Tu travailles pour MSF en Haïti depuis 5 mois. Quelle a été l’évolution de la maladie au cours de ces derniers mois ?
Lorsque je suis arrivé en Haïti en février, le pays avait déjà connu trois pics épidémiques. Le premier entre octobre et décembre 2010, le deuxième entre mars et mai 2011 et le troisième entre septembre et novembre 2011. Plus de 500 000 personnes, soit 5% de la population, avaient déjà été affectées par la maladie et environ 7 000 personnes étaient décédées. Cette épidémie est récente en Haïti et il est encore difficile d’appréhender la manière dont les pics vont se succéder. Néanmoins, dès qu’il pleut, les égouts débordent et favorisent l’exposition à la maladie tandis qu’une grande partie de la population n’a pas les moyens d’appliquer les mesures d’hygiène permettant de s’en prémunir. Dans les camps où vivent toujours près d’un demi-million de rescapés du tremblement de terre, moins du tiers étaient encore approvisionnés en eau potable et seulement 1% avaient reçu du savon au mois d’avril.
A mon arrivée, nous nous attendions donc à une recrudescence des cas avec l’arrivée de la saison des pluies. Dès le mois d’avril, le nombre de patients au sein de nos centres de traitement du choléra (CTC) a commencé à augmenter pour atteindre un pic à la fin du mois de mai. Depuis le début de l’année, nous avons pris en charge plus de 10 000 patients dont plus de 70% des cas ayant été recensés à Port-au-Prince lors du pic épidémique. Aujourd’hui, nos équipes observent une diminution du nombre de cas à Port-au-Prince et Léogâne mais la situation sanitaire demeure critique. Près de deux ans après le début de l’épidémie, MSF prend encore en charge une grande partie des patients dans la capitale. Ceci révèle un certain nombre de problèmes dans la gestion de l’épidémie au niveau national.
Tu évoques des problèmes de gestion de l’épidémie au niveau national lors du dernier pic épidémique. Peux-tu nous en dire davantage ?
Dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince qui regroupe presque un tiers de la population du pays, les structures de santé publiques n’ont pas intégré la prise en charge du choléra dans leur offre de soins. Ce qui veut dire que si vous vous présentez dans un hôpital public avec les symptômes du choléra, vous serez référé vers le CTC d’une ONG. Dans le département de l’Artibonite, où environ 20% des cas de choléra ont été recensés depuis le début de l’épidémie, certains CTC font face à des difficultés d’approvisionnement médical et une partie du personnel n’a pas reçu de salaires depuis janvier. Ceci a des conséquences directes sur la prise en charge des patients.
Ces situations contrastent avec l’expérience réussie du département du Nord où les autorités sanitaires locales ont su répondre de manière efficace au dernier pic épidémique. Elles questionnent aussi la volonté politique des autorités à vouloir mettre en place un système national efficace de lutte contre le choléra.
Ceci est d’autant plus problématique que les ONG qui travaillent sur le choléra – tant au niveau de la prise en charge médicale que de la prévention à travers des activités liées à l’eau, l’hygiène et l’assainissement – sont de moins en moins nombreuses en raison de la diminution des financements internationaux. Il y a de moins en moins d’acteurs mobilisés dans la lutte contre le choléra alors que la population est toujours aussi exposée à la maladie.
Par ailleurs, on constate une défaillance de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dans son soutien au gouvernement haïtien pour mettre en place un système de surveillance épidémiologique efficace et réactif. Or la qualité et la fiabilité des données épidémiologiques est essentielle pour optimiser la coordination des acteurs de secours et l’adaptation de la réponse aux endroits les plus stratégiques.
Comment envisages-tu la situation dans les mois à venir ?
MSF n’a pas vocation à se substituer aux responsabilités du ministère de la Santé et de ses partenaires internationaux dans la gestion de l’épidémie au niveau national. En revanche, nous pouvons apporter un soutien aux autorités sanitaires haïtiennes en période de pic épidémique, ainsi qu’un appui technique et logistique aux structures de santé haïtiennes, dans le but d’y intégrer la prise en charge du choléra. Cette intégration au sein de structures nationales de santé déjà existantes permettrait de démultiplier la capacité de prise en charge et d’améliorer les délais permettant au patient d’obtenir un traitement. Le choléra peut tuer en quelques heures. Il est donc impératif que des centres de traitement spécialisés soient rapidement accessibles aux patients présentant les premiers symptômes.
Près de deux ans après le début de l’épidémie, nous attendons maintenant des signes concrets d’implications de la part des autorités sanitaires haïtiennes et de la communauté internationale dans la lutte contre l’épidémie. La création d’un plan de contingence national, l’intégration de la prise en charge du choléra au sein des structures de santé publiques, la mise en place d’un système de surveillance épidémiologique efficace et l’augmentation des activités liées à l’eau, l’hygiène et l’assainissement, sont des actions impératives permettant de lutter efficacement contre le choléra en Haïti.
Depuis le début de l’épidémie en octobre 2010, le choléra a tué plus de 7300 personnes tandis qu’environ 575 000 cas ont été recensés (sources MSPP). Dès la confirmation des premiers cas, MSF a mis en place, une opération sans précédents dans tout le pays en soignant à elle seule plus de 30% du nombre total des patients.
Aujourd’hui, MSF continue de prendre en charge les personnes atteintes par la maladie au travers de 5 CTC répartis à Port-au-Prince et Léogâne, et plaide pour une plus grande implication des autorités sanitaires nationales et de leurs partenaires internationaux dans la lutte contre le choléra.