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Gaza : un rapport de MSF dénonce la campagne
de destruction totale menée par Israël

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Blessée à Alep, « il a fallu quatre ans et vingt opérations chirurgicales pour me remettre de mes blessures »

Amal Adullah sur son lit.
Amal Adullah sur son lit. © Natasha Lewer/MSF

Les habitants assiégés d’Alep-Est, en Syrie, sont confrontés à un choix : quitter leurs maisons ou périr. Alors qu’ils se préparent à un avenir toujours incertain, Amal Abdullah se souvient du jour, il y a quatre ans, où on lui a dit de fuir le quartier de l'est d'Alep où elle a grandi.

C’était à la mi-juillet 2012, les autorités nous ont donné l’ordre d’évacuer notre quartier d’Alep-Est ou de rester, à nos risques et périls.

J’ai vécu toute ma vie à Alep ; la vie y était très agréable. Les gens s’entraidaient, il y avait un fort sentiment de liberté et l’économie était florissante. J’avais 32 ans, vivais avec mes parents et mes frères et sœurs et travaillais dans un magasin, dans un centre commercial.

Mais la guerre a éclaté et tout a changé. La vie que nous connaissions s’est arrêtée.

Lorsque les autorités nous ont donné l’ordre d’évacuer notre quartier de Salaheddine, certains habitants les ont écoutées, mais d’autres ont dit « Non, nous ne serons pas bombardés ». Beaucoup ne voulaient pas abandonner leurs possessions, d’autres ne savaient pas où aller. Avec ma famille, nous avons déménagé dans le quartier d’Al Kalaseh, dans le centre d’Alep, où nous avons de la famille, mais mon père a choisi de rester, seul.

De temps à autres, je suis retournée à Salaheddine pour voir mon père et prendre quelques vêtements, mais c’était très risqué. Il y avait des bombardements et des combats au sol, seulement quelques voitures dans les rues, et il n’y avait plus d’électricité, d’eau ni de moyens de communication.

À l’inverse, Al Kalaseh était très calme et paisible au début. C’est un quartier situé en plein cœur d’Alep, à proximité de la citadelle et du principal marché de légumes. Ce n’était bien sûr pas paisible à cent pour cent – on entendait les hélicoptères et les avions dans le ciel – mais durant ces quelques semaines, nos vies ont été plus ou moins normales. Nous pouvions avoir une vie sociale, organiser des réunions de famille chez ma tante, et j’ai même pu aller chez le dentiste.

Le soir du 1er août, j’étais en train de marcher vers la maison avec mon cousin quand, soudainement, une bombe est tombée tout près. J’ai vu le flash et entendu l’explosion. Des inconnus nous ont entraînés dans un immeuble, mais nous avons finalement rejoint la maison d’un proche un peu plus loin. Alors que nous courrions, une seconde bombe est tombée entre deux bâtiments. La rue était en panique : les gens couraient et criaient, il y avait des blessés au sol. À nouveau, des inconnus nous ont tirés à l’intérieur et nous nous sommes réfugiés dans un appartement au premier étage.

Les gens allumaient des bougies. Je me suis assise sur un canapé, on ne pouvait qu’attendre. Des membres de ma famille m’ont appelée cinq ou six fois d’affilée pour me demander où j’étais et me prévenir que la situation était en train de s’aggraver.

Juste après, j’ai vu une lumière éblouissante et entendu une très forte explosion. J’étais totalement consciente, je criais mais ne ressentais aucune douleur. La femme qui était à côté de moi gisait au sol, morte. On m’a enroulée dans une couverture et amenée au rez-de-chaussée. J’ai entendu des gens appeler une ambulance.

Amal Adullah © Natasha Lewer/MSF

Amal Adullah © Natasha Lewer/MSF

À bord de l’ambulance, j’étais entourée d’hommes qui me posaient des questions. Quel était mon nom ? Où était ma famille ? Où était mon téléphone portable ? Ils n’ont pas trouvé mon portable, mais je suis parvenue à leur donner le numéro de ma sœur. Lorsqu’elle a décroché et entendu mon nom, elle a cru que j’étais morte. Je ne l’étais pas, mais j’étais gravement blessée.

À l’hôpital de terrain Abdul Aziz, j’ai été anesthésiée et les médecins ont tenté de stopper l’hémorragie. Le souffle de l’explosion m’avait projeté contre un mur, brisant l’os de mon coude. Ma jambe avait presque été sectionnée par un éclat, et j’avais d’autres blessures d’obus à la main, au bras, à la poitrine, aux côtes et à l’abdomen.

J’ai été transférée à l’hôpital public Al Razi. Le transfert était très agité et dangereux : les tirs d’artillerie continuaient et je saignais toujours. La zone tout entière était sous les bombardements. J’ai été directement transportée à la salle d’opération et la dernière chose dont je me souviens, c’est que le chirurgien m’a demandé de réciter un passage du Coran alors que l’anesthésie faisait effet. L’opération a duré dix heures – de 22 heures ce soir-là à 8 heures le lendemain matin – et je suis restée inconsciente cinq jours durant.

Lorsque j’ai quitté l’hôpital, je n’avais nulle part où aller pour être en sécurité. Je souffrais d’une grave blessure osseuse, mais mon principal problème était la peur. Chaque fois que j’entendais des avions dans le ciel, la douleur s’intensifiait.

Chaque jour et chaque nuit, nous entendions des bombardements. Une balle perdue a fini sa course dans notre jardin, blessant ma sœur. Il n’y avait ni électricité ni moyens de communication. J’avais constamment des flashbacks du jour où j’avais été blessée. Un mois plus tard, nous avons réussi à quitter la ville et à fuir vers la Jordanie.

Cela fait quatre ans que je suis blessée, j’ai subi vingt opérations chirurgicales pour soigner mes blessures à la jambe, au bras et à la main. Après un an de greffes osseuses et de soins à l’hôpital de chirurgie reconstructrice de MSF à Amman, je suis enfin sur le point de sortir. Je marche avec des béquilles, mais je peux bouger ma main grâce à une articulation prothétique.


 

Désormais, lorsque je vois ce qui se passe à Alep – les bombardements et le siège – je compatis avec les personnes qui y vivent encore. Je connais ce danger, le risque permanent en cas de déplacement. Je ne souhaite à aucun habitant d’Alep de vivre ce que j’ai vécu.

J’espère simplement redevenir une fille normale, retrouver la vie que j’avais avant. Je suis parfois triste lorsqu’on me demande, « Que t’est-il arrivé ? », mais c’est le destin ; je dois l’accepter. J’ai beaucoup de chance d’avoir bénéficié d’excellents soins médicaux et j’espère pouvoir me rétablir pleinement.

Les noms ont été changés à la demande de la patiente.

Notes

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