Une version longue de cet entretien est disponible sur le site du CRASH (Centre de Réflexion sur l'Action et les Savoirs Humanitaires).
Quelles sont les priorités opérationnelles de MSF concernant l’accès aux vaccins Covid-19 ?
Isabelle Defourny : Ce que nous cherchons à faire, c'est que le personnel de santé et le personnel qui travaille en première ligne à la prise en charge de cette épidémie de Covid-19 soit vacciné. Alors, pourquoi le personnel de santé ? Pour plusieurs raisons. Évidemment, individuellement, pour éviter qu'ils tombent malades ou qu’ils décèdent. Ça, c'est la raison principale. Ensuite, ce qu'on essaie aussi d'éviter, c'est que les hôpitaux ne deviennent des lieux de propagation de l'épidémie et la vaccination du personnel peut participer à atteindre cet objectif. Et la troisième raison pour laquelle nous demandons des vaccins pour le personnel de santé, c'est parce que dans l'environnement actuel, ça nous semble faisable. Faisable pourquoi ? Parce que le personnel de santé finalement, ce ne sont pas des nombres si importants de personnes. Par exemple pour le Malawi, on cherche à obtenir des doses pour quarante mille staffs, et dans cet environnement de très, très fortes tensions sur le vaccin, ça nous semble réaliste. Ce que l'on voudrait, c'est éviter une hécatombe parmi les personnels de santé avant que les vaccins n’arrivent en masse dans les pays. Ça, c’est une chose, et puis la seconde chose que l'on voudrait aussi éviter, c'est que certains pays utilisent les vaccins pour atteindre des objectifs par exemple d’immunité collective alors que dans d'autres pays, le personnel prioritaire, le personnel de santé ou les personnes avec des facteurs de risque de sévérité n'aient pas encore pu être vaccinées.
Quel rôle MSF peut-elle jouer pour accélérer l’accès aux vaccins?
Isabelle Defourny : Dans quasiment tous les pays de notre portfolio, donc presque une trentaine de pays [pour la section française de MSF, NDLR], on a sur le terrain des équipes qui sont mobilisées autour de cette épidémie. [...] On a des actions différentes mais dans plusieurs pays, on a participé à la prise en charge des patients sévères hospitalisés, par exemple. Donc la première chose que l'on essaie de faire sur la vaccination spécifiquement, c'est de proposer aux ministères de la Santé de les aider à mettre en place leur chaîne de froid, par exemple simplement ça. Très peu de pays d'Afrique ont demandé le vaccin de Pfizer par exemple parce qu'il nécessite une chaîne de froid à moins 80 degrés qu’ils n'ont pas. Mais pour vacciner le personnel médical, pour vacciner vingt mille, trente mille, quarante mille personnes, on peut réellement les aider, mettre à disposition cette chaîne de froid et travailler avec eux. Ça, c'est une des premières choses que l'on fait, que l'on commence à mettre en place. Et puis la seconde chose sur laquelle on a travaillé, c'est finalement se mettre en contact avec les différents fabricants, les différents producteurs de vaccins pour voir si oui ou non il y avait une possibilité pour nous d'acheter ces vaccins et de les mettre à disposition des États avec l'idée finalement de le faire en complément au grand mécanisme COVAX qui se met en place. [...] Et là aujourd'hui, dans nos hôpitaux, environ la moitié des cas et la moitié des décès ont moins de 60 ans. Donc ce n’est pas la même chose qu'ici en France par exemple où plus de 95 % des décès ont plus de 65 ans, tandis que dans nos hôpitaux, l'âge des décès est plus jeune, la moitié a moins de 60 ans.
Est-ce que l’industrie pharmaceutique se montre à la hauteur du défi?
Jean-Hervé Bradol : J'ai plutôt l'impression qu'il y a un effort incroyable qui a été fait pendant un temps très court finalement. Personne ne s'attendait à voir arriver ces vaccins à la fin de l'année 2020 au point d'être enregistrables par l'autorité de régulation américaine ou l'autorité de régulation européenne. Maintenant pour les humanitaires, il s'agit d'être attentifs par rapport à la situation des groupes à risque parce que parfois les groupes à risque, ce ne sont pas ceux dont on a l'habitude. [...] C’est-à-dire les groupes à risque ne sont pas seulement fonction de facteurs biologiques mais ils sont aussi fonction de situations sociales. Donc nous, ce qui nous intéresse, ce sont ceux qui sont négligés par les autres. C'est la cible de l'humanitaire, c'est ça, ce sont les patients qui n’intéressent pas les grandes institutions ou les patients sur lesquels les grandes institutions sanitaires ont un angle mort. C'est ça le rôle de l'humanitaire. Donc on essaye de jouer notre rôle dans cette situation qui est incroyablement mouvante. [...] C'est une situation assez incroyablement positive qu’on démarre une grande épidémie comme ça, catastrophique avec des vaccins obtenus aussi rapidement à des prix aussi bas.
Quels sont les problèmes dans la répartition mondiale des vaccins ?
Isabelle Defourny : Je ne sais pas ce qui va se passer mais c'est vrai que ce serait intéressant quand même que ces doses soient attribuées aux pays aussi en fonction de la situation épidémiologique, qu’il y ait une forme de mécanismes d'urgence au sein du COVAX pour que des pays qui sont touchés, des pays où il y a beaucoup de personnel médical malade, des pays où l'épidémie commence à monter reçoivent rapidement ces vaccins pour être en mesure de vacciner ne fût-ce que le personnel de santé. Après on va voir mais il y aura peut-être aussi une question sur le type de vaccin. Aujourd'hui le vaccin qui va arriver au Malawi via l'Union africaine, c'est l’AstraZeneca. L’AstraZeneca, il semble quand même montrer une plus faible efficacité sur le variant sud-africain qui est la souche de Covid-19 qui est présente au Malawi.
Jean-Hervé Bradol : Les États-Unis accaparent un grand nombre de vaccins mais c'est aussi le pays dans lequel il y a le plus de morts. Donc ce n’est pas non plus un objet de scandale à ce stade. Mais encore une fois, ce qui caractérise la situation, c'est sa grande fluidité, sa grande fluidité dans trois domaines : le biomédical, les qualités des vaccins et des traitements, les évolutions des virus. Le domaine industriel, est-ce que les industries du médicament ont cette capacité-là de produire à l'échelle du milliard en quelques mois, en moins d'une année ? Peut-être mais personne tant que ça n'a jamais été fait n’est en mesure d'être complètement affirmatif. Et puis le troisième régime d'incertitude un peu bloquante, c'est celui dont vous venez de parler, c’est à qui doivent aller les vaccins et quel vaccin doit aller à qui pour protéger au mieux les groupes les plus à risque. Encore une fois, c'est la mission de l’humanitaire de s'intéresser aux gens qui sont un peu négligés par les systèmes de santé publique.