Dr Akram Nafié - Médecin du programme de soins psychiques MSF à Gaza

Le 27 décembre 2008, l'opération militaire israélienne "Plomb durci" était lancée sur la bande de Gaza. Huit mois après, quelles conséquences pour la population civile? Rencontrés en juillet dernier, patients et personnels MSF - expatriés et palestiniens - témoignent.

Le 27 décembre 2008, l'opération militaire israélienne "Plomb durci" était lancée sur la bande de Gaza. Huit mois après, quelles conséquences pour la population civile? Rencontrés en juillet dernier, patients et personnels MSF - expatriés et palestiniens - témoignent.


«
Dans les premiers jours de la guerre, j'ai continué à travailler. Nous nous sommes rendus dans des écoles où les gens s'étaient regroupés. On a fait des donations, mené des actions médicales d'urgence.

MSF m'avait fourni un kit médical avec des antibiotiques, de quoi faire des pansements, soigner les brûlures et les blessures, des sels de réhydratation orale, des analgésiques, des tranquillisants...

J'ai pu ainsi soigner une soixantaine de personnes dans mon voisinage, ceux qui ne pouvaient plus rejoindre les structures de santé. De toutes façons les hôpitaux étaient débordés par l'afflux de blessés graves. Après le cessez le feu, tout n'était que désolation.

Les bombardements des F16 avaient creusé des cratères de plus de 20 mètres de profondeur dans les rues, tous les réservoirs d'eau sur les toits des maisons avaient été détruits...

On a collé des bâches plastiques aux fenêtres pour remplacer les vitres et commencer à nettoyer les maisons. Il y avait de la poussière partout.

« Beaucoup de gens sont très mal aujourd'hui »

Les conséquences de la guerre, ce sont aussi des syndromes post - traumatiques qui se déclarent en moyenne 3 à 6 mois après les événements qui les occasionnent, c'est-à-dire maintenant.

Beaucoup de gens qui semblaient aller bien juste après, sont très mal aujourd'hui. Ils souffrent d'hallucinations, sont très agressifs, très nerveux dans la rue comme chez eux. Je vois beaucoup de douleurs abdominales, des diarrhées...

Il y a beaucoup de cancers aussi (leucémies, prostate, sein), y compris chez les plus jeunes. Est-ce psychosomatique? La plupart des enfants souffrent d'énurésie. Mon fils se réveille toutes les nuits après une ou deux heures de sommeil, il est terrorisé mais ne nous entend pas, ne nous voit pas quand on essaye de le calmer. Ma femme fond en larmes à la moindre sirène. Quant à moi... Je sens que ça ne va pas toujours totalement bien, j'ai des problèmes de mémoire, de concentration, mais je parviens à gérer.

Avant la guerre je suivais en moyenne 13 patients du programme santé mentale ; aujourd'hui j'en suis une cinquantaine. Ils vont très mal, ne mangent pas, ne dorment pas. L'un d'entre eux, un jeune, a perdu une jambe et ses deux yeux. Avec ses amis, il avait voulu aider d'autres personnes sous un bombardement. Ils ont tous été tués, il est resté trois heures sous leurs cadavres. A l'hôpital ils ont cru qu'il était mort lui aussi, ils l'ont mis à la morgue. Sa famille a porté son deuil pendant deux jours avant d'apprendre qu'il avait en fait survécu.

Une autre patiente a perdu ses trois fils, son mari et sa belle fille pendant la guerre. Elle a ramassé leurs morceaux et est restée trois jours enfermée dans une étable avec. Les soldats israéliens l'ont évacuée, mais ont refusé d'enterrer les corps et ont roulé dessus...

Comment ne pas être totalement dépressif après avoir vécu de telles choses ? MSF l'a suivie et mise sous traitement, on lui a trouvé un appartement. Elle était totalement apathique, elle recommence doucement à vivre, à dormir, à ressentir le chaud ou le froid, à refaire la cuisine. Il faudra encore l'accompagner pendant des mois, mais quand je vois l'état d'un patient s'améliorer ainsi, je me sens utile.

« On a tellement de problèmes à Gaza »

Les gens amputés sont heureux d'être en vie, mais voudraient redevenir autonomes, être équipés de prothèses et ils n'en ont pas... Comment se reconstruire ? On a tellement de problèmes à Gaza. Les matériaux de construction, les médicaments, le matériel médical, les vêtements, les chaussures, le café, les piles de montres... Autant de biens qui ne sont pas autorisés à entrer du fait de l'embargo.

Certains laits infantiles sont autorisés, d'autres non et de toutes façons il est très difficile de trouver des biberons. Les prix flambent, les produits laitiers mettent deux jours à renter et sont bons à jeter à l'arrivée. Les frontières sont fermées et les cas médicaux urgents ne peuvent pas sortir... Avant, des camions passaient quand même, aujourd'hui la situation se complique vraiment. Et puis il y a le chômage, ça aussi c'est une conséquence de la guerre...

Moi ce que j'aimerais, c'est pouvoir parfois sortir, prendre l'air, regarder le ciel et revenir... »

Notes

    À lire aussi