Guerre à Gaza : « Empêcher cette aide d’entrer, c’est achever de détruire le système de santé »

Une femme victime d'un bombardement de l'armée israélienne en consultation avec un membre des équipes MSF à l'hôpital indonésien de Rafah. 2024.
Une femme victime d'un bombardement de l'armée israélienne en consultation avec un membre des équipes MSF à l'hôpital indonésien de Rafah. 2024.     © MSF

Depuis le début de la guerre à Gaza, il est quasi impossible pour les organisations humanitaires de faire entrer du matériel médical dans ce territoire enclavé. Mari Carmen Viñoles, responsable des programmes d'urgence de MSF à Gaza, décrypte les modalités de ces blocages et en explique les conséquences sur la santé des patients. 

Que ce soit pour les enfants malnutris souffrant d’anémie sévère, les blessés ayant subi une importante perte de sang ou les nouveau-nés présentant des difficultés respiratoires, un concentrateur d’oxygène peut faire la différence entre la vie et la mort. Cet équipement médical permet de filtrer l’azote de l’air et de fournir de l’oxygène purifié. 

Bien qu’il soit essentiel à la survie de nos patients, les équipes MSF ne savent pas quand cet équipement sera livré aux hôpitaux de Gaza. Les autorités israéliennes, qui maintiennent un contrôle total sur les points d’entrée et de sortie de Gaza, ont refusé à plusieurs reprises nos demandes d’acheminement de matériel biomédical. Et lorsqu'une demande a été approuvée, d'interminables processus d'inspection à la frontière ont abouti au même résultat : rien n’est entré. Les équipes MSF à Gaza voient alors des patients mourir de pathologies tout à fait évitables. 

Processus interminables

À leur arrivée à l'aéroport égyptien d'Al-Arish, les cargaisons d’aide humanitaire sont chargées dans des camions et transportés jusqu'aux entrepôts du Croissant-Rouge égyptien, où elles sont inspectées par les autorités égyptiennes. Après cela, Il y a rechargement des camions pour acheminer l'aide au poste frontière de Rafah. Cette première étape dure cinq à dix jours. 

À Rafah, tous les camions sont scannés, puis conduits jusqu'à un point de contrôle israélien situé à environ 50 km au sud, à Nitzana, où le matériel est déballé, chargé sur des palettes spéciales, puis scanné à nouveau. Le convoi retourne ensuite à Rafah, où la cargaison approuvée par les autorités israéliennes est transférée dans des camions palestiniens pour entrer à Gaza. 

Il faut en moyenne quatre à cinq semaines pour qu’une cargaison une fois arrivée sur le territoire égyptien entre dans Gaza. À Nitzana, si un seul carton n’est pas approuvé, c'est toute la cargaison qui est rejetée et renvoyée à Rafah, où le processus recommence à zéro. 

Début novembre 2023, MSF a demandé aux autorités israéliennes de faire entrer des réfrigérateurs et des congélateurs à Gaza. Ceux-ci sont indispensables pour conserver certains médicaments et vaccins, comme l'insuline pour le diabète, l'ocytocine pour réduire les hémorragies liées à l’accouchement ou le suxaméthonium, utilisé lors de certaines anesthésies. La demande n’a été approuvée qu’en avril, soit cinq mois plus tard. Si tout se passe bien, les réfrigérateurs et congélateurs arriveront à Gaza ce mois-ci. 

Des palestiniens font la queue pour recevoir de l'eau à Rafah. 
 © MSF
Des palestiniens font la queue pour recevoir de l'eau à Rafah.  © MSF

Ce ne sont pas les seuls équipements médicaux qui ont été bloqués. Nous attendons toujours l'autorisation de faire entrer des générateurs, des bouteilles d'oxygène, des échographes, des défibrillateurs externes ou encore des solutions intraveineuses de chlorure de sodium, indispensables pour la réhydratation des patients et diluer les médicaments... La liste est aussi longue qu'alarmante. 

Nous n’avons reçu aucune réponse d’Israël à une demande adressée il y a des mois pour expédier des équipements fonctionnant à l’énergie solaire, notamment des systèmes électriques pour les installations médicales, des pompes à eau et des systèmes de dessalement de l’eau. Des livraisons de systèmes de télécommunications par satellite et de véhicules MSF – essentiels pour assurer la sécurité de nos équipes et leur permettre de se rendre là où elles sont nécessaires – ont également été refusées, restreintes ou sérieusement retardées. 

Les autorités israéliennes ont affirmé le 3 mars qu'« il n'y a aucune limite à la quantité d'aide humanitaire qui peut entrer dans la bande de Gaza ». Cette affirmation se heurte pourtant à la réalité. Le 26 janvier, puis le 28 mars, la Cour internationale de Justice a appelé Israël à prendre « toutes les mesures nécessaires et efficaces » pour garantir urgemment et sans entrave la livraison « de l'aide humanitaire, comprenant notamment l'eau, l'électricité, le carburant et le matériel médical. » 

Il n’y a ni clarté ni cohérence quant à ce qui est autorisé à entrer à Gaza. Parfois, les organisations humanitaires peuvent acheminer certains équipements, parfois non. Parfois, une livraison est rejetée en bloc à cause d'un seul élément, sans que les raisons nous soient communiquées, ce qui nous empêche de prendre les dispositions nécessaires pour que les prochaines soient approuvées. 

Jusqu’à présent, MSF a réussi à acheminer six cargaisons de 120 mètres cubes vers Gaza, transportées dans 53 camions. Nous aurions pu en apporter beaucoup plus, mais nous en avons été empêchés par le processus imposé par les autorités israéliennes. 

Avant la guerre, environ 500 camions de marchandises entraient chaque jour à Gaza. En février 2024, c'était moins de 100 camions par jour. 

Les pénuries de produits essentiels qui touchent la bande de Gaza sont aggravées par le fait que, jusqu’à aujourd’hui, seuls deux postes frontaliers étaient ouverts : Rafah et Kerem Shalom, tous deux dans le sud de Gaza. Autre conséquence, l’aide qui parvient à rentrer est rarement acheminée jusque dans le nord de l'enclave, à cause du danger et des nombreux points de contrôle de l’armée israélienne.   

Les largages aériens et les couloirs maritimes, bien que largement médiatisés, ont jusqu'à présent été limités et ne seront jamais en capacité de remplacer l’acheminement par voie terrestre. 

Empêcher cette aide d’entrer, c’est achever de détruire le système de santé de Gaza, c’est l’ensemble des Gazaouis qui en paie le prix : les dizaines de milliers de blessés, celles et ceux souffrant de maladies chroniques, les femmes enceintes présentant des complications, les enfants qui tombent malades à cause de maladies infectieuses liées aux conditions de vie déplorables. 

Des milliers de vies ont été perdues faute d’accès aux soins médicaux. Ces « meurtres silencieux » sont la conséquence d’un blocus délibéré de la bande de Gaza. 

Notes

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