Alors que l'OMS recommande depuis quatre ans aux pays africains
concernés par la pandémie de paludisme de passer aux combinaisons
thérapeutiques à base d'artémisinine (ACT) et que le Fonds Mondial de
lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme finance ces
médicaments depuis deux ans, les équipes de Médecins Sans Frontières
constatent sur leurs terrains d'interventions que la plupart des
patients soignés dans les centres de santé gérés par les ministères
continuent de recevoir des traitements obsolètes et inefficaces.
"Ici
à Dabola, nous parvenons à offrir des ACT et à guérir nos patients en
trois jours. Mais à seulement 40 km d'ici, la situation est
complètement différente : la population ne reçoit pas ces meilleurs
traitements. Le gouvernement a pourtant officiellement changé de
protocole il y a un an déjà", explique Barbara, coordinatrice médicale en Guinée Conakry.
"Le paludisme est la première cause de mortalité ici, avec plus de 15%
de tous les décès recensés dans les structures de soins."
La
Guinée est loin d'être un cas isolé. Les équipes de MSF dans plusieurs
pays d'Afrique rapportent des expériences similaires. Au Soudan, au
Kenya, en Côte-d'Ivoire, en Sierra Leone, par exemple, les ministères
de la Santé continuent d'utiliser soit la chloroquine qui est largement
reconnue comme inefficace, soit la sulfadoxine-pyrimethamine ou
l'amodiaquine en monothérapie. "Utiliser une seule de ces molécules favorise à court terme l'émergence de résistances", explique le Dr Suna Balkan, médecin spécialiste du paludisme à MSF. "C'est
un véritable gâchis car en associant l'un de ces médicaments à
l'artésunate - dérivé de l'artémisinine -, non seulement le traitement
est très efficace mais aussi l'apparition des résistances est retardée.
Or ces combinaisons thérapeutiques sont possibles depuis longtemps et
disponibles depuis 2003 sous forme de plaquettes contenant les deux
médicaments*".
Près de 40 pays africains ont adopté les ACT
comme protocole national de traitement contre le paludisme, les
traitements sont disponibles et les financements peuvent être
obtenus... Alors pourquoi plus des deux tiers de ces pays ne mettent
pas du tout en oeuvre cette nouvelle politique de soins ou ne le font
que très lentement ? Par manque de volonté politique certainement, mais
également par manque de moyens : absence d'expertise sur le terrain
pour améliorer le diagnostic du paludisme et son traitement, aide
insuffisante pour la diffusion des connaissances sur ces produits et
manque de soutien technique à la mise en place de ces traitements dans
les structures de santé. "L'une des difficultés des ministères de
la Santé est de monter seuls et sans soutien des propositions de prise
en charge du paludisme qui tiennent la route et qui vont leur permettre
d'obtenir des financements de la part du Fonds Mondial", ajoute Suna Balkan.
"Or, c'est le rôle de partenaires comme l'Organisation mondiale de la
santé ou Roll Back Malaria** d'apporter ce soutien technique". De toute évidence, il existe un manque de coordination entre ces acteurs et les différents bailleurs de fond.
"Sans
des mesures rapides pour assurer que des médicaments efficaces
atteignent les gens qui en ont besoin, les décisions des gouvernements
demeureront virtuelles et insignifiantes pour ceux qui sont censés en
bénéficier", soutient le Dr Karim Laouabdia, directeur de la Campagne d'Accès aux Médicaments Essentiels de MSF.
* La présentation des deux médicaments à prendre en même temps sur une seule plaquette est aussi appelée blister.
L'arrivée des ACT sous forme de co-formulation (deux molécules réunies
en un seul comprimé) -disponibles théoriquement dès la fin 2006-
devrait favoriser leur mise en place dans les pays concernés. La
co-formulation présente l'avantage de limiter la prise de médicaments
pour les patients et réduit les risques d'apparition des résistances.
**
Roll Back Malaria : partenariat de différents acteurs (pays touchés par
de paludisme, laboratoires, organismes de recherche, fondations,
bailleurs de fonds, etc ) oeuvrant pour la lutte contre le paludisme.