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Haïti : survivre à la violence à Port-au-Prince

Surviving violence
L’hôpital de Tabarre a une capacité totale de 50 lits. La plupart des patients viennent de différents quartiers de Port-au-Prince, et quelques-uns d'autres régions d'Haïti. © Guillaume Binet/MYOP

Alors qu’une crise politique et économique affecte tout le pays, à Port-au-Prince, la violence est chronique, les gangs s'y affrontent pour gagner du territoire et de l'influence. En réponse aux besoins médicaux croissants dus à cette violence et aux accidents de la route dans la capitale haïtienne, Médecins Sans Frontières (MSF) a rouvert son ancien hôpital de traumatologie dans le quartier de Tabarre en novembre 2019.

En 2020, le système de santé public, déjà très fragile, a été secoué par des grèves répétées en raison de la violence contre les travailleurs de santé, des salaires faibles voire impayés, le tout sur fond d'épidémie de Covid-19.

Entrée de l'hôpital de traumatologie de MSF à Tabarre.
 © Guillaume Binet/MYOP
Entrée de l'hôpital de traumatologie de MSF à Tabarre. © Guillaume Binet/MYOP

Depuis la réouverture de l'hôpital de Tabarre en novembre 2019, les équipes MSF y ont traité plus de 1 795 patients pour des urgences chirurgicales, des soins psychosociaux et de la physiothérapie. Les soins sont gratuits mais seuls les patients dont les blessures sont potentiellement mortelles, telles que des fractures ouvertes ou des blessures graves à la poitrine ou à l'abdomen, sont pris en charge.

Arrivée d'une ambulance à l'hôpital MSF de Tabarre. De nombreux patients sont transférés depuis le centre d'urgence MSF de Martissant ou d'autres établissements de santé publics. Haïti. 2020.
 © Guillaume Binet/MYOP
Arrivée d'une ambulance à l'hôpital MSF de Tabarre. De nombreux patients sont transférés depuis le centre d'urgence MSF de Martissant ou d'autres établissements de santé publics. Haïti. 2020. © Guillaume Binet/MYOP

Pour autant, il est si difficile de trouver des structures de soins à Port-au-Prince, que nombre de patients se présentent à l'hôpital de Tabarre sans forcément répondre à ces critères, souvent pour des blessures traumatiques ou d'autres affections moins graves.
« La plupart de ces patients n'ont pas les moyens de payer pour leurs soins et il n'y a pas beaucoup d'options pour les référer, a déclaré le Dr Naina Bhalla, cheffe de l'équipe médicale de l'hôpital MSF de Tabarre. Il y a souvent des discussions difficiles avec un patient et sa famille pour savoir où le transférer – cela dépend des besoins médicaux, mais aussi de ce qu'ils sont en mesure de payer. »

Unité de soins intensifs de l’hôpital de Tabarre à Port-au-Prince. 
 © Guillaume Binet/MYOP
Unité de soins intensifs de l’hôpital de Tabarre à Port-au-Prince.  © Guillaume Binet/MYOP

Malgré les difficultés d'approvisionnement et de pénurie de personnel liées à la crise de la Covid-19, l’hôpital est resté ouvert tout au long de l'année 2020, admettant en moyenne 150 patients par mois. 

Chaque matin, l'équipe médicale qui arrive fait le tour en présence de l'équipe de nuit de l'ensemble des patients présents. L'unité de soins intensifs de Tabarre dispose de 6 lits, presque toujours occupés. La majorité des patients en soins intensifs ont été victimes de blessures par balle ou par arme blanche qui ont nécessité une intervention chirurgicale et des soins postopératoires.

Dans les rues de Port-au-Prince sur le chemin de l'hôpital MSF de Tabarre, les routes sont pleines de «tap-tap» colorés, les taxis collectifs d'Haïti.
 © Guillaume Binet/MYOP
Dans les rues de Port-au-Prince sur le chemin de l'hôpital MSF de Tabarre, les routes sont pleines de «tap-tap» colorés, les taxis collectifs d'Haïti. © Guillaume Binet/MYOP

Les patients comme le personnel de l'hôpital témoignent que les violences quotidiennes à Port-au-Prince peuvent toucher n'importe qui.

Radiologie d'un patient ayant été poignardé avec un pic à glace.
 © Guillaume Binet/MYOP
Radiologie d'un patient ayant été poignardé avec un pic à glace. © Guillaume Binet/MYOP

Ce patient vient d'arriver dans un taxi collectif, en pleine journée. Poignardé avec un pic à glace, il est encore conscient et en état de choc, il est immédiatement pris en charge par l'équipe médicale aux urgences, avant de subir une intervention chirurgicale. 

Pourtant, il a été « extrêmement chanceux » d'après l'équipe médicale. La plaie est située à quelques millimètres de la colonne vertébrale, mais ne touche aucun organe vital. 

Salle d'opération de l'hôpital de Tabarre. 
 © Guillaume Binet/MYOP
Salle d'opération de l'hôpital de Tabarre.  © Guillaume Binet/MYOP

« Nous recevons des cas très complexes nécessitant des soins urgents de traumatologie, explique Vladimir Romelus, chirurgien orthopédiste de MSF. C'est un projet qui sauve des vies, et beaucoup de ces patients mourraient s'ils ne recevaient pas ces soins. L'une des choses les plus difficiles est de devoir procéder à une amputation quand il n’est plus possible de sauver un membre. C’est un traumatisme personnel fort pour les patients. Je n'oublierai jamais un enfant d'environ 11 ans qui avait été renversé par une voiture. Lorsqu'il est entré dans la salle d'opération, une de ses jambes a pu être sauvée. Nous avons tout fait pour essayer de sauver l'autre jambe et nous y sommes finalement parvenus. Mais ça n’a pas été facile. »

Wilfried a été agressé à la machette alors qu'il rentrait du travail.
 © Guillaume Binet/MYOP
Wilfried a été agressé à la machette alors qu'il rentrait du travail. © Guillaume Binet/MYOP

Wilfrid rentrait du travail en octobre 2020, lorsque des affrontements entre gangs ont commencé. Il était à moto quand il a ressenti une douleur au bras. Il venait de prendre un coup de machette. Il se rendit immédiatement à Tabarre mais son bras ne put être sauvé. Tailleur de profession, il ne peut désormais plus travailler et subvenir aux besoins de ses 5 enfants et de sa femme.

Toute la famille a déménagé dans un autre quartier de la ville pour des raisons de sécurité dans une maison d'une pièce avec un lit simple. Wilfrid reçoit des séances régulières de physiothérapie à l'hôpital MSF de Tabarre et a pu être équipé d'une prothèse.

Un patient effectue une radio après avoir reçu une balle dans l'abdomen.
 © Guillaume Binet/MYOP
Un patient effectue une radio après avoir reçu une balle dans l'abdomen. © Guillaume Binet/MYOP

Ce patient, en train de passer une radio, a reçu une balle toujours logée dans son abdomen. Les Haïtiens appellent cela « une balle mawon », une balle perdue. Heureusement, la balle n'a touché ni endommagé aucun organe vital. L'équipe médicale l'a donc mis en observation avant de l’emmener à l'unité de soins intensifs.

Service ambulatoire de l’hôpital de traumatologie de MSF à Tabarre. Haïti. 2020.
 © Guillaume Binet/MYOP
Service ambulatoire de l’hôpital de traumatologie de MSF à Tabarre. Haïti. 2020. © Guillaume Binet/MYOP

Une fois déchargés du service d'hospitalisation, les patients se rendent dans le service ambulatoire pour des rendez-vous de suivi, le soin des plaies et des séances de physiothérapie. Ce service reçoit environ 80 patients par jour.

Roussena Rouzard, infirmière en chef du service ambulatoire, raconte : « les patients “orthopédiques” doivent passer par un long processus de rééducation. Malheureusement, en raison de la situation sécuritaire dans la ville et le pays, certains ne se présentent pas à leurs rendez-vous de suivi pendant deux mois. D’autres viennent de la campagne, ce qui les met en difficulté pour atteindre Tabarre. S'ils viennent trop tard, le risque que leurs blessures soient infectées est important. Nombre de nos collègues rencontrent les mêmes problèmes pour se déplacer car ils doivent traverser des quartiers dangereux pour venir travailler. »

Service de physiothérapie.
 © Guillaume Binet/MYOP
Service de physiothérapie. © Guillaume Binet/MYOP

De nombreux patients ont besoin de soins approfondis, notamment de physiothérapie, plusieurs mois après leur sortie de l'hôpital. « 80% des patients opérés à l'hôpital en ont besoin. Nous fournissons une prothèse à chaque patient amputé, grâce à un partenariat avec l'ONG Healing Hands of Haiti. Nous avons 3 à 6 patients amputés par mois environ », décrit Rachel Wehrung, responsable du service de physiothérapie. 

Wilfrid lors de sa séance de physiothérapie à l’hôpital MSF de Tabarre.
 © Guillaume Binet/MYOP
Wilfrid lors de sa séance de physiothérapie à l’hôpital MSF de Tabarre. © Guillaume Binet/MYOP

« Lorsque nous avons rouvert Tabarre, nous avions 5 à 6 patients par jour. Puis 10 à 20.  Aujourd'hui, un an plus tard, le service de physiothérapie accueille quotidiennement jusqu'à 80 patients. Lorsqu'un patient amputé est hospitalisé, nous avons un premier rendez-vous pour prendre les mesures de la prothèse, deux autres pour l'essayage et ce n'est qu'à la quatrième séance que nous pouvons commencer la rééducation. Il faudra ensuite environ 10 séances pour que le patient s’habitue au nouveau membre artificiel », explique Jean Othniel Dessables, technicien en physiothérapie. 

Un patient attend que l'on change ses pansements dans le service ambulatoire.
 © Guillaume Binet/MYOP
Un patient attend que l'on change ses pansements dans le service ambulatoire. © Guillaume Binet/MYOP

Plus de 670 patients reçoivent chaque mois des soins  de physiothérapie accompagnés d'un soutien psychosocial au sein du service ambulatoire après leur sortie de l'hôpital. Le plus souvent, les patients ont besoin de soins de suivi pendant des semaines voire des mois.

Notes

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