Le Dr Tang est
chinois. Il travaille dans le programme VIH/sida MSF de Nanning. "Mon
opinion, en ce qui concerne le sida et les malades, n'a pas changée. Je
travaillais auparavant sur les maladies sexuellement transmissibles. Il
y avait déjà une forte stigmatisation et des idées préconçues sur les
personnes malades. Petit à petit, les habitudes du personnel médical
ont changé, ils ont eu moins peur."
"J'ai beaucoup appris avec MSF sur les méthodes, les soins à apporter
aux malades du sida, sur la façon de mener une consultation, d'examiner
les patients, ajoute-t-il. J'ai découvert une autre façon de
diagnostiquer : les médecins chinois posent des questions et se
contentent des réponses obtenues. Seuls les patients sévèrement
atteints étaient dévêtus et examinés. Avec MSF, j'ai appris que tous
doivent être auscultés, examinés sous toutes leurs coutures, avec
précision et attention, qu'il faut collecter le plus d'informations
précises possibles."
Car
en Chine, la plupart des médecins refusent encore de toucher les
patients. La consultation se fait sans contact physique. L'intérieur de
la bouche est ausculté, mais pas le reste du corps. Examiner les
parties génitales est encore très tabou. Il peut aussi s'avérer très
difficile de faire pratiquer certains examens "invasifs" comme une
bronchoscopie, le personnel craignant que le matériel soit
définitivement contaminé.
Le refus, le déni de la réalité
Les conséquences de la stigmatisation sont réelles. Le sida peut
empêcher les malades de trouver ou de garder un emploi. "La première
réaction des patients, lorsqu'ils apprennent leur statut sérologique,
c'est le refus, le déni de la réalité, explique L., l'un des
conseillers de la clinique MSF. Avec le temps, ils réalisent et
prennent peur, pour eux, mais aussi pour leur entourage. Ils craignent
la réaction des autres, ils cachent leur statut, ils s'isolent... Ils
savent que leurs enfants peuvent rencontrer des problèmes à l'école,
que les amis proches vont prendre leurs distances...
La
connaissance du VIH est très limitée en Chine. Les gens n'ont aucune
idée de comment se transmet la maladie ! J'ai rencontré des patients
qui n'en avaient même jamais entendu parler. Le gouvernement doit
commencer à soigner vraiment, mais aussi mettre en place des lois
contre la discrimination à l'encontre des personnes malades !"
"Au début, témoigne un des patients soignés par MSF, un homme âgé de 38
ans, j'ai refusé d'y croire, puis j'ai fait le test de confirmation.
C'était vraiment une surprise. Je n'en avais déjà entendu parler, juste
le nom : "sida". Pour moi, c'était une maladie très rare en Chine, qui
ne touchait que certaines populations ! Mon entourage et mes enfants
l'ignorent. Seuls ma femme, ma soeur et mon frère le savent. Ma femme
me soutient. En revanche, mon frère et ma soeur ne viennent plus aussi
souvent nous voir..."
L.
a un rôle capital à jouer dans le programme MSF : "les patients me
posent beaucoup de questions. Ils ont des idées préconçues, notamment
sur la contamination. Certains se sont déjà renseignés, mais ils ont
besoin d'être rassurés. Je leur parle des modes de contamination, de ce
que le sida fait à leur organisme, de l'attitude à avoir par rapport à
la maladie. Je les aide aussi à exprimer leur souffrance psychologique
et morale. Je soulage la pression en quelque sorte !
Je vois
aussi tous les patients qui vont commencer les anti-rétroviraux (ARV).
La plupart d'entre eux ne connaissent pas les trit-hérapies. Certains
ont entendu parler de "cocktails" de médicaments, mais pas plus... Il
leur faut un suivi et des conseils appropriés." Et pourtant... Même les
proches de L. ne savent pas qu'il travaille au sein d'une clinique
spécialement dédiée au traitement du sida.
Encore beaucoup de peur et d'idées préconçues
A la différence des programmes MSF en Afrique où les gens très bien
informés sur le sida , les patients chinois qui se présentent à la
clinique MSF sont très effacés, ils ne parlent pas facilement d'eux, de
leur maladie, de leur quotidien. Ils rasent les murs. De même, il y a
très peu de groupes de malades. Ceux qui existent s'entraident, mais
restent groupés et ne vont pas à la rencontre des autres. On peut
imaginer que cela changera, probablement avec le temps, quand les gens
constateront que le traitement marche, que les malades vont mieux. Ils
auront alors moins peur et oseront peut être davantage en parler autour
d'eux.
Mais
lutter contre la stigmatisation et les idées reçues sera probablement
plus long. Ainsi, beaucoup pensent encore que seuls les toxicomanes
sont concernés. Une des conséquence est qu'il est très difficile
d'obtenir des anti-rétroviraux pour enfants. Les formulations
pédiatriques ne sont pas produites, ni importées, ni importables en
Chine : puisque les enfants ne peuvent pas être toxicomanes, ils ne
sont donc pas concernés par le sida...
MSF
a lancé son projet pilote de soins cliniques et de traitement du Sida
par antirétroviraux dans la ville de Nanning en décembre 2003, en
partenariat avec le centre provincial de la lutte contre les maladies
et le département de santé publique.
Si la prévalence
du VIH est faible en Chine (on compte, officiellement, 840.000
personnes infectées), les provinces du pays sont très inégalement
touchées. Ainsi, en 2005, les provinces et régions du Yunnan, du Henan,
du Guangxi (3ème province la plus touchée du pays, où MSF mène un
programme sida depuis 2 ans), du Xinjiang et du Guangdong ont rapporté
plus de 10.000 cas chacune, soit 77% du nombre de cas total au niveau
national. 10 millions de personnes risquent d'être infectées d'ici à
2010.