Tuberculose : « Une urgence de santé et une priorité évidente pour MSF »

Un radiologiste de Médecins Sans Frontières examine un scanner à l'hôpital de Bangassou en République centrafricaine. 2017.
Un radiologiste de Médecins Sans Frontières examine un scanner à l'hôpital de Bangassou en République centrafricaine. 2017. © Borja Ruiz Rodriguez/MSF

La bataille contre la tuberculose (TB) est loin d’être gagnée. Les patients et les soignants font face à de nombreux obstacles – dans le domaine du diagnostic et du traitement – qui compliquent la prise en charge de cette maladie, qui est pourtant curable.

Entretien avec Francis Varaine, coordinateur du groupe de travail de MSF sur la tuberculose, qui revient sur les priorités MSF dans ce domaine pour les dix prochaines années.

Où en sommes-nous de la lutte contre la tuberculose ?

Nous ne sommes malheureusement pas en train de gagner cette bataille. La tuberculose est désormais la maladie la plus meurtrière sur la planète, après avoir dépassé le VIH/Sida en 2015. On estime que 1,7 million de personnes en sont mortes en 2016. Parmi les 10,4 millions de personnes infectées par la maladie cette même année, bien trop peu ont fait l’objet d’un diagnostic et ont été mises sous traitement.  

Ceci est dû notamment aux défaillances des systèmes de santé dans de nombreux pays (les pays à faible et moyen revenus concentrent 95% des décès), et au fait que la TB touche principalement des populations vulnérables : la prévalence de la maladie est particulièrement élevée dans les camps de réfugiés, dans les bidonvilles et les prisons. La tuberculose est également la principale cause de décès chez les patients atteints du VIH/Sida.

En clair, il s’agit d’une urgence de santé globale, qui a des effets particulièrement désastreux sur les plus marginalisés : une priorité évidente pour MSF.

Quel a été le rôle de MSF jusque-là ?

Nous rencontrons la tuberculose dans pratiquement tous nos contextes d’intervention. Entre 15 000 et 30 000 patients sont soignés chaque année dans les projets que Médecins Sans Frontières gère ou soutient dans 25 pays. Cela fait 30 ans que nous nous battons contre la TB, et nous sommes aujourd’hui l’un des principaux acteurs de soins privés dans ce domaine.

20 900

C'est le nombre de patients mis sous traitements par Médecins Sans Frontières dans le monde en 2016. MSF est le plus grand fournisseur non gouvernemental de soins contre la tuberculose. 

Depuis dix ans environ, nous avons concentré nos efforts autour du traitement des formes les plus graves de TB, celles résistantes aux antibiotiques (TB-R). Un dixième des patients que nous traitons en sont atteints. Ces cinq dernières années, et après 50 ans sans aucune innovation scientifique, deux nouveaux médicaments anti-TB sont arrivés sur le marché. C’est un moment réellement historique pour les patients et les soignants.

Ces deux médicaments, la bédaquiline et le délamanide, sont très prometteurs. MSF a été l’un des premiers acteurs de soins à les utiliser, et nous avons aujourd’hui l’une des plus grandes cohortes de patients qui bénéficient d’un traitement incluant ces nouvelles molécules.

Notre expérience montre qu’ils représentent un nouvel espoir pour les patients, notamment ceux avec les formes les plus résistantes de la maladie, très difficiles à soigner. En plus de traiter ces patients, notre expérience contribue à faire évoluer les recommandations nationales et celles de l’Organisation mondiale de la Santé. Mais il s’agit d’une goutte dans l’océan : en 2017, il a été estimé que moins de 5% des patients qui auraient eu besoin de ces médicaments les ont reçus.

Peut-on dire que les perspectives s’améliorent pour les patients atteints d’une tuberculose résistante ?

On estime que 600 000 personnes sont atteintes chaque année par une forme résistante de TB, qui demande jusqu’à deux ans d’un traitement contraignant. Celui-ci comprend 8 mois d’injections, requiert environ 15 000 comprimés, et provoque de terribles effets secondaires (surdité, psychose, neuropathies) avec un taux de guérison assez faible.

Face à cette situation terrible, et en profitant de l’occasion unique d’avoir à disposition deux nouvelles molécules, MSF a décidé de prendre des initiatives dans le domaine de la lutte contre la tuberculose. Nous menons à l’heure actuelle des essais cliniques, endTB et TB-PRACTECAL, en partenariat avec d’autres grandes organisations médicales. Notre but est de mettre au point de nouveau traitements, plus simples, plus courts (6 à 9 mois), moins toxiques, utilisant seulement des médicaments oraux, et bien plus efficaces, basés sur les nouveaux médicaments et d’autres déjà existants.

Au-delà des formes résistantes, quelles sont les perspectives sur la TB en général ?

C’est globalement le même problème : très peu de recherche et d’innovation. Il reste trop cher et trop compliqué d’identifier les patients et de les traiter aussi rapidement que nous le voudrions.

Les moyens de diagnostic sont un bon exemple : nous avons enfin des tests rapides qui peuvent diagnostiquer les formes pulmonaires de TB en quelques heures, ce qui représente une vraie révolution.

Mais ces tests ont besoin d’électricité, d’air conditionné et d’un laboratoire avec du personnel qualifié. Ils ne sont donc pas adaptés aux contextes typiques d’intervention de MSF, là où se trouve la majorité des patients. Et nous n’avons toujours pas de test adapté pour les enfants et pour les formes extra-pulmonaires de la maladie.

Il faudra attendre encore vingt ou trente ans avant d’avoir des vaccins plus efficaces contre la TB. Et bien qu’on en parle moins, le traitement pour la TB sensible aux antibiotiques (TB-S) est encore trop compliqué : il dure six mois et inclut quatre médicaments différents. Des systèmes de santé bien financés et avec un nombre limité de patients peuvent gérer cette contrainte, mais certainement pas ceux qui manquent de moyens, où la TB est plus fréquente.

Par ailleurs, il y a un manque terrible de recherche de nouveaux médicaments : seulement 5 sont actuellement en développement pour la TB, contre des dizaines contre l’hépatite C et le VIH/Sida, par exemple.

Face à tous ces obstacles, que souhaite faire MSF ?

Notre objectif est que d’ici 2025, dans les projets MSF, tout patient présentant une forme de TB, quelle qu’elle soit, devra avoir accès à un test diagnostique simple et fiable, et à un traitement efficace et peu toxique. Nous voulons également impulser un changement au niveau global. Les projets de MSF en matière de TB devront s’aligner sur ces ambitions.

Premièrement, nous souhaitons diversifier le type de patients que nous traitons : par exemple, augmenter le nombre de patients atteints de TB sensible aux médicaments dans nos projets, car leur nombre a diminué de moitié ces dix dernières années. Les patients coinfectés par le VIH/Sida et les enfants, qui représentent un nouveau patient sur dix dans le monde, ont des besoins spécifiques, et ils doivent recevoir une attention spécifique dans nos projets. Et nous devons également nous intéresser aux formes latentes de tuberculose – celles qui précèdent l’apparition de la maladie.

En parallèle, nous devons promouvoir la recherche pour de meilleurs traitements et outils diagnostiques. Nous restons ainsi engagés dans la recherche à travers deux essais cliniques que nous menons. Mais nous voulons également agir pour que de nouveaux tests diagnostiques, adaptés à une utilisation au plus près des patients – y compris dans des zones rurales ou reculées – voient le jour.

Le traitement de la TB sensible devrait pouvoir durer 2 mois, tandis que celui pour les formes résistantes, six mois. Et comme l’apparition de résistances aux antibiotiques est inévitable pour toute nouvelle molécule, il faut multiplier les initiatives de recherche de nouveaux médicaments, nouveaux tests, et nouvelles approches thérapeutiques.

Mais n’oublions que cela reste d’abord et avant tout une question de volonté politique. Il existe déjà de nouveaux outils, qui doivent être mis plus largement à disposition des patients ; et la recherche doit pouvoir bénéficier de financements qui permettraient de l’accélérer et de l’étendre. Il faut redoubler d’efforts et apporter la réponse là où la TB se propage et tue le plus. La maladie ne montre aucun signe de relâche, et nous devons en faire autant. Nous comptons continuer d’utiliser notre expérience médicale et notre engagement pour nous battre aux côtés des malades de TB.

Notes

    À lire aussi