« Saint-Louis est un hôpital sous tentes gonflables. Il a été commandé le lendemain du séisme du 12 janvier, il a fallu un énorme travail logistique, 24 heures sur 24, pour l'acheminer, l'installer et pour que le premier patient puisse y être opéré, le 25 janvier.
J'avais déjà vu un tel hôpital de campagne MSF, de deux tentes, lors de ma mission dans la bande de Gaza. Mais Saint-Louis est encore plus impressionnant ! Un hôpital « clés en main » de 14 tentes gonflables, abritant 236 lits d'hospitalisation, 3 blocs opératoires, 2 salles de pansements, des services de chirurgie orthopédique et générale, de soins intensifs, de prise en charge des grands brûlés et d'urgences médicales. Le tout équipé avec du matériel de pointe et doté d'un laboratoire, ainsi que d'un système de traitement des déchets et de stérilisation intégrés.
Prise en charge des cas les plus urgents. L'équipe de Saint-Louis compte actuellement 16 expatriés et plus de 500 Haïtiens : logisticiens, infirmières, médecins, chirurgiens, anesthésistes, brancardiers, hygiénistes, administratifs... Chaque semaine, on admet, en moyenne, 100 patients et nos équipes donnent environ 300 consultations, chirurgicales et médicales. Nous gérons les cas les plus urgents, les patients devant être hospitalisés. Les autres sont soignés en ambulatoire ou référés vers d'autres structures de santé ou d'autres dispensaires MSF.
Si nous voyons désormais moins de victimes du séisme, le volume de notre activité n'a pas baissé pour autant et nous n'avons pas pu diminuer le nombre de lits comme nous l'avions imaginé. Les quelques patients post-séisme que nous soignons aujourd'hui n'ont pas eu accès aux soins lors de l'urgence, ou ont vu leur fracture mal se consolider après, et ont besoin de chirurgie froide, de reprise. Mais ils sont peu nombreux. Nous voyons surtout beaucoup des victimes d'accidents de la voie publique, d'accidents domestiques, de violences (par balle, par arme blanche, de violences sexuelles), de malades chroniques devant être stabilisés. D'une certaine façon, ces patients sont encore liés au séisme et à ses conséquences. Les rues sont en très mauvais état, jonchées de tas de gravats qu'il faut contourner, les trottoirs ne sont pas praticables, autant de facteurs de risque entraînant des accidents de la route. Les conditions de vie actuelles des sans-abris, sous tentes, favorisent quant à elle les accidents domestiques. Ainsi, environ 80% de nos patients du service de grands brûlés sont des enfants. Le nombre de victimes de violences, par contre, n'a pas augmenté.
Beaucoup de pression. Opérations, kinésithérapie, pansements, greffes de peau pour les brûlés, soins psychologiques pour tous les patients le nécessitant ... Pendant les trois mois de ma mission, l'hôpital a tourné à plein régime. Le seul ralentissement de nos admissions a eu lieu quand la saison des pluies a commencé. Les épisodes pluvieux sont courts mais torrentiels. Il a fallu surélever les tentes hospitalières. Les opérations chirurgicales ont dû être différées d'une semaine et les patients non-urgents ont été référés vers d'autres structures MSF. Il a fallu aussi creuser des canaux de drainage, poser du gravier, aménager le site. Au quotidien, il faut également gérer les problèmes de sécurité, le volume d'activité de l'hôpital...
La réactivité et l'ampleur de la réponse de MSF au séisme ont été d'envergure et c'est surtout grâce au personnel haïtien, notamment celui avec qui MSF travaillait déjà avant le séisme. Dans les heures qui ont suivi la catastrophe ils étaient déjà à pied d'œuvre. Je les admire d'autant plus que la plupart avaient eux-mêmes perdu un membre de leur famille, un proche, leur maison à ce moment là. Le jour même du tremblement de terre, les équipes déjà présentes en Haïti triaient les blessés dans la rue, opéraient dans la cour du bureau MSF de la Trinité, à Delmas 19, puis dans des containers. Encore aujourd'hui, le personnel haïtien reste très investi, très impliqué. Pourtant beaucoup vivent toujours sous tentes.
La reconstruction est trop lente. Six mois après le séisme, les populations sinistrées sont pour la plupart toujours regroupées dans des camps, dans des abris de fortune. La majorité de ces sites sont à Port-au-Prince. Certaines familles sont retournées vivre devant ce qui reste de leur maison, incapables de se résoudre à abandonner leur ancienne habitation. L'aide humanitaire existe, il y a des distributions alimentaires et matérielles dans les camps, mais la répartition des rôles entre les différents acteurs de l'aide n'est pas évidente et a du mal à s'organiser.
Sur toute la durée de mon séjour à Port-au-Prince, je n'ai pas noté de signe probant de reconstruction. Le chômage touche tout le monde et la grogne au sein de la population monte, les manifestations sont de plus en plus fréquentes, les tensions vont en s'accroissant... Avec l'arrivée de la saison des pluies, les sans-abris pataugent dans la boue. Leurs conditions de vie se sont encore détériorées, même si dans les camps les sinistrés se sont organisés en comités pour gérer certaines problématiques comme le traitement des déchets par exemple. Pour le moment, les pluies n'ont pas de conséquences médicales, mais la promiscuité forcée et l'insalubrité peuvent, à terme, en avoir. Des maladies comme les diarrhées, les infections respiratoires sont ainsi plus susceptibles de se propager.
Une perspective d'intervention un peu atypique. Saint-Louis est installé sur un terrain de football que nous louons à une école. Cela ne peut être que temporaire et nous sommes en quête d'un terrain où nous pourrions construire un hôpital « en dur », mais cela prendra au moins trois ans. D'ici là, les services hospitaliers de Saint-Louis devront être transférés dans d'autres structures provisoires type containers ou algecos. MSF va poursuivre ses activités sur plusieurs années en Haïti, nous souhaitons nous inscrire dans la carte sanitaire du pays, collaborer avec ministère de la Santé haïtien, gérer nos activités de manière collégiale, partagée. Pour MSF, c'est une intervention un peu atypique car de long terme. Nous souhaitons accompagner le processus de reconstruction sanitaire et médicale, mais sans nous substituer pour autant aux autorités compétentes.
Pour le moment, les structures de santé haïtiennes ne sont toujours pas en mesure de faire face seules à la situation et le ministère de la Santé - qui doit lui-même se reconstruire - ne peut agir seul. MSF continue donc à proposer une offre de soins étendue, de qualité et, à mon avis, toujours appropriée, adaptée et justifiée par l'ampleur des besoins. »