Afghanistan : une aide dangereuse

Une infirmière MSF dans l'hôpital Ahmed Shah Baba à Kaboul  Octobre 2010
Une infirmière MSF dans l'hôpital Ahmed Shah Baba à Kaboul - Octobre 2010 © Kate Ribet / MSF

Cet article de Michiel Hofman a été publié en anglais le 12 janvier dans le journal en ligne ForeignPolicy.com d'AfPak Channel. Basé à Kaboul, Michiel Hofman est le représentant de MSF en Afghanistan.

En Afghanistan, tout le monde semble désormais se considérer comme « humanitaire ». L'armée américaine, les alliés de l'OTAN, le gouvernement afghan et les groupes d'opposition armés soulignent tous leurs « activités humanitaires » afin de gagner le cœur et l'esprit de la population civile.

À première vue, ceci semble n'être que bénéfique dans un pays à la fois pauvre et instable. Après tout, quand on a faim, peu importe de savoir de qui on reçoit la nourriture. Pourtant, alors que la guerre se propage et s'intensifie en Afghanistan et que les besoins humanitaires augmentent en proportion, il est devenu de plus en plus dangereux pour les Afghans de recevoir l'aide fournie par des groupes militaires ou des groupes qui leur sont affiliés. La nécessité d'apporter une aide indépendante et impartiale n'a jamais été aussi pressante.

Presque toutes les provinces d'Afghanistan sont en proie à des violences. Un nombre record d'attentats restreint l'accès de la population aux services de base. En temps de guerre - et peu importe laquelle - il est essentiel de maintenir des services vitaux, situés à des endroits stratégiques, et d'aider les patients à s'y rendre. C'est pour cette raison que le droit international humanitaire a été créé : pour garantir des soins médicaux essentiels à tous pendant les conflits, et ce, indépendamment des belligérants.

Pour les Afghans blessés ou malades, se rendre dans une clinique dirigée par l'OTAN ou recevoir de l'aide de groupes affiliés à la stratégie anti-insurrectionnelle de l'OTAN engendre un risque de représailles de la part de l'opposition, qu'il s'agisse des Talibans ou d'autres groupes militants. Les civils sont confrontés aux mêmes risques de la part des forces internationales et afghanes s'ils ont recours à une aide provenant de l'opposition.

Dans ce contexte de guerre, solliciter des soins équivaut à prendre parti pour un belligérant ou un autre. Le résultat est une impasse tragique: les gens renoncent à se faire soigner en raison des risques potentiels encourus.

L'expérience des patients que MSF soigne dans la ville de Lashkargah, dans la province de Helmand, en témoigne. De graves conflits dans cette province déchirée par la guerre ont laissé près d'un million de personnes privées de soins de santé.

« Des médecins militaires travaillent maintenant dans l'hôpital de district, et nous ne pouvons désormais plus nous y rendre. L'hôpital MSF est dédié aux civils, c'est pourquoi nous y allons », a expliqué récemment un des patients de notre hôpital. « Les armes y sont interdites, ce qui signifie que l'opposition ou les forces internationales ne nous causeront pas de problèmes », ajoute-t-il. Un autre patient a déclaré : « Personne ne va à la clinique de l'OTAN parce qu'il serait pris pour cible. C'est trop dangereux.»

En août 2009, les forces afghanes et l'OTAN ont attaqué une clinique dans la province de Paktika. Une semaine plus tard, les forces américaines ont effectué un raid dans un hôpital de la province de Wardak. En mai 2009, des militants armés ont détruit une clinique dans la province de Khost. Ce ne sont là que quelques exemples illustrant les abus commis envers des structures médicales censées être inviolables.

Bien que la plupart des ONG prétendent que leur assistance repose sur des principes humanitaires, c'est rarement le cas en Afghanistan. De nombreuses ONG mettent en œuvre des projets de reconstruction sur l'ordre d'organismes gouvernementaux, comme l'Agence américaine pour le développement international (USAID). Les groupes d'opposition contestent la légitimité de ces efforts, car elles relèvent de la stratégie contre-insurrectionnelle à plus grande échelle. Et ces ONG, de fait, choisissent leur camp parmi les belligérants. Ainsi, malgré la présence de centaines d'ONG dans le pays, rares sont les endroits où les Afghans peuvent aller chercher des soins vitaux en toute sécurité.

Ceci n'est pas une fatalité. En plus d'appliquer une stricte interdiction des armes dans ses structures médicales, MSF s'est aménagé un espace opérationnel en Afghanistan par le biais de négociations régulières, directes et transparentes avec toutes les parties belligérantes, ainsi qu'en maintenant une totale indépendance financière par rapport aux gouvernements afghans et occidentaux. Notre indépendance et notre approche purement fondée sur les besoins nous permettent d'étendre nos opérations à d'autres régions du pays ravagées par la guerre. Alors que d'autres groupes déplorent le manque d'« espace humanitaire », nous bénéficions au contraire d'une certaine ouverture en raison d'une acceptation générale de nos méthodes et de nos intentions.

Mais la confusion demeure. L'USAID et d'autres bailleurs de fonds occidentaux sous-traitent souvent le travail de développement avec des entreprises commerciales, comme Development Alternatives
Inc. ou International Relief and Development, pour mettre en œuvre des projets de stratégie contre-insurrectionnelle. Ces entreprises opèrent comme des corps militaires et habitent dans des camps armés et fortifiés. Elles illustrent non pas la façon dont les soldats se transforment en travailleurs humanitaires, mais plutôt la façon dont les soi-disant travailleurs humanitaires se transforment en militaires. Le fait que les médias fassent référence à ces entreprises comme étant des « groupes d'aide » vide de son sens la notion même d'aide humanitaire. Ces entreprises ont choisi leur camp et ne peuvent prétendre ni à la neutralité, ni à l'indépendance.

Beaucoup d'ONG faisant ces mêmes revendications brouillent les cartes en participant également à des projets de reconstruction et à des activités liées à la stratégie contre-insurrectionnelle. Ces ONG devraient faire le choix de travailler désormais de façon indépendante afin de fournir une aide humanitaire en fonction des besoins, et seulement des besoins.

Alors que le conflit s'intensifie et se propage, les Afghans doivent être en mesure de recevoir des soins essentiels sans avoir à choisir un camp et mettre leur vie en danger.


Michiel Hofman, représentant de MSF en Afghanistan

 

>> Retrouvez la version anglaise de cet article sur le journal en ligne ForeignPolicy.com d'AfPak Channel.

 

Notes

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