Démantèlement imminent de la Jungle de Calais : que vont devenir les mineurs isolés ?

Un mineur de 11 ans seul dans la Jungle de Calais. Jon Levy/MSF
Un mineur de 11 ans, seul dans la Jungle de Calais. © Jon Levy/MSF © Jon Levy/MSF

Le 1er septembre 2016, M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur français, a annoncé le démantèlement de la zone Nord de la « Jungle », le camp de migrants érigé à Calais, dans le nord de la France, depuis le printemps 2015. Parmi les mesures alternatives proposées aux réfugiés qui seront alors expulsés de leurs abris, rien n’a - encore - été spécifiquement prévu pour les 627 mineurs étrangers isolés vivant actuellement dans la Jungle, auprès desquels MSF travaille.

Quelques mois plus tôt, en mars 2016, la zone Sud de la Jungle avait déjà été évacuée de force puis détruite. Un premier démantèlement alors émaillé de violences perpétrées à l’encontre des réfugiés ayant opposé une résistance, refusant d’abandonner leurs abris, si précaires et insalubres soient-ils. 

La menace d’une nouvelle expulsion plane aujourd’hui sur les milliers de personnes (près de 7 000 selon la police, plus de 9 000 selon les associations*) désormais entassées depuis maintenant six mois sur ce qui reste de la Jungle.

Des réfugiés informés partiellement, dans une langue qui n'est pas la leur

L’alternative proposée ? Les préfets des régions françaises doivent créer entre 9 000 et 12 000 places d'hébergement en centre d'accueil et d'orientation (CAO) sur l'ensemble du territoire et ce d'ici la fin de l'année. « Nombre de réfugiés aujourd’hui présents à Calais n’ont pas confiance en ces dispositifs. Ils n'ont souvent reçu qu'une information partielle, pas toujours dans leur langue. Il leur faudrait changer de projet de vie et demander l'asile en France ; ce qui n’était pas leur intention de départ. Leur désir, à terme, reste de rejoindre la Grande-Bretagne pour laquelle Calais reste la principale voie d’accès. En fermant les frontières, en démantelant, en annonçant récemment la construction d’un mur, les autorités britanniques comme françaises ne prennent pas leurs responsabilités quant à l’accueil et la prise en charge de ces personnes qui ont fui leur pays où elles ne pouvaient tout simplement plus vivre », explique Franck Esnée, chef de mission France pour MSF.

Parmi les réfugiés vivant actuellement sur Calais, on compte 861 mineurs étrangers isolés dont 627 sur le site même de la Jungle**. Originaires du Soudan, d’Afghanistan, d’Érythrée ou encore d’Éthiopie pour la plupart ; le plus jeune n’a que 10 ans. « Nous avons constaté que, dans le cadre du futur démantèlement, rien n’avait encore été prévu pour cette population spécifique. Aucune mesure particulière, s’étonne Franck. Nous sommes en droit de nous demander comment ces mineurs vont être relogés ? Avec des personnes de leur âge ? A combien ? Ou au milieu d’adultes ? Quelle protection leur sera assurée ? Et quid de leur accès à des services fondamentaux comme la santé ou l’éducation ? »

Selon l’organisation « Citizens UK », 178 mineurs étrangers isolés de Calais seraient éligibles à une réunification avec des membres de leur famille résidant en Grande-Bretagne « pays qui, rappelons-le, s’est officiellement engagé à en accueillir 3 000. Une fois éparpillés en Bretagne, en Nouvelle-Aquitaine ou en PACA, comment peut-on être sûrs que le suivi de ces dossiers continuera d’être assuré ? Cela vaut pour les mineurs, mais aussi pour tous les candidats adultes aux réunifications familiales, comme pour les demandeurs d’asile dont les dossiers sont en cours d’instruction », interpelle Franck.

Assurer la continuité de la prise en charge malgré le démantèlement

En juillet dernier, MSF a ouvert, sur la Jungle, un centre d’accueil pour mineurs isolés étrangers (CAMIE). Chaque jour, entre 50 à 80 enfants viennent y chercher un soutien psychologique, une aide juridique et un accompagnement éducatif. Et aussi, en partenariat avec l’association Refugee youth services, un moment de détente auprès d’un éducateur spécialisé qui leur propose des activités ludiques et récréatives, le temps pour eux de retrouver une certaine forme d’insouciance, leur libre arbitre, leur capacité de choix : celui de ne plus être passifs, de ne plus subir. « Nous ne savons pas ce que deviendront ces enfants dont nous risquons de perdre la trace après le démantèlement de la zone Nord. Ni MSF ni les autres associations qui les suivent et les soutiennent dans leurs démarches ne seront en mesure de continuer à faire un travail de qualité ».

Nos équipes s’inquiètent également pour les patients suivis au sein du projet de santé mentale MSF. Cette activité a été mise en place pour prendre en charge la souffrance psychologique dont souffrent nombre de réfugiés éprouvés par ce qu’ils ont vécu dans leur pays d’origine, lors de leur parcours migratoire, puis dans la Jungle. « Parmi les 91 personnes que nous suivons en consultation, 18 sont sous traitement médicamenteux : comment assurer leur continuité de soins ? Quelles seront les conséquences de cette expulsion sur ceux qui souffrent déjà de dépression, d'anxiété ou encore de syndrome post traumatique ?, s’inquiète Franck. Les autorités concernées devraient bientôt présenter les étapes du démantèlement à venir. Espérons que nos interrogations et inquiétudes trouveront rapidement un écho et surtout des réponses à la hauteur. »
 

*9 106 personnes vivraient sur le site selon un comptage réalisé par l’Auberge des Migrants et Help Refugees du 6 au 9 août 2016.

Notes

    À lire aussi