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Éthiopie : risque de crise nutritionnelle à Shire dans le Tigré

Des centaines de personnes déplacées par les combats ont trouvé refuge dans l'université de Shire, dans la région du Tigré.
Des centaines de personnes déplacées par les combats ont trouvé refuge dans l'université de Shire, dans la région du Tigré. © Claudia Blume/MSF

Plus de trois mois après le début des combats dans la région éthiopienne du Tigré, des centaines de milliers de personnes ont été déplacées dans la zone, tandis que plus de 60 000 autres ont fui vers le Soudan. À Shire, l’une des grandes villes du nord-ouest du Tigré, environ 20 000 personnes vivent dans des conditions précaires, réparties dans plusieurs écoles et sur le campus de l'université.

Bien que la situation revienne peu à peu à la normale dans la ville, avec des services d'électricité et de téléphone partiellement fonctionnels et l'arrivée d'organisations humanitaires internationales, les besoins des personnes déplacées restent immenses.

Sur place, MSF a mené une enquête nutritionnelle auprès des enfants de moins de cinq ans dans les sites de personnes déplacées et a constaté que si la situation est préoccupante, elle n'est pas encore au niveau de l'urgence. « Le taux global de malnutrition dans ces sites était d'environ 11%, avec 9% de malnutrition modérée et 2% de malnutrition sévère, ce qui reste en dessous du seuil d'urgence. Il y a une insécurité alimentaire et un risque qu'elle se transforme en crise nutritionnelle que nous devons suivre avec attention », explique Juniper Gordon, chef de l'équipe médicale MSF.

Plusieurs distributions de nourriture - principalement du blé et de l’huile - ont eu lieu, sans pour autant satisfaire les besoins. Demsas* est atteint d’un diabète de type 2 pour lequel il a récemment reçu des médicaments à l'hôpital de Shire. « Le médecin m'a conseillé de manger des aliments variés mais je ne peux pas me le permettre. Avant, j'étais agriculteur et boucher et je mangeais bien, mais depuis que je suis ici, il n’y a que du blé », raconte l’homme de 60 ans.

Le personnel de santé de l'hôpital de Shire est approvisionné en nourriture. Les employés n'ont reçu qu'un seul mois de salaire depuis novembre. Shire, février 2021.
 © Claudia  Blume/MSF
Le personnel de santé de l'hôpital de Shire est approvisionné en nourriture. Les employés n'ont reçu qu'un seul mois de salaire depuis novembre. Shire, février 2021. © Claudia Blume/MSF

Certaines personnes vendent les vivres qu’elles reçoivent pour acheter des couvertures ou d'autres biens dont elles ont besoin. Beaucoup de magasins sont désormais ouverts à Shire et la nourriture est disponible sur le marché, mais la plupart des gens n'ont pas d'argent pour l'acheter, d’autant plus que les prix ont augmenté. Les fonctionnaires de la ville n’ont reçu que très récemment leur premier salaire depuis le début des combats, et ceux qui ont de l’argent de côté ne peuvent pas y accéder car les banques sont en grande partie fermées.

Conditions précaires dans les sites pour déplacés

Les conditions de vie dans les sites pour les personnes déplacées sont rudes. Des dizaines d’entre elles dorment dans des salles de classe désaffectées, entre les bureaux et les chaises. Certaines ont reçu des matelas et des couvertures tandis que d'autres dorment à même le sol ou sur des bâches en plastique.

Beaucoup de nouveaux arrivants n'ont d'autres choix que de dormir dehors ou dans des abris de fortune. La plupart ont fui dans la précipitation, sans rien emporter, et portent toujours les mêmes vêtements qu’ils avaient lorsqu’ils ont quitté leur maison il y a trois mois.

Vue générale du site pour personnes déplacées de l'université de Shire, dans la région du Tigré, février 2021.
 © Claudia  Blume/MSF
Vue générale du site pour personnes déplacées de l'université de Shire, dans la région du Tigré, février 2021. © Claudia Blume/MSF

Depuis janvier, MSF gère des cliniques dans ces sites : les infections des voies respiratoires et les diarrhées sont les principales pathologies constatées par les équipes. Sans tests PCR disponibles, il est impossible de savoir s’il s’agit de la Covid-19.

MSF a également construit des latrines dans une école primaire et assure régulièrement l’approvisionnement en eau par camion. Les équipes ont aussi réhabilité un grand bâtiment sur le campus universitaire, qui sert pour les douches et les toilettes. L'approvisionnement en eau n'est pas seulement un problème dans les sites de déplacés internes, mais dans toute la ville de Shire.

Difficultés d’accès aux soins pendant le couvre-feu

Le manque d’eau potable et d’accès à l’assainissement, ainsi que les conditions de vie précaires, ont des conséquences sur la santé des déplacés et notamment des femmes enceintes. Adiam*, 26 ans, a fui son village situé près d'Humera et vit maintenant sur le site de l'université. Elle est enceinte de huit mois et c’est son premier enfant. « Accoucher d'un bébé dans ces circonstances sera difficile, mais je suis heureuse d'être ici avec ma famille, raconte la future mère. Je voudrais accoucher à l'hôpital mais je m'inquiète de ce qui se passera si le bébé naît la nuit, après le couvre-feu. Je ne sais pas comment me rendre à l’hôpital à ce moment-là. »

Des personnes déplacées à cause des violences dans la région du Tigré vivent dans une école désaffectée, février 2021.
 © Claudia  Blume/MSF
Des personnes déplacées à cause des violences dans la région du Tigré vivent dans une école désaffectée, février 2021. © Claudia Blume/MSF

Un couvre-feu a été mis en place par les autorités après 18h30 et si les ambulances sont en théorie autorisées à fonctionner, aucune n'est disponible. Jusqu'à récemment, il n'y avait pas non plus de personnel à l'hôpital après la tombée de la nuit, laissant les patients seuls. MSF distribue des kits d'accouchement aux femmes enceintes déplacées, dans l’éventualité d’un accouchement nocturne.

Adonay*, un professionnel de santé du Tigré qui vit sur le site de l’université, a aidé à mettre au monde trois bébés. « J’ai réalisé les accouchements à l’intérieur des dortoirs, il y avait beaucoup de monde autour de nous et aucune intimité. Heureusement, tout s'est bien passé », se souvient le jeune homme.

Interruption de traitements

Les patients atteints de maladies chroniques telles que le diabète ou l'hypertension n'ont reçu aucun médicament depuis des mois. « La pharmacie centrale de Shire est désormais opérationnelle et tente d’acheminer les médicaments dans les établissements de santé, continue Juniper Gordon. Pour certains médicaments comme l'insuline qui nécessite de respecter la chaîne du froid, c'est un défi ; avant février, il n'y avait pas d'électricité à Shire et ce n'est toujours pas fiable. Dans la majorité des régions en dehors de Shire, il n'y en a toujours pas. »

Dehab, 35 ans, attend pour une consultation à la clinique MSF installée dans une école primaire de la ville de Shire, dans la région du Tigré, février 2021.
 © Claudia  Blume/MSF
Dehab, 35 ans, attend pour une consultation à la clinique MSF installée dans une école primaire de la ville de Shire, dans la région du Tigré, février 2021. © Claudia Blume/MSF

L'hôpital de Shire dessert une population de plus d'un million de personnes et est à nouveau fonctionnel. Après le début des combats, le personnel de santé n’était pas retourné travailler, certains par crainte pour leur sécurité, d'autres parce qu’ils ne percevaient plus aucun salaire.

Aujourd’hui, la plupart des employés sont revenus et MSF soutient le service pédiatrique, le centre d'alimentation thérapeutique et gère l'eau ainsi que les déchets de l'hôpital. Les pénuries de fournitures médicales persistent et l’électricité est aléatoire. Peu de patients viennent des zones rurales autour de Shire - où la situation sécuritaire reste instable - faute d’ambulances et d’un système de références fonctionnel.

Zone d'attente de la clinique MSF installée dans une école primaire de la ville de Shire, dans le Tigré, février 2021.
 © Claudia  Blume/MSF
Zone d'attente de la clinique MSF installée dans une école primaire de la ville de Shire, dans le Tigré, février 2021. © Claudia Blume/MSF

Birhane* est assis dans la salle d’attente de la clinique MSF, située sur le site de l’université. L’agriculteur de 58 ans a marché 2 heures et demie depuis son village pour se faire soigner. Le centre de santé qui desservait sa communauté, composée de 2 500 personnes, est fermé depuis novembre et les six membres du personnel sont partis. « Nous manquons de soins médicaux, nous n'avons aucun médicament, les deux ambulances du village ont été prises, raconte l’homme. Beaucoup de gens sont malades et trois femmes enceintes sont décédées lors de l'accouchement au cours des trois derniers mois. »

Depuis fin janvier, MSF envoie des équipes médicales mobiles pour dispenser des soins de santé primaires à la population des villages du nord, de l'est et du sud-est de Shire. Les équipes soutiennent également plusieurs établissements de santé avec des dons et viennent d'ouvrir une base dans la ville de Sheraro, au nord-ouest.

*les noms ont été modifiés.

Notes

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