En quoi consistait notre programme ?
Depuis 2001, nous avons mis en place des activités médicales dans les Etats Mon et Karen, avec une attention particulière pour la prise en charge du paludisme. Nous voulions travailler dans ces régions en proie à un conflit entre l'armée birmane et les groupes rebelles, parce que, de notre point de vue d'organisation humanitaire, c'est là que vivent des populations particulièrement exposées à des violences et privées d'accès aux soins. Dans ces régions, le paludisme est l'une des principales causes de mortalité.
Pourquoi avons-nous décidé de mettre un terme à nos activités en Birmanie ?
Parce que nous nous sommes rendus à l'évidence : les autorités birmanes ne veulent pas d'organisations étrangères et indépendantes auprès de populations qu'elles veulent contrôler. Elles ne veulent pas de témoins gênants, notamment lorsqu'elles organisent des déplacements forcés de populations, des incendies de villages, des opérations de recrutement forcé, etc. En 2001, nous avons cru qu'il y avait une forme d'assouplissement du régime. De fait, jusqu'en 2004, nous avons eu accès à ces régions et pu travailler dans des conditions acceptables. Mais, dès 2004, la reprise en main du gouvernement par la tendance dure du régime s'est traduite par une radicalisation vis-à-vis des rébellions et, par voie de conséquence, vis-à-vis des humanitaires travaillant dans des régions où elles sont actives.
Force est aujourd'hui de reconnaître que nous avons été crédules en pensant qu'il existait là un espace de travail pour une organisation humanitaire. Le constat que nous faisons est que l'aide en faveur des populations vivant dans ces zones de conflit n'est pas possible aux conditions qu'exige une action humanitaire indépendante : nos équipes n'étaient pas libres de leurs mouvements, les contacts avec les personnes qu'elles voulaient secourir étaient de plus en plus rares, les activités de terrain ne pouvaient plus être suivies correctement, etc.
Comment cela s'est-il traduit concrètement ?
Par une réduction progressive des possibilités de travailler et de nous rendre sur le terrain. Les autorités locales nous ont d'abord interdit de nous déplacer à l'intérieur même de ces zones. En octobre 2004, l'autorisation que l'on venait d'obtenir pour travailler dans le district de Ye, l'un les plus touchés par le paludisme dans l'Etat Mon, a été brusquement invalidée. Entre novembre 2004 et février 2005, pratiquement toutes nos activités dans l'Etat Karen ont été empêchées. A la fin, il devenait même impossible d'échanger des données médicales sur certaines situations épidémiques avec les autorités sanitaires locales tant celles-ci subissent la pression des militaires qui interdisent la diffusion de toute information. Les mesures se sont encore durcies par la suite, au milieu de l'année 2005, lorsque le ministère a imposé des procédures plus lourdes, tant pour la délivrance des visas - dont les délais étaient de plus en plus longs - que pour les autorisations de déplacements des expatriés entre la capitale et ces états frontaliers. L'espace s'est peu à peu réduit jusqu'à disparaître complètement. Il va sans dire que ce sont les populations qui paient les conséquences du durcissement du régime.
Qu'en est-il des autres sections (suisse et hollandaise) de MSF et des autres organisations d'aide ?
Les autres sections de Médecins Sans Frontières aussi font face à de grandes difficultés d'accès dans tous les Etats où elles travaillent et se posent elles aussi la question de l'avenir de leurs projets. Pour ce qui est de Rangoon, les médecins birmans qui travaillent dans les programmes MSF de prise en charge du sida vivent une forme de harcèlement administratif. Malgré tout, nos collègues estiment qu'il est encore possible d'apporter des soins de qualité à leurs patients sans se compromettre avec la junte.
Le CICR, pour sa part, a cessé en décembre ses activités en faveur des prisonniers parce que les conditions posées (que ses équipes soient accompagnées d'un représentant d'une organisation birmane para-gouvernementale) était devenues inacceptables... Nous ne sommes donc pas les premiers à faire ce constat.
Pour les organisations humanitaires, toute la question est de savoir à quel moment leur rôle se réduit à celui de sous-traitants techniques des autorités birmanes, soumises à leur agenda politique et non plus guidées par les objectifs qu'elles se sont elles-mêmes fixés. En ce qui concerne la section française de MSF, nous estimons que cette limite a été franchie. C'est avec une grande amertume que nous avons dû nous résoudre à quitter le pays.