Dans quel contexte travaillons nous ?
La population de Gaza vit en état de siège. Aux heurts
inter-palestiniens, se rajoute le conflit israélo-palestinien. La population
civile est victime de ces violences et vit dans la peur, sous la menace
constante des attaques.
En raison de la violence, de l’isolement et du manque de
perspectives d’avenir, tant du point de vue professionnel que personnel,
beaucoup d’habitants des Territoires palestiniens sont psychiquement
traumatisés.
De plus, la plupart des points de passage des frontières sont
fermés et ils ne peuvent rendre visite à leurs parents, aller aux funérailles
de leurs proches…
Le programme psycho-médico-social de MSF est destiné à
ces personnes. Il s’agit de soulager les souffrances psychologiques dues à la
violence des conflits et à leurs conséquences. En juin 2007, MSF a également
lancé des activités de soins post-opératoires et un programme pédiatrique a été
mis en place en mars dernier, dans le nord de la bande de Gaza.
Quelles sont les pathologies psychologiques rencontrées ?
La situation est épouvantable. Sept ans d’Intifada et des
décennies d’occupation ont occasionné des « traumatismes en plusieurs vagues »,
dont les effets à court et à long terme peuvent avoir un impact sur la vie
personnelle, sociale, familiale et professionnelle des victimes.
Outre la
violence et l’isolement, il y a aussi de nombreuses pénuries et pannes
d’électricité. Tout manque, ce qui rend encore plus étonnante la faculté des
gens à surmonter les menaces physiques et émotionnelles depuis de si nombreuses
années.
Nos patients souffrent de stress aigu ou, si l’événement
est plus ancien, de stress post-traumatique. Il s’agit d’une réaction tardive,
qui émerge après avoir été exposé à un événement traumatisant. La personne
touchée revit l’événement comme un film. Ces « flash-back » incontrôlables
provoquent insomnie, manque d’appétit, peur de sortir de chez soi...
Chez les
enfants, on peut également observer des problèmes d’énurésie (incontinence
urinaire nocturne), un manque de concentration et des difficultés d’apprentissage. Par ailleurs, un mal être physique, sans raison médicale, comme par exemple des
maux de tête ou une paralysie temporaire des extrémités, peut apparaître.
A tout cela s’ajoute le sentiment de perte : perte de
proches, perte de l’intégrité psychologique et physique, perte de son foyer et
de ses biens, perte du rôle professionnel, puis social. Le traumatisme rend le
processus de deuil difficile et provoque souvent des épisodes de dépression
profonde et persistante. L’individu se replie sur lui-même, devient agressif
envers lui et envers les autres. Les personnes traumatisées sont dans un trou
noir émotionnel.
Comment fonctionne la prise en charge psychologique ?
Nos patients sont, pour la plupart, référés par les
cliniques post-opératoires MSF ou par d’autres organisations travaillant à
Gaza. Beaucoup viennent aussi nous voir d’eux-mêmes.
8 à 12 séances, d’environ une heure chacune, suffisent
bien souvent pour que le patient retrouve le sommeil, l’appétit ou puisse se
concentrer de nouveau.
La thérapie peut également aider à réduire la partie
mentale d’un trouble physique : j’ai reçu une fois une jeune veuve de 30 ans.
Son mari et son beau-frère étaient décédés de mort violente, son père était
tombé malade avant de mourir de chagrin. Elle vivait dans la peur constante des
attaques et n’arrivait pas à faire face à la disparition de son mari. Elle
souffrait d’insomnie. Je lui ai appris des méthodes de respiration et comment
laisser libre cours à son imagination à chaque fois que se présente une
situation de stress. Quelques temps plus tard, elle avait retrouvé le sommeil.
Quelles sont tes méthodes de travail ?
Je travaille comme thérapeute comportementale et
applique, en plus, des méthodes d’hypnose clinique. En thérapie
comportementale, nous encourageons l’initiative individuelle. À Gaza, il
s’agissait d’apprendre aux patients des méthodes permettant de surmonter leur
stress. On commence par leur apprendre à respirer, à réduire ainsi leur rythme
cardiaque et à se relaxer.
Une fois l’état de relaxation atteint, il s’agit alors de
puiser dans ses propres ressources, penser à un avenir positif et
"convertir" les mauvais souvenirs.
Par exemple, un patient qui a été
touché par une balle à un angle de rue particulier pourra craindre d’y
retourner, même s’il n’y a plus de danger, de peur que cet endroit ne ravive le
traumatisme émotionnel de la blessure. En séance, dès que le patient est
détendu, il peut y retourner en pensée, sans crainte, et imaginer comment il
ressentait/percevait cet endroit avant. Puis, je lui demande de se représenter
mentalement cet endroit dans l’avenir.
Comment est perçue cette activité de santé mentale ?
Les gens sont plutôt ouverts à la thérapie. De plus,
j’avais l’avantage d’être étrangère. Gaza est un petit univers et chacun sait
tout sur tout le monde. Il était plus facile pour les patients de parler
ouvertement à un étranger.