Gaza - Soins de santé mentale : pallier le «trou noir émotionnel»

Sylvia en consultation. Gaza 2008
Sylvia, en consultation. Gaza, 2008 © Valerie Babize - MSF

Sylvia, psychologue, vient de terminer sa mission à Gaza.
Elle y a suivi et pris en charge des patients souffrant de traumatismes
psychologiques dus au conflit persistant.

Dans quel contexte travaillons nous ?

La population de Gaza vit en état de siège. Aux heurts inter-palestiniens, se rajoute le conflit israélo-palestinien. La population civile est victime de ces violences et vit dans la peur, sous la menace constante des attaques.

En raison de la violence, de l’isolement et du manque de perspectives d’avenir, tant du point de vue professionnel que personnel, beaucoup d’habitants des Territoires palestiniens sont psychiquement traumatisés.

De plus, la plupart des points de passage des frontières sont fermés et ils ne peuvent rendre visite à leurs parents, aller aux funérailles de leurs proches…

Le programme psycho-médico-social de MSF est destiné à ces personnes. Il s’agit de soulager les souffrances psychologiques dues à la violence des conflits et à leurs conséquences. En juin 2007, MSF a également lancé des activités de soins post-opératoires et un programme pédiatrique a été mis en place en mars dernier, dans le nord de la bande de Gaza.


Quelles sont les pathologies psychologiques rencontrées ?

La situation est épouvantable. Sept ans d’Intifada et des décennies d’occupation ont occasionné des « traumatismes en plusieurs vagues », dont les effets à court et à long terme peuvent avoir un impact sur la vie personnelle, sociale, familiale et professionnelle des victimes.

Outre la violence et l’isolement, il y a aussi de nombreuses pénuries et pannes d’électricité. Tout manque, ce qui rend encore plus étonnante la faculté des gens à surmonter les menaces physiques et émotionnelles depuis de si nombreuses années. Nos patients souffrent de stress aigu ou, si l’événement est plus ancien, de stress post-traumatique. Il s’agit d’une réaction tardive, qui émerge après avoir été exposé à un événement traumatisant. La personne touchée revit l’événement comme un film. Ces « flash-back » incontrôlables provoquent insomnie, manque d’appétit, peur de sortir de chez soi...

8 à 12 séances, d'environ une heure chacune, suffisent bien souvent pour que le patient retrouve le sommeil, l'appétit...
Sylvia, psychologue à Gaza

Chez les enfants, on peut également observer des problèmes d’énurésie (incontinence urinaire nocturne), un manque de concentration et des difficultés d’apprentissage. Par ailleurs, un mal être physique, sans raison médicale, comme par exemple des maux de tête ou une paralysie temporaire des extrémités, peut apparaître.

A tout cela s’ajoute le sentiment de perte : perte de proches, perte de l’intégrité psychologique et physique, perte de son foyer et de ses biens, perte du rôle professionnel, puis social. Le traumatisme rend le processus de deuil difficile et provoque souvent des épisodes de dépression profonde et persistante. L’individu se replie sur lui-même, devient agressif envers lui et envers les autres. Les personnes traumatisées sont dans un trou noir émotionnel.

Comment fonctionne la prise en charge psychologique ?

Nos patients sont, pour la plupart, référés par les cliniques post-opératoires MSF ou par d’autres organisations travaillant à Gaza. Beaucoup viennent aussi nous voir d’eux-mêmes. 8 à 12 séances, d’environ une heure chacune, suffisent bien souvent pour que le patient retrouve le sommeil, l’appétit ou puisse se concentrer de nouveau.

La thérapie peut également aider à réduire la partie mentale d’un trouble physique : j’ai reçu une fois une jeune veuve de 30 ans. Son mari et son beau-frère étaient décédés de mort violente, son père était tombé malade avant de mourir de chagrin. Elle vivait dans la peur constante des attaques et n’arrivait pas à faire face à la disparition de son mari. Elle souffrait d’insomnie. Je lui ai appris des méthodes de respiration et comment laisser libre cours à son imagination à chaque fois que se présente une situation de stress. Quelques temps plus tard, elle avait retrouvé le sommeil.

Quelles sont tes méthodes de travail ?

Je travaille comme thérapeute comportementale et applique, en plus, des méthodes d’hypnose clinique. En thérapie comportementale, nous encourageons l’initiative individuelle. À Gaza, il s’agissait d’apprendre aux patients des méthodes permettant de surmonter leur stress. On commence par leur apprendre à respirer, à réduire ainsi leur rythme cardiaque et à se relaxer. Une fois l’état de relaxation atteint, il s’agit alors de puiser dans ses propres ressources, penser à un avenir positif et "convertir" les mauvais souvenirs.

Par exemple, un patient qui a été touché par une balle à un angle de rue particulier pourra craindre d’y retourner, même s’il n’y a plus de danger, de peur que cet endroit ne ravive le traumatisme émotionnel de la blessure. En séance, dès que le patient est détendu, il peut y retourner en pensée, sans crainte, et imaginer comment il ressentait/percevait cet endroit avant. Puis, je lui demande de se représenter mentalement cet endroit dans l’avenir.

Comment est perçue cette activité de santé mentale ?

Les gens sont plutôt ouverts à la thérapie. De plus, j’avais l’avantage d’être étrangère. Gaza est un petit univers et chacun sait tout sur tout le monde. Il était plus facile pour les patients de parler ouvertement à un étranger.

Notes

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