« L'embargo entrave les entrées et sorties des personnes, malades comme personnel soignant. Les malades qui, comme Mohammed, ne peuvent être pris en charge dans Gaza doivent demander une autorisation de sortie de Gaza aux autorités israéliennes pour pouvoir être soignés en Israël, en Cisjordanie, en Egypte, en Jordanie etc. 25% des 1 200 demandes mensuelles sont refusées, ou bien accordées trop tard, ce qui équivaut à un refus : le rendez-vous médical initialement pris dans le pays tiers est alors passé et il faut recommencer toute la procédure sans avoir la garantie d'une réponse positive et à temps. Pendant deux ans, MSF elle aussi tenté d'envoyer des patients de Gaza vers son programme de chirurgie réparatrice d'Amman, en Jordanie, en vain.
Le personnel de santé palestinien ne peut bénéficier de formations à l'étranger. Or ces remises à niveau régulières sont capitales dans le domaine de la santé, plus que dans tout autre secteur. Dans le cadre de nos activités, et notamment via notre programme chirurgical, nos expatriés tentent de transmettre leur savoir-faire médical et certaines techniques aux équipes locales.
MSF pâtit également de ces limitations de déplacements : nos cadres palestiniens basés à Jérusalem ne peuvent pas se rendre sur le terrain afin d'apporter leur expertise médicale ou technique. Notre personnel palestinien de Gaza lui ne peut pas sortir. Or, afin de garantir la meilleure qualité de soins possible, notre personnel soignant - notamment celui qui travaille sur notre programme de soins psychologiques et qui est très exposé à la souffrance des patients - devrait pouvoir sortir régulièrement pour décompresser et bénéficier, lui aussi, de formations.
L'embargo limite l'entrée des biens, même médicaux. Selon le Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA), il faudrait 600 camions/jour pour approvisionner la bande de Gaza. A l'heure actuelle, on en compte 100 à 200 seulement qui entrent quotidiennement.
Si matériels et médicaments essentiels sont disponibles, plus de 100 références spécialisées sont chroniquement en rupture de stock, comme par exemple les électrodes cardiaques pédiatriques, certains médicaments pédiatriques ou traitements contre l'anémie ou l'hémophilie. En 2009, MSF a donné 40 000 € de matériel et de médicaments à différentes structures de santé, afin de pallier certains manques.
Comme Jamila, environ 1 200 personnes amputées attendent de recevoir un ou plusieurs membres artificiels, et ce depuis des mois, voire des années. On estime que, début 2009, plus de 5 000 personnes ont été blessées pendant « Plomb durci », mais aussi suite à des affrontements inter-palestiniens. MSF a soigné 1 900 patients l'an passé dans ses dispensaires de soins de réhabilitation (pansements et kinésithérapie). Actuellement, nous suivons une cinquantaine de personnes amputées. Mais, l'unique centre de prothèses de la bande de Gaza peine à répondre aux besoins : personnel et matériaux spécialisés manquent.
Ruptures d'approvisionnement en fuel et diminution de l'offre de soin. Du fait de l'embargo israélien, mais aussi du fait du manque de coopération entre les Ministères de Gaza et de Ramallah, les entrées de carburant sont aléatoires et entravent l'alimentation et le bon fonctionnement de l'unique centrale électrique de Gaza encore fonctionnelle depuis « Plomb durci ». Les coupures de courant sont quotidiennes et durent de 8 à 12 heures. Pour y pallier, la population s'équipe de groupes électrogènes, de bouteilles de gaz de contrebande, de bougies et de lampes à pétrole : autant de sources d'accidents domestiques graves dont les victimes sont bien souvent les enfants, comme Zainab.
Faute de carburant pour faire tourner leurs propres groupes électrogènes, hôpitaux et centres de santé se voient parfois contraints de réduire leur offre de soins. En avril dernier, MSF a fourni 17 000 litres de fuel au 2ème hôpital de la bande de Gaza qui était à court de fuel et avait été obligé de fermer de préventivement certains de ces services.
Retard dans la prise en charge des malades. En 2009, dans nos dispensaires de soins de réhabilitation, nous avons constaté que le nombre de personnes brûlées, victimes d'accidents domestiques ou victimes directes du conflit, avait très nettement augmenté. Or la liste d'attente pour bénéficier d'une chirurgie réparatrice dans un hôpital de Gaza est très longue : on estime à 500 le nombre de personnes qui doivent attendre en moyenne 18 mois pour pouvoir être opérées. Début août 2010, en collaboration avec l'hôpital Nasser et ses équipes, MSF a ouvert un programme de chirurgie réparatrice dont l'objectif est de réduire cette liste d'attente et d'aider ces patients à retrouver plus rapidement leurs fonctionnalités corporelles et un maximum d'autonomie. En deux mois, MSF a effectué 185 consultations et 51 opérations.
Détérioration lente et ininterrompue de l'offre et de la qualité des soins. La principale conséquence de l'embargo sur la situation humanitaire, sanitaire et médicale de la bande de Gaza consiste en une détérioration lente, mais progressive et ininterrompue de l'offre et de la qualité des soins.
1.5 million d'habitants de la bande de Gaza sont prisonniers de ce bout de terre cerné par la mer et les frontières. Actuellement, entre 75 et 80% de la population dépend totalement de l'aide internationale. Du fait de l'embargo, près de 50% de la population est au chômage. Les conditions de vie dans la bande de Gaza sont pathogènes. L'impact psychologique est évident. Chaque année, via son programme de soins psychologiques, MSF prend en charge 400 patients et donne 4 000 consultations en moyenne. Mais, selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ce sont entre 20 et 50 000 habitants de la bande de Gaza qui souffriraient de graves troubles psychologiques. »
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