Quels types de problèmes psychiques avez-vous
rencontrés dans le Sichuan suite au séisme?
Tout dépend de la façon dont la victime a été touchée par la
catastrophe. Ainsi, chez les blessés graves, chez les personnes dont les
maisons se sont effondrées, chez celles qui ont fui sans rien pouvoir emporter
ou encore celles qui ont perdu des membres de leur famille, nous remarquons des
sentiments d’impuissance et de désespoir, une angoisse face à l'avenir. Les
rescapés venant de régions où les dégâts ont été moindres présentent plutôt des
troubles psychosomatiques, comme des troubles du sommeil, une perte d’appétit,
des nausées ou des maux de tête. Beaucoup de survivants font des cauchemars,
ils se plaignent d'anxiété et de nervosité, sursautent facilement et craignent
de nouvelles répliques.
Pouvez-vous donner des exemples de réactions psychologiques
plus graves liées au choc du tremblement de terre ?
Le désespoir et l’impuissance peuvent détruire un individu.
Je me souviens d’un arrière-grand-père de 102 ans, rencontré dans l’un des
camps de rescapés. Il n’y a rien de plus terrible pour un vieillard de 102 ans
que de survivre à ses arrière-petits-enfants. Ils ont en effet tous perdu la
vie, ainsi que plusieurs de ses enfants. Il pleure du matin au soir. À son âge,
il n’attend plus rien de l'avenir et se demande pourquoi lui a survécu et pas
ses arrière-petits-enfants qui avaient la vie devant eux.
Vous venez de décrire deux catégories de victimes. D’après
vous, un de ces groupes a-t-il plus particulièrement besoin d’un soutien
psychologique?
Au lendemain d'une catastrophe d'une telle ampleur, il y a
toujours des groupes plus vulnérables. Il y a bien sûr les enfants, notamment
ceux qui ont perdu leurs parents ou qui ont vu des blessés graves et même la
mort. Mais aussi les personnes âgées, que l’on a souvent tendance à négliger. Enfin,
il y a survivants qui ont perdu des êtres chers. Les parents qui ont perdu leur
enfant ou dont l’enfant n’a pas été retrouvé traversent une période
particulièrement difficile, et ce, d’autant plus dans un pays où l'État a
imposé la politique de l'enfant unique.
Par ailleurs, les travailleurs humanitaires peuvent eux
aussi avoir besoin d’un soutien psychologique. Ici, dans le Sichuan, nombre
d’entre eux ont participé aux opérations de recherche et de sauvetage tout en
apportant une aide médicale aux victimes. Confrontées à la mort et aux
traumatismes, ces personnes ont besoin d’une aide psychologique aujourd’hui
mais aussi à long terme.
Comment MSF a-t-elle répondu aux besoins urgents après le
tremblement de terre?
Juste
après le séisme, nous avons mené plusieurs activités. Nous nous sommes d’abord
concentré sur l'évaluation des besoins en santé mentale, dans les hôpitaux
ainsi que dans les camps de déplacés. Puis nous avons mis en place des
consultations cliniques dans le centre de santé mentale de l’hôpital West
China. Enfin, nous avons pu apporter un soutien psychologique aux victimes du
séisme au sein même de l'hôpital. Nous avons également proposé une formation en
santé mentale pour le personnel médical. Sur le terrain, auprès des populations,
nous avons mené un travail de sensibilisation aux réactions qui apparaissent
chez les personnes qui ont vécu un séisme. Nous avons également insisté sur les
stratégies d'entraide qui peuvent aider à gérer de telles réactions.
Lors de vos consultations, avez-vous observé chez les
victimes des mécanismes particuliers qui leur ont permis de surmonter leur
épreuve ?
J’ai été frappée par la forte cohésion et la solidarité au
sein de ces communautés. Les rescapés se soutiennent mutuellement, non seulement
au niveau familial mais aussi au niveau de la communauté. Les villageois qui
viennent en aide aux autres habitants nous disent : « Vous savez, nous vivons
des moments difficiles pour l’instant, mais nous faisons face. Dans l'autre
village, ils ont davantage besoin de vous ». Au sein du tissu social, il existe
un système de soutien très solide. Or, ce soutien social influence directement
les possibilités de guérison du traumatisme.