Adrien Marteau est médecin au sein du programme de soin de la
tuberculose en Abkhazie. Il fait part de ses frustrations en tant que
médecin de soigner des formes résistantes de la maladie qui auraient pu
être, bien souvent, évitées si la forme simple de la maladie avait été
correctement prise en charge auparavant. Il témoigne également de
l'extrême difficulté de traiter une tuberculose multirésistante : parce
que le traitement est particulièrement long, lourd et toxique, mais
aussi parce que de mauvaises pratiques subsistent qui conduisent à
l'abandon de toute forme de traitement.
En tant que médecin, ma première frustration est de voir arriver dans
le programme MSF de l'hôpital de Gulripchi des patients avec des
tuberculoses préalablement mal soignées. En Abkhazie, les méthodes
jusqu'alors employées par les médecins formés à l'école soviétique
étaient obsolètes. De plus, des traitements sont disponibles sur les
marchés, et certains malades s'automédicamentent donc n'importe
comment. Une partie encore trop importante des patients que nous
soignons ont suivi des traitements incomplets ou sur une durée trop
courte ce qui, à terme, créé des résistances aux antibiotiques.
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Adrien Marteau en consultation
"Une partie encore trop importante des patients que nous soignons ont
suivi des traitements incomplets ou sur une durée trop courte ce qui, à
terme, créé des résistances aux antibiotiques."
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Des vies quasiment détruites faute de traitement correct
Voilà bientôt deux ans que nous soignons une jeune mère de famille de
27 ans, tombée malade très jeune, et qui a pris des traitements durant
trois ou quatre années, mais tous incomplets. Elle a même subi une
opération pour lui retirer une partie de son poumon, alors que c'est
une décision médicale très délicate que l'on ne prend que dans des
situations ultimes. Lorsqu'elle est finalement arrivée dans le
programme MSF avec des résistances multiples, elle a suivi un
traitement de seconde ligne. Heureusement, elle est aujourd'hui en
phase de guérison et elle devrait bientôt rentrer chez elle à Sotchi,
une ville de l'autre côté de la frontière en Russie et retrouver ses
enfants qu'elle n'a pas vu depuis plus de deux ans.
Ce
type d'exemple est plus que fréquent parmi les patients que nous
recevons à l'hôpital de Gulripchi. Et c'est désespérant de les voir
ainsi, leur vie quasiment détruite, alors qu'ils auraient pu s'en
sortir bien avant, s'ils avaient été correctement soignés. Car, même si
le traitement actuel de la tuberculose simple n'est pas la panacée, il
permet de guérir des malades s'ils sont correctement pris en charge.
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Radio des poumons
"C'est désespérant de voir nos patients ainsi, leur vie quasiment
détruite, alors qu'ils auraient pu s'en sortir bien avant, s'ils
avaient été correctement soignés."
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Des médicaments pour agir "comme une bombe atomique"
Il n'en va pas de même pour le traitement de la tuberculose
multirésistante, extrêmement long, lourd et toxique. Ici, en Abkhazie,
il a "mauvaise réputation", fait peur à cause de ses effets secondaires
importants. Ainsi, un certain nombre de patients refusent de prendre le
traitement de seconde ligne, ou bien cessent de le suivre dès qu'ils se
sentent mieux. Lorsqu'ils arrêtent, c'est un combat que l'on perd,
puisqu'on sait ce qui va leur arriver : un jour ou l'autre, ils
rechuteront et il n'y aura alors plus rien à faire pour eux, c'est la
mort qui les attend à tous les coups.
Pour
que les malades acceptent le traitement et le respectent
scrupuleusement, MSF a mis en place des campagnes de sensibilisation,
accompagne individuellement les patients, souligne les enjeux de ce qui
est sans doute le traitement de la dernière chance. On explique aux
patients que, pour soigner la tuberculose multirésistante, il faut
utiliser des médicaments qui vont agir comme une "bombe atomique", tout
"nettoyer" définitivement, et que cela prend du temps, parce que les
germes responsables de la tuberculose sont "vicieux", qu'ils peuvent se
cacher n'importe où dans le corps pour resurgir encore plus virulents.
Mais, parfois, rien n'y fait. On ne peut éviter des abandons. Pour
nous, la frustration est énorme.
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Un traitement toxique
"Pour soigner la tuberculose multirésistante, il faut utiliser des
médicaments qui vont agir comme une "bombe atomique", tout "nettoyer"
définitivement. Le traitement fait peur à cause de ses effets
secondaires importants."
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On a peur pour le patient et les personnes qu'il risque de contaminer
Récemment, un père de famille a fait arrêter le traitement de sa fille,
parce qu'il devait retourner en Russie. Nous avons tout tenté,
notamment via notre bureau à Moscou, pour qu'il la ramène en Abkhazie,
mais en vain. Ce père de famille a tout bonnement condamné sa fille et
on ne peut plus rien y faire. Dans des cas comme celui-là, on se sent
impuissant.
Par
ailleurs, "je vais mieux donc je peux arrêter mon traitement comme je
l'ai déjà fait auparavant" est une idée dangereuse toujours ancrée dans
les esprits. On comprend qu'un patient ne supporte plus d'avaler 35
pilules jour après jour ou d'endurer des effets secondaires difficiles.
Certain patient nous disent qu'ils préfèrent mourir de la tuberculose
que des effets toxiques du traitement. Mais en tant que médecin, c'est
difficile à accepter, car on sait l'issue fatale. Quand on entend "je
vais mieux donc je vais arrêter mon traitement", on a peur pour le
patient, mais aussi pour toutes les personnes, peut-être dix, peut-être
plus, peut-être moins, à qui il risque de transmettre la forme
résistante de la tuberculose.
Photographies: © Alexander Glyadelov, Clinique tuberculose MSF de Gulprish, Abkhazie, février 2006