On entend souvent parler de co-infection sida-tuberculose, particulièrement dans le Sud de l'Afrique, ainsi que de tuberculose latente. Qu'est-ce que la tuberculose latente, est-ce la tuberculose ?
De manière générale, les patients co-infectés par le sida, présentent un état clinique très différent de celui de la tuberculose : symptômes légers, perte de poids progressive, et peu voire pas de réaction inflammatoire.
Il y a pire cependant, puisque le test classique de dépistage de la tuberculose -l'analyse d'expectoration- peut ne pas déceler la présence du bacille et ce, à de multiples reprises. Ceci est principalement dû à la faible concentration bactériologique dans les poumons.
Avec 70 % de co-infection à Khaleyitsha et 80 % au Lesotho, nous sommes régulièrement confrontés à des symptômes de tuberculose latente, qui nous ont poussé à développer et mettre au point un diagnostic en algorithme parfois difficile à suivre pour le personnel infirmier.
Dans un tel environnement nous rencontrons jusqu'à 30 % de cas de tuberculose extra-pulmonaire rendant le diagnostic encore plus difficile.
Comment diagnostiquez-vous la tuberculose ?
Le test le plus répandu, découvert il y a plus d'un siècle, basé sur l'analyse des expectorations n'est pas assez précis et ceci est d'autant plus vrai pour les patients co-infectés par la tuberculose et le sida. Encore trop de personnels infirmiers renvoient chez eux des patients dont le test est négatif, alors que les symptômes cliniques sont présents.
Une étude réalisée en 2003 à Khaleyitsha, a montré que parmi tous les cas de tuberculose dépistés au cours de l'année, seuls 18 % avaient révélé la présence du bacille suite à l'analyse des expectorations. L'un des progrès majeurs ces dernières années a été la mise au point d'un test de mise en culture rapide, et l'introduction de cette technique dans la première ligne du test en algorithme : ceci à permis de multiplier par deux la fiabilité de la détection.
La technique de la mise en culture est malheureusement loin d'être répandue dans la plupart des contextes d'intervention de MSF en Afrique, mais grâce aux efforts conjugués de deux organisations, Partners in Health et la Fondation pour de nouveaux diagnostiques innovants, ceci peut devenir une réalité, y compris au Lesotho.
Nous devons continuer à développer les possibilités de mise en culture rapide dans des laboratoires peu équipés, ce qui permettra de sauver de nombreux cas aux traces de bacille non présentes, qui auraient été diagnostiqués trop tard ou pas du tout. Malgré toutes ces avancées, la tuberculose reste la principale cause de mortalité à Khayetitsha, prouvant s'il le fallait que nous sommes encore loin de disposer d'une méthode de diagnostic fiable pour les patients co-infectés.
Ces 15 dernières années, le nombre de cas de tuberculose a triplé dans les pays à forte prévalence de sida, mais en 2006, moins de 1 % des personnes vivant avec le sida ont été dépistées pour la tuberculose?
J'attribuerais ces chiffres officiels aux difficultés liées au diagnostic comme je l'ai déjà évoqué. Nous formons notre personnel à peser les patients à chaque visite et à poser systématiquement des questions relatives aux symptômes classiques de la tuberculose. Encore une fois, il est très important de savoir si le patient est séropositif, puisque les symptômes peuvent être radicalement différents si tel était le cas.
Nous avons trop longtemps maintenu l'illusion, qu'en appliquant la méthode DOTS (Directly Observed Treatment Short Course) et en l'associant aux résultats de l'analyse d'expectoration, nous serions en mesure de contenir l'épidémie. Ceci peut sembler juste dans des pays dont la prévalence du sida est faible, mais les chiffres montrent que c'est tout le contraire dans les contextes à forte prévalence.
Pour les cas ne révélant pas la présence de bacilles, la difficulté est maintenant de pouvoir mettre au point des systèmes de test en algorithmes, faciles à utiliser pour les infirmiers. Les programmes de traitement de la tuberculose reposent en effet essentiellement sur les soins infirmiers et doivent le demeurer, au risque de perdre encore plus de patients dans les zones rurales où il y a peu de médecins.
Il y a deux ans, nous avons validé un tel algorithme à Khaleyitsha , cadre relativement privilégié, puisque nous disposions du test en culture, de protéine C réactive, de matériel de radiographie des poumons et potentiellement de l'avis d'un médecin. A présent, nous testons un nouvel algorithme au Lesotho,en zone rurale, dans un environnement aux ressources beaucoup plus limitées.
Que sont les soins combinés pour la co-infection sida-tuberculose?
La mortalité est largement supérieure pour les patients co-infectés par le sida et la tuberculose que pour les patients uniquement inféctés par la tuberculose. La tuberculose se développe en effet de façon beaucoup plus rapide, puisque leur système immunitaire est déjà affaibli et que la tuberculose augmente la charge virale. Il n'y a pas de temps à perdre, c'est une question de semaines avant que le patient ne décède.
MSF fait désormais la promotion d'un test avec option "Opt-Out" (basé sur une démarche volontaire) dans le service de traitement de la tuberculose, dont les résultats s'avèrent concluants puisque le taux de dépistage dépasse les 90 %. Il est vital pour les patients atteints de tuberculose, de savoir s'ils sont également infectés par le sida.
Si tel est le cas, ils doivent se voir proposer un traitement au Cotrimoxazole et l'on doit vérifier leur taux de CD4, pour voir s'ils peuvent être mis sous anti-rétroviraux. S'ils sont éligibles, ils intègreront le service des soins anti-rétroviraux, le pronostic étant radicalement différent. J'ai le sentiment que ceci est de plus en en plus répandu au sud de l'Afrique. Cela pourrait s'appeler le « minimal package ».
Qu'est-ce exactement que le « guichet unique » offert à Khaleyitsha ?
Dans plusieurs cliniques à Khayelitsha, en partenariat avec le service de la Santé de la ville du Cap, nous avons milité pour le regroupement. A présent les services de tuberculose et du sida sont regroupés. Cela a nécessité la décentralisation de la gestion des traitements anti-rétroviraux au niveau des cliniques périphériques, ainsi que la formation spécifique du personnel infirmier afin de pouvoir traiter les deux maladies.
Les avantages pour les patients sont évidents, puisqu'ils ne s'adressent désormais qu'à un seul service ce qui permet une meilleure synchronisation des traitements, une meilleure réactivité par rapport aux incompatibilités de médicaments et effets secondaires et de manière générale un meilleur suivi.
Nous gardons à l'esprit le risque d'infection nosocomiale, puisque des patients infectés par le VIH et d'autres par la tuberculose, sont amenés à se trouver ensemble dans la même salle d'attente. Un certain nombre d'éléments semblent cependant prouver que ce risque est relativement limité dans la mesure où beaucoup de ces patients se retrouvaient déjà dans ces salles d'attente pendant plusieurs semaines, et ce, sans le savoir cependant puisqu'ils n'avaient pas été diagnostiqués.
Cela a nécessité de grands efforts sur la diminution des risques d'infection par le biais de la ventilation naturelle, une meilleure gestion des flux de patients et l'utilisation de la lumière par UV.
La co-infection sida-tuberculose peut aboutir au syndrome de reconstitution du système immunitaire. Ceci semble a priori positif mais des inquiétudes demeurent. Pourquoi?
Le syndrome de reconstitution immunitaire, est une réaction paradoxale : elle se produit chez des patients initialement diagnostiqués en tant que porteurs du bacille de la tuberculose, habituellement lors des deux premiers mois de traitement anti-rétroviral, les symptômes de la tuberculose réaparaissent, parfois de manière plus aiguë, alors que l'état de santé du patient s'était amélioré avant la mise sous traitement anti-rétroviral.
Une forme alternative que l'on nomme le «démasquage de la tuberculose», correspond à l'apparition des symptômes de la tuberculose, quelques semaines après la mise sous anti-rétroviraux, alors que ceux-ci n'étaient pas présents avant le début du traitement. Dès que les anti-rétroviraux commencent à faire baisser la charge virale, des groupes de lymphocytes T, jusque là cachés pour se protéger des effets du VIH dans le sang, réapparaissent en masse.
Ils se mettent dès lors activement à la recherche d'antigènes étrangers, trouvent les antigènes de la tuberculose et provoquent une violente réaction inflammatoire comportant de nombreux symptômes florides, proches de ceux de la tuberculose. Ceci peut être mortel, principalement dans les cas de tuberculose associés à la méningite, d'où l'importance de pouvoir dépister la tuberculose avant de débuter un traitement anti-rétroviral.
Ceci démontre une nouvelle fois l'importance du guichet unique dans le traitement de la co-infection sida-tuberculose.