Dans les années 1990, Médecins Sans Frontières est intervenue lors du génocide des Rwandais tutsi et d'une succession de périodes de violence politique au Rwanda et dans les pays frontaliers. Les travailleurs humanitaires ont alors été confrontés à l’exécution de près d’un million de personnes, à l’afflux de dizaines de milliers de victimes dans les centres de santé, à la fuite de millions d’autres cherchant refuge dans des camps, ainsi qu’à une série d’épidémies mortelles.
Plus de 20 ans après le génocide, Marc Le Pape et Jean-Hervé Bradol posent un regard critique, distancié et rigoureux sur les événements de l’époque. Quelle assistance, médicale et non médicale, les équipes ont-elles été en mesure de mettre en œuvre ? Comment réagir lorsque les travailleurs humanitaires deviennent les témoins de crimes de masse ? Comment fournir une aide efficace dans ces situations de violence paroxystique ? Telles sont quelques-unes des questions abordées par les auteurs. Un éclairage instructif sur cette expérience rwandaise qui a durablement modifié les pratiques humanitaires, et durant laquelle plus de 200 employés MSF de nationalité rwandaise furent exécutés.
Entretien avec les auteurs, Jean-Hervé Bradol et Marc Le Pape
Qu’est-ce que ce livre apporte à la compréhension des événements de l’époque ? Quelles ont été vos découvertes ?
Jean-Hervé Bradol : Il est frappant de constater à quel point les travailleurs humanitaires deviennent, de manière récurrente à partir de 1994, les témoins oculaires de violences, de meurtres et de massacres à grande échelle au Rwanda et dans les pays limitrophes. En effet, dans notre histoire, ils sont rarement témoins de ce type de scènes et travaillent généralement à distance des lieux où les massacres sont perpétrés ; les exécuteurs restent le plus souvent anonymes, ce qui n’est pas le cas ici. Il s’agit alors d’une expérience extrême et quasi-inédite pour MSF : la présence d’humanitaires « au moment où s’effectuait le tri entre ceux qui allaient mourir et ceux qui seraient épargnés ».
Les employés rwandais sont aussi victimes, et parfois complices ou co-auteurs de ces crimes. Plus de 200 employés MSF de nationalité rwandaise sont exécutés à cette période, c’est d’ailleurs le contexte dans lequel l’organisation estime avoir perdu le plus grand nombre de personnes.
Marc Le Pape : Le personnel humanitaire a d’ailleurs payé le prix de cette proximité avec la violence au-delà de la seule année 1994. Il faut rappeler que trois expatriés de Médecins du Monde ont été assassinés au Rwanda en janvier 1997.
Jean-Hervé Bradol : Au Burundi, il y a eu plus d’une vingtaine d’assassinats d’employés internationaux et d’ONG, également à la même période. Les niveaux de violence et de confrontation à la violence étaient extrêmement élevés — on s’en doutait mais les archives nous ont permis de confirmer cela par un certain nombre de citations de témoins directs, notamment des équipes MSF : des personnes qui essaient de sauver leur vie, celles de leurs collègues, à qui les organisateurs du génocide demandent de massacrer le personnel tutsi, sous la contrainte des miliciens. L’organisation est entièrement traversée par des violences intenses et extrêmes.
Marc Le Pape : Les difficultés, les tensions que génèrent une opération dans des situations à risques, où il y a sans arrêt des interdits de la part des autorités et des risques extrêmes, du fait de la proximité et de l’importance des massacres, sont également frappantes.
Plusieurs questions se posent : Comment travailler dans ces conditions ? Comment travailler dans des camps de réfugiés où il y a des centaines de milliers de personnes ainsi que des miliciens et des militaires, auteurs d’un génocide qu’ils voulaient poursuivre ?
► Lire l'intégralité de l'entretien sur Medium
Chronologie