Au Mali, parmi les Touaregs

Une autre mission MSF pour la population nomade avait été menée à la frontière entre le Mali et la Mauritanie en 2005
Une autre mission MSF pour la population nomade avait été menée à la frontière entre le Mali et la Mauritanie en 2005 © Ibrahim Younis/MSF

Le Dr Fatouma Mabeye Sidikou a mené une « explo-action » dans la région de Kidal, au Mali, en mai. En trois semaines, elle a participé à l’évaluation des besoins, à la définition d’une stratégie opérationnelle et au début des activités pour une mission «comparable à nulle autre».

Le Dr Fatouma Mabeye Sidikou a mené une « explo-action » dans la région de Kidal, au Mali, en mai. En trois semaines, elle a participé à l’évaluation des besoins, à la définition d’une stratégie opérationnelle et au début des activités pour une mission «comparable à nulle autre».

Fatouma sillonne l’Afrique depuis huit ans au fil des missions MSF : Burundi en 2000 puis Soudan, Niger, Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire, Guinée, Nigéria, République Démocratique du Congo, Sud-Soudan, Libéria…

Le 29 Avril, quelques jours après son retour du Zimbabwe, Fatouma repart pour le Mali. Objectif de l’équipe de trois personnes : ouvrir une mission dans la région de Kidal, située au nord est du pays, une zone où alternent les périodes de conflit et de trêve entre les autorités et la rébellion touarègue.

Le début est des plus classiques. Le responsable terrain, le médecin et le logisticien-administrateur emportent le matériel médical et bureautique nécessaire, en partie sous forme de kits. Par exemple le kit blessés comprend tout le matériel médical nécessaire à la prise en charge de 100 blessés.

Les premiers jours sont consacrés à la prise de contact, au niveau national, régional et local. L’équipe se présente auprès des responsables politiques, sanitaires, militaires et communautaires. Il faut deux jours de route pour arriver à Gao, la ville principale d’une des huit régions du Mali, et une journée supplémentaire pour la destination finale : Kidal, à 1600 kilomètres de Bamako.


Centre de santé ensablé et désert. « Il faut s’imaginer une région qui est grande comme la moitié de la France, où l’hôpital principal, celui de Kidal, n’a pas de service de chirurgie » décrit Fatouma.

A 400 kilomètres, l’hôpital de Gao a bien des chirurgiens, mais aucun n’est spécialisé en traumatologie, une compétence qui peut être utile dans une zone de combats. Le conflit entre l’armée et les rebelles touaregs a repris plus intensément dans la région de Kidal, limitrophe de l’Algérie. Les affrontements armés sont fréquents, liés au combat politique et armé d’un mouvement touareg mais aussi aux trafics de toutes sortes qui se développent dans la région désertique entre le Mali, le Niger et l’Algérie.

Sur les dix centres de santé, très peu sont fonctionnels. « Quand nous arrivons au centre de santé de Tineze, à moins de deux cent kilomètres de Kidal, il n’y a pas un seul patient et le centre est progressivement englouti par le sable, » raconte encore Fatouma. La dernière visite de l’équipe médicale du ministère de la Santé responsable de cette zone remonte à plus de quatre mois.

Les centres de santé sont des éléphants blancs : bien construits mais vides !
Dr Fatouma Mabeye Sidikou

« Nous avions été alertés sur des cas de rougeole mais les campements se sont déplacés, ils sont maintenant à une centaine de kilomètres. Nous y allons, je soigne plusieurs enfants qui ont la rougeole. Mais il y avait déjà eu quatre décès, trois enfants et une femme enceinte. »


Soins médicaux urgents. Les centres de santé sont vides mais des malades, dans les campements, ont besoin de soins médicaux. « Nous avons la malle d’urgence. Je me souviens d’une femme qui avait accouché cinq jours plus tôt et n’avait toujours pas éjecté le placenta. Je l’ai réanimée sur place, puis nous l’avons transférée à l’hôpital de Kidal » décrit Fatouma.

« Un autre jour, nous tombons sur un garçon de 8 ans, Moulaye. Il souffrait d’une fracture ouverte des os de l’avant-bras depuis plus de deux mois ! Nous avons organisé son transfert à l’hôpital de Gao puis à celui de Bamako. Juste avant de rentrer, je l’ai vu à Bamako, il allait beaucoup mieux, il allait repartir, il était encore tôt pour qu’il rentre chez lui mais il pouvait être hospitalisé à Gao. » La majorité des consultations concerne des enfants, pour des maladies respiratoires ou des diarrhées. La malnutrition ne semble pas répandue, l’alimentation n’est pas très variée mais basée essentiellement sur le lait et la viande.

Une densité de population 500 fois inférieure à la France. « Ici, ce n’est pas une question de moyens », explique Fatouma. « les centres de santé sont des éléphants blancs : bien construits mais vides ! Il n’y a globalement personne ! » La région de Kidal compte 52.000 habitants environ, soit l’équivalent du nombre d’habitants de la commune de Sartrouville en France.

Centre de santé, Goudam, nord du Mali
Un centre de santé à Goudam, au nord du Mali, en 2005
Mickael Therer

La densité de population moyenne est de 20 habitants pour cent kilomètres carrés. Mais cela ne suffit pas à expliquer la désertion des structures de santé. « Les consultations et les médicaments sont payants, à un prix pas très élevé, mais d’autres facteurs jouent aussi » suggère Fatouma, « peut-être la barrière linguistique, puisque le personnel médical dans les centres n’est pas touareg, et surtout la mobilité et l’insécurité.

En bref, c’est immense, les quelques habitants se déplacent constamment et la reprise du conflit fait fuir ceux qui le peuvent!».

La population évite les « villes » et reste éloignée des centres militaires et policiers cibles d’attaques de rebelles. « Kidal est désertée, c’est une ville qui paraît riche, avec de belles constructions, récentes. Mais il n’y a pas grand monde dans les rues » décrit Fatouma. « Ceux qui sont restés sont les plus pauvres, ceux qui n’ont pas le choix. Les autres sont partis en brousse et se déplacent suivant les points d’eau avec leur troupeau. D’autres encore ont fui en Algérie.»


Définir une stratégie. L’équipe propose alors un plan d’intervention basé sur la mobilité. « Nous devions nous adapter : comment soigner des malades parmi des petits groupes de quelques dizaines de personnes éparpillés sur de très grandes distances ? Nous avons donc choisi des cliniques itinérantes, nos équipes doivent sortir des villes pour aller vers les malades sur plusieurs axes. Mais nous soutenons également le centre de référence de Kidal pour pouvoir assurer la prise en charge des malades plus compliqués » explique Fatouma. Une vaccination rougeole dans la zone où des cas ont été identifiés est également mise en place, en collaboration avec le ministère de la Santé.

C’est immense, les quelques habitants se déplacent constamment et la reprise du conflit fait fuir ceux qui le peuvent
Dr Fatouma Mabeye Sidikou

« Le premier jour de la clinique itinérante était le 21 mai, le jour de l’attaque d’Abaïbara ! Nous étions à quelques dizaines de kilomètres de là » se souvient Fatouma. Ce jour là, une attaque contre un poste militaire s’est soldée par un lourd bilan : plus de trente morts. C’est l’affrontement le plus meurtrier depuis des années. « Nous avons dû arrêter la vaccination qui venait de débuter…».

Les aléas d’une zone de conflit. Les affrontements sporadiques peuvent être très proches… Les 27, 28 et 29 mai, des roquettes ont été tirées depuis la ville vers les environs. « Je suis réveillée en sursaut par un bruit énorme, vraiment impressionnant ! », raconte Fatouma.

« La maison tremble, mon lit se casse, je file vers un endroit où me protéger. Nous nous retrouvons tous dans le couloir, là où c’est le moins exposé, à écouter dans la nuit les tirs de roquette. Les militaires appellent cela des « tirs de sommation, cela fait un bruit du tonnerre. Le lendemain, ça recommence, en pleine nuit aussi, et le surlendemain encore. Là, au bout d’un quart d’heure, j’ai dit : j’en ai assez, je veux me coucher. Et je suis retournée dans mon lit. Après le Burundi, je ne vais pas m’épuiser pour quelques tirs. »

 

 

Notes

    À lire aussi