Ils sont sans doute plus d’un millier aujourd’hui à attendre devant le centre ambulatoire de MSF à Tunto. Une pluie battante s’abat sur la foule. Les enfants, pieds nus pour la plupart, grelottent dans le froid.
Parmi la nuée de parapluies qui recouvrent plusieurs dizaines de mètres, David, médecin brésilien, et Martha, infirmière danoise, identifient à la hâte les enfants qui répondent aux critères du programme.
"Nous faisons ce qu’on appelle un screening rapide, explique David. Nous identifions les personnes sévèrement et modérément malnutries en mesurant la taille de l’enfant et leur périmètre brachial à l’aide du bracelet.
"Nous avons déjà admis plus de 100 patients ce matin. Mais beaucoup ne rentrent pas dans les critères d’admission et ne comprennent pas pourquoi ils ne reçoivent rien alors qu’ils n’ont rien."
"Nous identifions les personnes sévèrement et modérément malnutries en mesurant la taille de l'enfant et leur périmètre brachial à l'aide du bracelet. Nous avons déjà admis plus de 100 patients ce matin."
Le centre ambulatoire de Tunto, construit dans un sous-bois reculé de la région SNNP, accueille depuis plusieurs semaines les patients souffrant de malnutrition aiguë sévère. Le programme MSF commence également à s’occuper des enfants atteints de malnutrition modérée, en distribuant des rations de CSB (un mélange de maïs et de soja), du sucre et de l’huile.
Le lancement de ce "programme nutritionnel supplémentaire" – qui étend l’assistance MSF aux malnutris modérés – suscite l’espoir de nombreux habitants de Tunto.
C’est le cas de Zamane, une jeune femme qui a perdu son fils il y a deux jours, des suites de la malnutrition. Elle arrive aujourd’hui avec son autre enfant âgé de deux ans et demi, dans le but d’obtenir quelques sacs de nourriture. “Nous avons faim", lance-t-elle. "Mon mari est agriculteur, il cultive du maïs et du gingembre. Le maïs est destiné à notre propre consommation, et nous vendons le gingembre sur le marché pour acheter davantage de maïs. Cette année, le prix du gingembre est très bas tandis que le maïs est hors de prix. Nous subissons également les effets de la sécheresse. Il n’a pas plu pendant plusieurs mois et notre récolte a été mauvaise.”
Les premières pluies de l’année, cruciales pour les petits agriculteurs du sud de l’Ethiopie, ont en effet été tardives et trop faibles.
11% des enfants en bas âge
Un peu plus loin, dans la section réservée aux malnutris sévères, Elfnesh, 4 ans, attend patiemment dans les bras de sa mère sa ration hebdomadaire de pâte thérapeutique. " Mon mari est parti avec une autre femme et m’a laissée seule avec nos sept enfants, confie Tagesech, la maman. Nous n’avons pas de nourriture à la maison et je n’ai reçu aucune aide alimentaire. Parfois, des membres de la famille nous aident avec un peu de nourriture. Nous cultivons aussi du « ensete » [une plante nutritive africaine] et du café sur un petit lopin de terre. Mais cela ne suffit pas."
Dans les régions Oromo et SNNP où travaille MSF, Tunto et le district d’Hadero semblent figurer parmi les endroits les plus touchés par la crise nutritionnelle. En moins de deux mois, le programme MSF aurait pris en charge 11 % des enfants de moins de cinq ans résidant dans le district, un taux de malnutrition sévère très inquiétant.
La malnutrition frappe aussi les adultes
Autre signe alarmant : le nombre croissant d’adultes admis dans le programme. Tadwos est âgé de quarante ans mais en paraît davantage. Atteint de malnutrition sévère, il reçoit ici de la nourriture thérapeutique en sachets et une ration de maïs, de soja et d’huile.
"Sans cela je n’aurais rien à manger pour moi. Auparavant, vous pouviez acheter de la nourriture au marché mais les prix ont trop augmenté. J’ai reçu deux fois 50 kg d’aide alimentaire du gouvernement, mais ce n’est pas suffisant pour une famille nombreuse comme la mienne. J’espère qu’avec l’aide de Dieu, les prochaines récoltes seront meilleures et que ma vie s’améliorera."
Pour Tadwos, Tagesech, Zamane, leurs enfants et tous les autres, les pluies quotidiennes qui irriguent aujourd’hui les champs n’y feront rien. Pas plus que la végétation luxuriante qui recouvre désormais Tunto et tant de villages du sud de l’Ethiopie. La prochaine récolte de maïs n’est pas attendue avant plusieurs semaines. D’ici là, les habitants continueront de dépendre de l’aide extérieure.