Éthiopie : des traitements antivenimeux indisponibles ou trop coûteux

Les Dr. Nshimiyimana et Wossenu, accompagnés d'une travailleuse de santé lors de leur visite quotidienne des patients de la clinique d'Abdurafi. 2018. Éthiopie. 
Les Dr. Nshimiyimana et Wossenu, accompagnés d'une travailleuse de santé lors de leur visite quotidienne des patients de la clinique d'Abdurafi. 2018. Éthiopie.    © Susanne Doettling/MSF

Chaque année, des centaines de milliers de travailleurs saisonniers se rendent dans les régions agricoles du nord-ouest de l’Éthiopie. Ils sont confrontés au problème récurrent des morsures de serpents, inscrit depuis 2017 sur la liste des maladies tropicales négligées de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Malheureusement, les anti-venins efficaces et abordables sont rarement disponibles.

Workey Mekonen attend les résultats de ses tests sanguins dans la salle de surveillance de la clinique MSF d’Abdurafi, une ville du nord-ouest de l’Éthiopie. Elle a été mordue par un petit serpent. Depuis 4 ans, pour subvenir aux besoins de sa famille, elle travaille comme cuisinière auprès des travailleurs agricoles de la région Amhara.

Maladie tropicale négligée

L’envenimation par morsure de serpent fait partie de la liste des maladies tropicales négligées de l’OMS. Près de 2,7 millions de personnes sont mordues par des serpents venimeux chaque année. 100 000 en décèdent et 400 000 en gardent des séquelles.

La veille, alors qu’elle dormait dans une grange à même le sol, elle a ressenti une très forte douleur puis la plaie s’est mise à gonfler. Ses collègues l’ont alors rapidement conduite à la clinique MSF qui prend en charge les victimes de morsures de serpents.

La région Amhara est connue pour ses terres fertiles et ses cultures de sorgho, de sésame ou de coton. Près de 500 000 travailleurs saisonniers viennent travailler chaque année dans les fermes qui s’étendent autour de la ville d’Abdurafi. Ils arrivent en août pour le début des récoltes et repartent généralement en octobre. Pendant cette période, les travailleurs agricoles croisent pratiquement tous les jours une des vingt espèces de serpents venimeux qui peuplent l’Amhara.

Workey est allongée sur un lit de la clinique MSF d'Abdurafi. Elle reçoit un traitement contre l'envenimation dont elle est victime. 2018. Éthiopie.
 © Susanne Doettling/MSF
Workey est allongée sur un lit de la clinique MSF d'Abdurafi. Elle reçoit un traitement contre l'envenimation dont elle est victime. 2018. Éthiopie. © Susanne Doettling/MSF

Dix minutes après son arrivée, les résultats des tests sanguins de Workey sont formels, elle est victime d’une envenimation. Un travailleur de santé MSF prépare alors une perfusion : « Les premières minutes sont essentielles. Le patient nécessite une surveillance particulière pour s’assurer qu’il n'y ait pas d’effets indésirables suite à l’administration de l’anti-venin, indique-t-il. Pendant les prochaines heures nous allons également surveiller son état de santé régulièrement. »

« Workey s’est rapidement sentie mieux et après 5 jours dans notre clinique, elle s’est complètement remise, indique le Dr. Nshimiyimana, qui travaille dans la clinique MSF d’Adburafi. Elle a eu de la chance d’être amenée ici à temps et d’être traitée à l’aide d’un anti-venin. »

Malheureusement, toutes les victimes de morsures de serpents n’ont pas cette chance en Éthiopie. « Dans la plupart des régions du pays, les anti-venins sont indisponibles ou trop coûteux pour les communautés affectées par les morsures de serpents », poursuit le Dr. Nshimiyimana.

Un travailleur agricole dans un champ de sorgho à une demi-heure de voiture de la ville d'Abdurafi. 2018. Éthiopie.
 © Susanne Doettling/MSF
Un travailleur agricole dans un champ de sorgho à une demi-heure de voiture de la ville d'Abdurafi. 2018. Éthiopie. © Susanne Doettling/MSF

Les travailleurs saisonniers sont particulièrement vulnérables. Ils marchent souvent pieds nus dans les champs et la récolte se fait en pleine nuit. Les champs de sésame sont parmi les plus dangereux car ils sont très hauts et très serrés, ce qui en fait une cache idéale pour les serpents.

« Nous avons régulièrement une vingtaine de patients dans notre salle de surveillance, indique le Dr. Nshimiyimana. Ils ont été mordus et ont parfois dû voyager des heures pour se rendre dans notre clinique. » Pour beaucoup, c’est le seul endroit où ils peuvent espérer se faire soigner. En dehors des structures MSF, dans lesquelles la prise en charge est gratuite et adaptée, un traitement peut coûter plus de 100 dollars, une somme considérable dans certaines régions d’Éthiopie.

Des cas fréquents

En 2017, MSF a pris en charge plus de 600 patients dans ses différents projets en Éthiopie et plus de 300 pour la seule ville d’Abdurafi. En 2018, plus de 647 patients ont été traités dans cette ville.

D’autre part, les anti-venins ne sont pas toujours disponibles ou de médiocre qualité dans les centres de santé et le personnel n’est pas toujours formé à la prise en charge des victimes de morsures.

En 2018, l’OMS a établi une feuille de route pour lutter contre les effets des morsures de serpents et a commencé à soutenir des pays pour sélectionner des anti-venins sûrs, efficaces et adaptés à leur contexte. L’adoption de cette feuille de route pourrait être un tournant dans la lutte contre cette maladie tropicale négligée et Médecins Sans Frontières espère que les bailleurs de fonds et les gouvernements soutiendront sa mise en œuvre.

MSF travaillera dans les mois à venir avec les gouvernements, les fournisseurs de traitement - dont certains ont arrêté leur production -, les bailleurs de fonds et les communautés affectées par les morsures de serpents pour s’assurer que l’application de cette feuille de route se traduise sur le terrain par de réels changements.

De nombreuses vies pourraient être sauvées en Éthiopie et dans le monde si les victimes de morsures de serpents avaient accès rapidement à des soins efficaces.

Notes

    À lire aussi