Amérique latine : MSF alerte sur les violences subies par les personnes migrantes en provenance d’Afrique et d’Asie

Sur la Plaza de la Soledad, au cœur de Mexico, des migrants venus de différentes régions du monde vivent dans des abris de fortune. Mars 2025, Mexique.
Sur la Plaza de la Soledad, au cœur de Mexico, des personnes migrantes venus de différentes régions du monde vivent dans des abris de fortune. Mars 2025, Mexique. © Sergio Pérez/MSF

La migration extracontinentale à travers l'Amérique latine n'est pas un phénomène nouveau, mais elle devient de plus en plus courante. Face aux politiques européennes restrictives, aux morts dans la Méditerranée et dans la Manche, à la torture en Afrique du Nord et aux détentions illégales aux frontières, les personnes originaires d’Asie ou d’Afrique cherchent de nouvelles routes migratoires. Médecins Sans Frontières (MSF) intervient tout au long de la route en Amérique latine pour apporter des soins de santé et un soutien social. 

Mbala*, originaire d’Afrique centrale, a trouvé refuge avec sa femme et ses enfants à La Soledad, un camp de migrants informel situé au cœur de Mexico. Après un parcours migratoire long et périlleux à travers l’Amérique latine, ils se trouvent à quelques centaines de kilomètres de la frontière des États-Unis, qu’ils souhaitent atteindre. 

Mbala a décidé de fuir en raison des persécutions politiques qu’il a subi à la suite de l’assassinat de son père. Conseiller politique, il a été tué après une défaite électorale locale. « La persécution, la peur, c'était insupportable » dit-il. Face à l’insécurité persistante, Mbala* a choisi la route vers les États-Unis, qu’il a entamée en 2016. « J'ai pensé à aller en France, mais je ne sais pas nager et j'avais peur de me noyer dans la mer [Méditerranée] », explique-t-il. Avec sa famille, ils n’ont atteint le continent américain qu’en 2023.  

Le nombre de migrants extracontinentaux d’Afrique ou d’Asie arrivant de manière irrégulière au Mexique a fortement augmenté ces dernières années. Alors qu'ils étaient environ 17 000 en 2022, le nombre d’arrivée a bondi à 92 200 en 2023 et à 89 000 en 2024, selon l'Unité des politiques migratoires du Mexique. Cela représente une augmentation de 440 % de 2022 à 2023, suivie d'une légère baisse en 2024. Contrairement aux migrants latino-américains, dont le parcours migratoire ne dure que quelques mois, les migrants extracontinentaux peuvent passer plusieurs années en déplacement avant d’atteindre leur destination. 

Israël Reséndiz, psychologue et coordinateur des activités médicales mobiles de MSF à Mexico, explique que la barrière de la langue est une première grande difficulté, comme le sont également la durée du trajet et les discriminations spécifiques aux migrants extracontinentaux. « Historiquement, les personnes originaires d’Asie ou d’Afrique traversaient Mexico en empruntant des itinéraires peu visibles, difficiles d'accès pour l'aide humanitaire. Aujourd'hui, on observe l’arrivée de groupes plus visibles, souvent composés de 20 à 30 personnes originaires du Bangladesh, de Mauritanie, du Congo ou d’Afghanistan par exemple. Toutefois, une fois que nous les trouvons, communiquer avec eux n’est pas toujours simple. » 

En raison de violences systémiques ou de discriminations subies durant leur parcours, une grande partie de cette population craint de demander de l’aide. « Même pour ceux qui n'ont pas subi de violence directe, on peut quand même parler de stress post-traumatique, car le voyage en lui-même est traumatisant », explique Israël Reséndiz. « 69 % des patients que nous accompagnons déclarent avoir subi une forme de violence, ce qui a des conséquences graves en matière de santé mentale. » 

Les migrants extracontinentaux sont exposés à des niveaux élevés de violence et d'abus tout au long de leur parcours migratoire. Paul* est originaire de la République démocratique du Congo et sa femme Djanina*, d’Angola. « Nous nous sommes rencontrés après que j'ai fui la guerre, mais les Congolais sont très mal traités en Angola, donc sa famille n'a jamais approuvé notre mariage. » explique Paul. Les menaces de mort, la violence physique et l'exclusion sociale ont conduit Paul à prendre la route de l'immigration vers le Brésil. Après 11 ans au Brésil, Paul a économisé suffisamment d’argent pour que Djanina le rejoigne. « C'est la pire chose que j'ai faite de ma vie », dit Djanina. Car, même installés au Brésil, ils ont continué à faire face à des menaces dans les favelas, les poussant à reprendre la route à travers la Bolivie, le Pérou et l’Équateur.  

En arrivant à Tumbes, en Équateur, ils ont été kidnappés dans une maison isolée en montagne, détenus, dépouillés et agressés. D’autres violences ont suivi en Amérique centrale et dans le sud du Mexique, notamment au cours de la traversée du Darién Gap, zone particulièrement dangereuse pour les personnes migrantes. 

« Prendre en charge les survivants de violences sexuelles est un élément essentiel de notre travail le long de la route migratoire », déclare José Antonio Silva, coordinateur de projet MSF à Mexico. « En 2024, nous avons traité plus de 145 cas, soit près du double de l'année précédente. Les groupes criminels et les autorités profitent de la vulnérabilité des migrants extracontinentaux, notamment en raison des barrières linguistiques et de l'absence de réseaux de soutien. Cela augmente considérablement leur risque de subir des violences extrêmes le long de la route. » 

« Dans notre projet à Mexico en 2024, nous avons traité 83 patients extracontinentaux originaire de 17 pays différents, incluant l'Angola, le Congo, le Mali, le Maroc, l'Afghanistan et la Chine. C'est une petite proportion par rapport aux migrants latino-américains, mais ils ont un accès très limité aux soins de santé, aux services de santé mentale et aux ressources de base. Leurs conditions d’arrivée sont extrêmement précaires », explique José Antonio Silva. 

En janvier 2025, l'administration Trump a supprimé l'application CBP One, moyen pour les personnes migrantes de demander l’asile, annulant ainsi tous les rendez-vous en attente. Cette décision a anéanti les derniers espoirs de nombreuses personnes migrantes, dont Mbala, Paul et Djanina. Désormais, ils se retrouvent bloqués au Mexique, sans alternative. 

Face aux changements des politiques migratoires affectant les populations vulnérables en déplacement, MSF appelle au respect du droit de demander l'asile et à la mise en place de mécanismes de protection pour préserver leur santé, leur sécurité et leur dignité humaine. 

 

*Les noms ont été modifiés pour protéger l'identité des personnes. 

Notes

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