« Vivre dans la peur permanente de nouveaux affrontements »
Svetlana, infirmière, travaille dans le centre de santé de Kouteynikov, un village de la région de Donetsk où MSF mène une clinique mobile.
« Beaucoup d’habitants ont quitté Kouteynikovo au début du conflit, la majorité pour la Russie. Certains sont revenus, mais pas tous. Avant, il y avait 1 600 habitants, maintenant il n’en reste plus qu’un millier environ. Avant la guerre il y avait pas mal de jeunes, mais la plupart sont partis. Kouteynikovo est devenu un village de vieux.
Les pathologies les plus fréquentes sont celles des personnes âgées : maladies cardiaques, hypertension, diabète et douleurs articulaires. Les patients diabétiques ont beaucoup de mal à trouver de l’insuline. Avant, il y avait une pharmacie mais elle a dû fermer à cause de problèmes d’approvisionnement.
En septembre, le médecin du village a été détaché dans la ville de Metalist, car là-bas le centre de santé dessert plus de villages. Il vient chez nous une fois par semaine et, depuis peu, le médecin de MSF, le docteur Wael, vient deux fois par semaine. Cette aide nous remplit de joie. C’est important que les médicaments soient gratuits car les habitants n’ont pas d’argent. Les entreprises sont à l’arrêt, il y a beaucoup de chômage et de pauvreté. Le Dr Wael est très gentil, il fait pratiquement partie de notre famille. Il est toujours de bonne humeur quand il vient ici et a toujours le sourire aux lèvres, même après avoir vu une centaine de patients.
Nous ne touchons plus de salaire depuis l’été. Nous avons été payés une fois, en janvier. Les gens me demandent souvent pourquoi je travaille encore alors que je ne suis pas rémunérée. Je leur réponds simplement que je suis le genre de personnes à continuer à travailler malgré les difficultés. Les gens d’ici sont très courageux, très solides. Nous avons survécu plusieurs mois en ne mangeant que les légumes de nos potagers. Mon mari a pu aller en Russie pour travailler et rapporter un peu d’argent.
Malgré les bombardements en août, je n’ai pas quitté le village. Je suis chez moi à Kouteynikovo, je ne peux pas partir. Ma maison est ici, mes petits-enfants vivent ici. Les bombardements avaient lieu le matin et la nuit. Nous ne savions pas quand les bombes allaient tomber. Il n’y avait plus d’électricité, plus d’eau. C’était terrible.
Le calme est revenu, mais je ne crois pas que le conflit soit terminé. Les habitants vivent dans la peur permanente de nouveaux affrontements. Si les bombardements reprennent, je ne resterai pas ici. Je partirai, je ne veux plus connaître la guerre. »
« Acheter des médicaments est devenu difficile »
Lydia, 65 ans, vit à Ouspenka, un village de la région de Donetsk où MSF mène aussi une clinique mobile. © Amnon Gutman 2015
« J’ai toujours vécu ici. J’étais commerçante et je suis retraitée depuis 2009. Dès le début du conflit, de nombreux habitants ont quitté Ouspenka, la plupart pour la Russie. Mon fils est parti lui aussi à ce moment-là. Puis il est revenu, comme la majorité des habitants d’ici. Notre village n’a pas été ciblé par les bombardements, mais il a été utilisé comme base pour attaquer d’autres villages. Les champs des alentours sont infestés de mines.
Le pire ici, c’est le chômage et le manque d’argent. Je ne touche plus ma retraite depuis juillet de l’année dernière. Je cultive des pommes de terre dans mon potager et j’ai un poulailler, ce qui me permet de vendre des œufs. Mon frère, qui vit en Russie, m’envoie aussi un peu d’argent chaque mois.
Je suis cardiaque et je souffre d’hypertension. Pour beaucoup d’entre nous, acheter des médicaments est devenu difficile. Leur prix n’a pas arrêté de grimper depuis le début du conflit. On peut encore en trouver dans les pharmacies, mais ils sont bien trop chers.
Pendant plusieurs mois, Il n’y a pas eu de médecin à Ouspenka. Pour consulter, il fallait aller à Amvrosievka, à 23 kilomètres d’ici. Maintenant MSF organise des consultations et quand le Dr Wael vient au village, il y a de longues files d’attente. Je ne sais comment remercier MSF. L’association nous aide énormément. »
« J’ai assez d’insuline jusqu’au mois prochain, après, je ne sais pas ce que je vais faire »
Loudmila, 66 ans, vit avec son mari à Kouteynikov. © Amnon Gutman 2015
« Le conflit a bouleversé nos vies. La situation est instable, nous essayons de survivre tant bien que mal. Notre plus grand problème est le manque d’argent. Nous ne touchons plus notre retraite. Nous ne pouvons plus aller à Donetsk et toutes les banques de la région sont fermées. Pour toucher notre argent, il faut maintenant franchir la ligne de front. Nous avons fait une fois le trajet jusqu’à Dniepropetrovsk, à 250 kilomètres d’ici, de l’autre côté de la ligne de front.
Mon mari a été opéré il y a cinq ans d’un cancer de l’estomac. Moi, je suis diabétique et je souffre de complications cardiaques, d’hypertension et d’un ulcère gastrique. J’ai assez d’insuline jusqu’au mois prochain. Mais après, je ne sais pas ce que je vais faire. En décembre, j’ai été malade à cause du diabète. Je suis partie pour Kiev où je me suis installée chez ma petite-fille. J’ai pu être soignée. J’y suis restée un mois et j’ai pu toucher ma pension. Mais tout l’argent est parti en soins médicaux et en médicaments.
Le problème, c’est qu’il n’y a pas de médicaments ici et quand il y en a, ils sont trop chers. Le prix des médicaments a doublé. Avant, il y avait une pharmacie où l’on pouvait acheter des médicaments essentiels mais elle a fermé. Nous devions donc aller jusqu’à Amvrosievka, Ilovaïsk ou Donetsk, mais pour cela, il fallait de l’argent. Le pire, c’est qu’il n’y a plus de médecin à Kouteyniekovo depuis plusieurs mois.