée en premier lieu sur le site de Slate
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